Guerre entre Israël et le Hamas : pour les Gazaouis arrivés en France, un exil plein d'interrogations et d'inconnues

Article rédigé par Zoé Aucaigne, Louis Dubar
France Télévisions
Publié Mis à jour
Temps de lecture : 8 min
La façade de la Cour nationale du droit d'asile à Montreuil le 22 février 2024. (MIGUEL MEDINA / AFP)
Quelque 200 Palestiniens vivant dans la bande de Gaza ont trouvé refuge en France. Ils ont dû laisser sur place une partie de leur famille et ne savent pas si le statut qui leur sera accordé par les autorités françaises leur permettra de rentrer un jour chez eux.

"Les bombardements intensifs, la peur et le danger... Je n'ai pas hésité longtemps avant de partir", explique Bassam*, Gazaoui désormais réfugié en France. Cela fait bientôt cinq mois que les obus et les missiles israéliens pleuvent sur la bande de Gaza. Depuis l'attaque perpétrée par le Hamas le 7 octobre, durant laquelle près de 1 200 personnes ont été tuées, Israël pilonne le territoire palestinien sans relâche. Les frappes ont fait plus de 30 000 morts, selon le dernier décompte du ministère de la Santé gazaoui, administré par le Hamas. De cette enclave, qualifiée de "prison à ciel ouvert" par Human Rights Watch, rares sont ceux qui ont pu s'échapper.

Bassam est parti avec ses enfants et son épouse. Comme 210 autres personnes, précise l'association France Horizon, il a été rapatrié par la France en passant par Le Caire (Egypte) avant d'embarquer à bord d'un avion affrété par Paris. Mais toute sa famille n'a pas pu bénéficier de la protection diplomatique accordée par l'Hexagone. "Encore aujourd'hui, je reçois beaucoup de sollicitations, de proches qui me demandent comment faire pour sortir de cet enfer", explique le père de famille, qui vit aujourd'hui dans le Sud. "Ma mère, mes frères, mes sœurs et mes amis sont restés."

Des rapatriements au compte-goutte 

Son cas n'est pas sans rappeler celui de la famille Abu Shamla. Ahmed, le père, agent à l'Institut français de Gaza, s'est vu proposer d'être rapatrié en France. Sa femme et deux de ses enfants étaient aussi sur la liste comme ayants droit, mais pas ses quatre aînés, tous majeurs. Son épouse et les plus jeunes se sont envolés pour Paris, mais Ahmed a décidé de rester aux côtés des quatre plus grands. Réfugié à Rafah, dans le sud de Gaza, il est mort le 16 décembre après avoir été blessé par un bombardement israélien, trois jours plus tôt.

Depuis, les aînés ont été rapatriés. "Il faut que les pères et mères se fassent tuer pour qu'on agisse", dénonce Véronique Hollebecque, membre de l'Association France Palestine solidarité (AFPS). Dans ce dossier, le sénateur communiste Pascal Savoldelli affirme être intervenu auprès du consulat de France à Jérusalem pour accélérer l'obtention des laissez-passer. "J'ai écrit au consul pour lui signaler qu'il y avait une ville [Ivry-Sur-Seine] et un département qui étaient prêts à les accueillir", raconte l'élu du Val-de-Marne à franceinfo.

Un feu vert d'Israël nécessaire

Car c'est le consulat français qui définit la liste des personnes à évacuer, laquelle est ensuite transmise aux autorités israéliennes et égyptiennes, qui donnent leur feu vert... ou pas. Dans le cas d'Assia*, mère de famille gazaouie réfugiée en France depuis plusieurs mois, Israël semble avoir été un frein dans l'évacuation de sa famille : "J'ai demandé aux autorités françaises d'ajouter des proches aux listes dès que je suis sortie. On m'a dit que c'était très compliqué et que les Israéliens contrôlaient tout." Ils sont finalement parvenus "à sortir par eux-mêmes" de la bande de Gaza, précise Assia avec soulagement.

Ces évacuations difficiles posent la question des conditions à remplir pour figurer sur la liste. Certaines personnes éligibles, comme des citoyens français et des ayants droit sont toujours présentes à Gaza. "Un agent du consulat de France est toujours là-bas, alors que sa femme et ses enfants sont quant à eux en France", assure Razan Nidal, responsable du Comité national d'accueil et de soutien aux rescapés du génocide en Palestine, une association qui leur vient en aide.

La question du statut de réfugié

Les Palestiniens en provenance de Gaza doivent passer par la procédure classique de demande d'asile auprès de l'Office français de protection des réfugiés et apatrides (Ofpra). Et l'incertitude qui va avec. "On n'a aucune idée de quel statut nous allons bénéficier. Est-ce que ce sera une protection subsidiaire ou un statut de réfugié ?" s'interroge Bassam. Le premier confère moins de droits que le second et offre un titre de séjour de quatre ans renouvelable, contre dix pour les réfugiés.

Dans une décision rendue par la Cour nationale du droit d'asile (CNDA), qui traite les recours de personnes dont la requête a été rejetée par l'Ofpra, c'est la protection subsidiaire qui a été retenue : le 12 février, elle a accordé l'asile à un ressortissant de la bande de Gaza, considérant qu'il courait "un risque réel de subir une menace grave contre sa vie ou sa personne" au vu de la situation. C'était la première décision depuis le début de la guerre, censée faire jurisprudence. "Il y a fort à parier que l'Ofpra accordera le droit d'asile aux demandeurs à partir de maintenant", projette la CNDA, contactée par franceinfo.

