Hôpital al-Chifa de Gaza : pourquoi les révélations de l'armée israélienne sur les armes et les tunnels du Hamas sont scrutées par la communauté internationale

Article rédigé par franceinfo
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Une photo diffusée le 15 novembre 2023 par l'armée israélienne et montrant, selon elle, des soldats de Tsahal lors d'une opération dans l'hôpital Al-Shifa, dans la bande de Gaza. (ARMEE ISRAELIENNE / AFP)
Les forces israéliennes continuent de fouiller l'établissement hospitalier, où elles affirment avoir découvert des armes ainsi que l'entrée d'un souterrain depuis lequel le Hamas opérait.

Une "zone de mort". Après une courte visite encadrée par l'armée israélienne, l'Organisation mondiale de la santé (OMS) a annoncé que l'hôpital al-Chifa de Gaza abritait encore 250 patients et une vingtaine de soignants, dimanche 19 novembre. Une semaine après le début d'une opération militaire "ciblée" dans l'enceinte de l'établissement, le plus grand de l'enclave palestinienne, Tsahal continuait mardi ses recherches pour tenter d'y mettre au jour un poste de commandement du Hamas.

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Depuis des semaines, l'Etat hébreu affirme que le groupe terroriste, auteur des attentats qui ont fait au moins 1 200 morts en Israël le 7 octobre, utilise l'hôpital al-Chifa comme centre opérationnel. De quoi justifier, selon l'armée, les bombardements continus qui visent l'immense complexe médical et qui ont fait plus de 13 000 morts dans l'ensemble de la bande de Gaza, d'après les chiffres du ministère de la Santé du Hamas.

Apporter la preuve de ces accusations, que le Hamas nie depuis le début du conflit, est un enjeu capital pour Tel-Aviv. La Convention de Genève, dont Israël est signataire, interdit en effet toute opération militaire contre les hôpitaux, à moins qu'ils ne servent à mener des "actes nuisibles à l'ennemi". Or, les éléments donnés jusqu'à présent par Tsahal peinent à convaincre la communauté internationale.

Une mise en scène des armes retrouvées dans l'hôpital

Dès le 27 octobre, le Premier ministre israélien, Benyamin Nétanyahou, a diffusé sur le réseau social X une vidéo montrant une modélisation en 3D des souterrains depuis lesquels le Hamas est accusé d'opérer, sous l'hôpital al-Chifa. Les images présentent des salles de réunion et un centre de commandement, reliés par des tunnels. Ce même jour, un porte-parole de l'armée israélienne a également dévoilé des enregistrements audio et des photographies prouvant, selon elle, que les complexes du Hamas disposaient d'une entrée dans l'un des services hospitaliers. La Maison Blanche a soutenu ces allégations, mi-novembre, affirmant que le groupe terroriste utilisait probablement l'établissement pour y cacher des armes, rapporte France 24.

Le Hamas n'a cessé de nier ces accusations, qui ont également été réfutées par le directeur général de l'hôpital, selon la chaîne d'information. Pourtant, jeudi 16 novembre, Tsahal a publié de premiers éléments venant soutenir cette thèse. Dans une vidéo de sept minutes, tournée le 15 novembre à la mi-journée selon Libération, un porte-parole de Tsahal fait visiter plusieurs salles de l'hôpital. Il montre notamment le contenu d'un sac découvert derrière un appareil d'IRM, contenant un fusil d'assaut, "des cartouches, des grenades et un uniforme".

"[Cela] confirme totalement, sans aucun doute, que le Hamas utilise systématiquement les hôpitaux pour ses opérations militaires en violation du droit international. Et ce qu'on a trouvé, je pense, est juste la partie émergée de l'iceberg", affirme le militaire. Une dizaine de fusils d'assaut et de cartouches, quelques grenades, des gilets pare-balles... L'arsenal retrouvé, présenté dans plusieurs photos publiées sur le site de l'armée israélienne, est toutefois "peu conséquent", selon plusieurs observateurs cités par Libération.

Tsahal assure par ailleurs que la vidéo a été filmée en une fois, "sans montage". Libération a pourtant remarqué qu'elle a fait l'objet d'une coupe. Un journaliste du New York Times a également révélé sur X que la vidéo a été supprimée puis republiée sur le réseau social, la seconde version ayant été éditée pour en retirer un passage montrant une photo d'une otage israélienne qui apparaissait sur un écran d'ordinateur.