Des dossiers traités avec rapidité

Comme Assia, des personnes rapatriées disent ne pas avoir eu à attendre longtemps dans leurs démarches : "En peu de temps, on a eu des rendez-vous à l'Office français de l'immigration et de l'intégration et la préfecture. Une semaine après, on recevait la décision concernant le logement, explique la Palestinienne. La plupart des personnes que je connais ont déjà obtenu des rendez-vous à l'Ofpra." Contacté par franceinfo, l'organisme n'a pas souhaité dévoiler le nombre de demandes déposées par des personnes d'origine palestinienne depuis le 7 octobre, ni la proportion de celles acceptées et rejetées. Le Quai d'Orsay n'a pas non plus donné suite à nos sollicitations. 

La réactivité de certaines institutions est aussi soulignée du côté de certaines associations, mobilisées pour organiser l'accueil. "Notre relation avec l'Office français de l'immigration et de l'intégration fonctionne super bien, il n'y a pas eu une seule fois où on a été confronté à une situation compliquée, à chaque fois qu'on les contacte, c'est résolu directement", témoigne Razan Nidal. Cette rapidité de traitement des dossiers tranche avec le sort réservé à d'autres candidats à l'asile. "Des personnes travaillant à France Horizon nous ont expliqué que certaines familles attendent toujours une réponse, un an et demi après leur rendez-vous", souligne Assia.

Une protection pas idéale

Il faut dire que les associations s'activent pour accompagner ces nouveaux arrivants, notamment les non-francophones. "Je sais que l'administration dans ce pays, c'est beaucoup, beaucoup de papiers, confie Bassam. Heureusement que France Terre d'asile et d'autres associations pro-palestiniennes nous préparent pour les entretiens." Un groupe WhatsApp regroupant les Gazaouis présents en France a également été créé. "Ça nous permet d'échanger entre nous et de connaître les retours d'expériences des uns et des autres", ajoute le réfugié.

Reste que, même si l'asile sera plus facilement accordé, ce n'est pas l'idéal pour ces Palestiniens qui espèrent un jour retourner à Gaza, une fois la guerre terminée. Une option inconciliable avec ce statut de réfugié, qui permet de voyager partout sauf dans son pays d'origine, comme le précise le Haut-Commissariat des Nations unies pour les réfugiés.

"Je veux faire des allers-retours après la guerre, notamment avec mes enfants pour qu'ils n'oublient pas leur pays et la ville dans laquelle ils sont nés, mais je pense qu'avec le statut qu'on obtiendra, nous n'allons pas trop avoir le choix."

Bassam, réfugié palestinien

à franceinfo

Pour cette raison, "certains ne demandent pas l'asile", glisse Véronique Hollebecque, qui milite pour une protection humanitaire à titre temporaire. Un statut accordé depuis le 4 mars 2022 aux Ukrainiens qui ont trouvé refuge en Europe à la suite de l'invasion russe. Concrètement, cette protection permet d'obtenir un titre de séjour d'un an renouvelable donnant accès à un logement, au marché du travail, aux soins médicaux, à une aide financière... C'est la première fois depuis sa création en 2001 que cette mesure a été activée.

Les failles du suivi médical

Le statut de demandeur d'asile limite aussi l'accès aux soins. Les exilés palestiniens doivent attendre trois mois pour bénéficier de la protection universelle maladie, sauf cas urgents définis par le ministère de l'Intérieur. "Pour des personnes qui viennent de quitter une zone de guerre et qui ont laissé derrière elles leurs familles, la prise en charge médicale et psychologique n'est pas à la hauteur", déplore Razan Nidal.

Même une fois enregistrées à l'Assurance-maladie, elles peuvent être freinées par le coût de certaines prises en charge. "Je suis allée aux urgences. Après la consultation, on m'a demandé de payer 40 euros et remis un devis, car j'avais consulté un spécialiste, raconte Assia. Le personnel n'était pas en mesure de me dire si l'Assurance-maladie prendrait une partie des frais." Bassam et sa famille ont sollicité une consultation pour traiter des troubles anxieux et des angoisses créés par le conflit.

"J'ai demandé un praticien arabophone, parce que je crains notamment que la guerre ne reste ancrée dans la tête de mes enfants."

Bassam, réfugié palestinien

à franceinfo

Cette demande est restée pour le moment sans réponse, faute d'un médecin ayant les compétences linguistiques requises.

Des conditions d'accueil imparfaites

France Horizon, l'association mandatée par l'Etat pour assurer l'accueil des exilés, explique leur fournir une "première évaluation sociale" à leur arrivée. Mais une fois répartis dans les centres d'hébergement, tous ne bénéficient pas d'un suivi psychologique. A Périgueux, en Dordogne, "il en a été question pour les familles qui sont arrivées ici, mais ça ne s'est pas mis en place", illustre Véronique Hollebecque. Là encore, la situation tranche avec les moyens investis pour les réfugiés ukrainiens : l'Etat avait activé un réseau de cellules d'urgence médico-psychologique visant à accompagner les patients en français ou en ukrainien.

Pour Razan Nidal, ces difficultés illustrent les lacunes du dispositif d'accueil mis en place pour les personnes palestiniennes, mais aussi pour n'importe quel autre demandeur d'asile en France. "Il n'y a pas eu un effort spécifique pour les personnes venant de la bande de Gaza, et c'est tant mieux dans un sens, affirme-t-elle. On ne dit pas que les Gazaouis méritent d'avoir un meilleur accueil que les autres, mais on demande que tout le monde mérite d'avoir accès à des conditions d'accueil dignes."

* Les prénoms ont été modifiés.

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