L'entrée d'un tunnel localisée

D'autres éléments ont également soulevé les doutes chez certains observateurs. Le 15 novembre au soir, des équipes de la BBC et de Fox News ont pu visiter ces salles de l'hôpital al-Chifa, sous le contrôle de l'armée israélienne. Les images tournées par ces deux chaînes de télévision montrent un deuxième fusil d'assaut dans le sac découvert derrière l'appareil d'IRM. De quoi suspecter une possible mise en scène, souligne Libération.

Selon l'équipe de l'émission "Vrai ou Faux" de franceinfo, qui a contacté la BBC, le média britannique explique "qu'entre le tournage de la vidéo de Tsahal et leur reportage, l'armée israélienne aurait découvert de nouvelles armes, qui auraient été placées là après". Les journalistes américains de Fox News n'ont, eux, "pas pu vérifier indépendamment où et quand ont été trouvés les objets sur place". "Ces armes, on n'a pas de raison de douter qu'elles appartenaient bien au Hamas, explique notre journaliste Louis Augry. Mais ici, ça montre que l'armée israélienne n'hésite pas à réarranger les lieux avant l'arrivée des journalistes, pour que les signes de la présence du Hamas apparaissent évidents."

Après son raid dans l'hôpital al-Chifa, Tsahal n'a, dans un premier temps, pas apporté de preuves de l'existence d'un réseau de tunnels sous le complexe hospitalier. Les autorités israéliennes ont toutefois dévoilé, vendredi 17 novembre, une photo montrant l'entrée d'un souterrain situé sur le site. CNN, qui a pu se rendre sur place samedi sous surveillance de soldats israéliens, décrit "une échelle accrochée au bord de l'ouverture", ainsi que ce qui ressemble au poteau d'un "escalier en colimaçon""Le tunnel s'étendait bien plus profondément que ce que nous pouvions voir", explique la chaîne américaine, qui n'a pas pu y pénétrer.

Une image diffusée le 17 novembre 2023 par l'armée israélienne, montrant ce qu'elle affirme être l'entrée d'un tunnel du Hamas sous l'hôpital al-Chifa, dans la bande de Gaza. (ARMEE ISRAELIENNE / AFP)

Deux jours plus tard, l'armée a publié deux vidéos montrant l'intérieur de ce tunnel. Elle affirme qu'il a été découvert après l'explosion contrôlée d'un véhicule piégé situé dans un hangar de l'hôpital, rapporte le Guardian. Le sous-terrain, filmé par un robot, est situé à dix mètres de profondeur et s'étend sur 55 mètres de long, selon Tsahal. Au bout se trouve une porte blindée, "utilisée par les terroristes du Hamas pour empêcher les forces israéliennes d'entrer dans le centre de commandement", assure encore l'armée israélienne. La cellule de vérification de RFI confirme que l'entrée du tunnel se trouve bien sur le site de l'hôpital.

Des vidéos d'otages non authentifiées 

Les autorités israéliennes ont également diffusé, dimanche, des images de vidéosurveillance de l'établissement datées du 7 octobre. Selon un porte-parole de l'armée, elles montrent des otages capturés par le Hamas, lors des attaques contre l'Etat hébreu. On y voit notamment un homme blessé, entouré de plusieurs individus, dont certains sont armés. Cela "prouve que l'hôpital al-Chifa a été utilisé comme infrastructure par les terroristes", a affirmé le porte-parole de Tsahal.

Le Hamas assure, lui, avoir emmené des otages blessés par des frappes israéliennes dans cet établissement pour qu'ils y soient soignés, rapporte NBC. S'appuyant sur des photos d'archives, la chaîne américaine a pu confirmer qu'une des vidéos a été tournée au niveau de l'accueil de l'hôpital al-Chifa. Elle ne peut toutefois "pas vérifier la véracité de la date affichée sur les vidéos, quand elles ont été tournées ou qui apparaît sur ces images". Aucun autre média n'a, pour l'heure, pu authentifier ces vidéos de manière indépendante.

L'armée israélienne a déclaré lundi qu'elle poursuivait ses opérations de recherches pour mettre au jour le complexe sous-terrain du Hamas. "Pour le cas précis de l'hôpital al-Chifa, on n'a pas de preuves qui paraissent suffisantes du fameux réseau dont parle Israël depuis des semaines. Tout ce qu'on a, ce sont ces vidéos, ces images qui nous viennent d'une seule source, celle de l'armée israélienne", soulignait vendredi notre journaliste Louis Augry pour expliquer les doutes qui planent encore sur les révélations de Tel-Aviv. "Il faut garder en tête qu'on est ici dans de la communication de guerre, et qu'elle mérite d'être expliquée."

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