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Guerre en Ukraine : la difficile reconstruction psychologique des réfugiés arrivés en France, "tous traumatisés"

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Six mois après le début de l'invasion russe en Ukraine, la santé mentale des réfugiés arrivés en France est éprouvée.   (ASTRID AMADIEU / FRANCEINFO)

Crises de panique, dépression, anxiété… Six mois après le début de l'invasion russe en Ukraine, la santé mentale des réfugiés arrivés en France est éprouvée. Même si certains bénéficient d'un suivi ou de soins, la guerre n'est jamais loin.

"Il y avait de très beaux feux d'artifice pour le 14 juillet, mais on n'a supporté ça qu'une minute avec ma fille, ça nous rappelait les bombes." Comme de nombreux autres réfugiés ukrainiens, Oleksandra Zakrasniana, psychologue à Kiev il y a encore quelques mois, avant d'être accueillie dans la région de Valence (Drôme), porte encore le poids psychologique de la guerre en Ukraine. "Presque tous les Ukrainiens ne supportent plus les bruits d'explosions", raconte-t-elle.

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Six mois après le début du conflit, si certains réfugiés arrivés en France ont retrouvé une forme d'équilibre, toutes et tous continuent de vivre l'attaque de la Russie dans leur pays comme s'ils y étaient encore. Et, malgré le temps qui passe, l'impact du conflit sur leur santé mentale reste dommageable. 

En exemple, l'histoire de cette femme, qui pourrait être celle de nombre d'Ukrainiennes. Arrivée dans l'Hexagone en avril, après avoir fui Kiev, elle ne parle pas le français. Surtout, elle ne possède pas de permis de conduire. Un problème, car si sa fille est inscrite à l'école, l'établissement est situé à une heure de route et le bus ne passe pas tous les jours. Eloignée de tout, petit à petit, la femme perd pied devant les démarches administratives. Son envie de rentrer dans son pays en guerre prend le dessus. "C'est là qu'elle a commencé à avoir des crises de panique, à pleurer constamment et à voir tout en noir", décrit Vitalina Ustenko. La psychologue, à la tête de l'association ukrainienne Psychologues sans frontières et elle-même réfugiée en France, assure avoir entendu de nombreuses histoires similaires auprès des patients réfugiés qui sollicitent son aide.

Syndrome de stress post-traumatique

Dépression, culpabilité, crises de panique… Les symptômes ressentis par ces exilés en urgence sont nombreux. "Ce déracinement peut s'exprimer d'abord par des maux de tête, des douleurs, explique à franceinfo Olena Vyshnevska, psychologue ukrainienne et réfugiée à Carcassonne (Aude). Au début, on ressent de fortes sautes émotionnelles. Pendant une minute, vous pleurez et la suivante, vous riez… A cela s'ajoutent des problèmes de sommeil et d'anxiété. Cela peut mener vers de la dépression."

L'impact psychologique est encore plus lourd pour ceux qui ont laissé de la famille "ou un amoureux" au pays, souligne Olga Vasylchenko, psychologue et professeure d'université, réfugiée à Toulouse. "C'est particulièrement difficile pour les adolescents. Les plus petits s'adaptent, mais eux veulent rentrer", observe-t-elle.

Ce constat est loin d'être surprenant. S'il est trop tôt pour tirer un bilan des conséquences de la guerre sur la santé mentale des Ukrainiens, de nombreuses études ont déjà montré que les réfugiés avaient plus de risque de subir des souffrances psychologiques que la population générale. Ainsi, l'Université de la Croix Rouge à Stockholm (Suède) a montré en 2017 que 40% des réfugiés syriens arrivés dans le pays entre 2011 et 2013 souffraient de dépression. Et que près de 30% étaient victimes de syndrome de stress post-traumatique, un trouble anxieux extrême vécu après un événement traumatisant, comme un bombardement ou la perte d'un proche. D'autant que, comme le rapporte l'Organisation mondiale de la santé (OMS), 30% des Ukrainiens souffraient déjà de troubles psychologiques avant le début de l'offensive des troupes du Kremlin. En cause, notamment, l'invasion russe de la Crimée, en 2014. 

Le lien constant avec l'Ukraine, via les médias en ligne, les réseaux sociaux et les messages des proches restés au pays, n'arrange rien. "Nous sommes tous témoins de cette guerre avec internet. Nous sommes tous traumatisés", souligne Olena Vyshnevska. Une situation qui fait parfois culpabiliser ceux qui se sont enfuis.

"La plupart des réfugiés ressentent de la culpabilité parce qu'ils ne sont pas restés, et n'ont pas aidé l'armée. Ils pensent qu'en quittant l'Ukraine, ils sont comme un ennemi, un déserteur."

Olena Vyshnevska, psychologue ukrainienne

à franceinfo

Résultat, beaucoup "ne s'autorisent pas à être heureux, à ressentir de la joie, même en buvant simplement un café" et "ne prennent pas soin d'eux-mêmes en refusant de vivre une vie normale".

Des groupes d'entraide sur Facebook

Comment prendre en charge ces besoins en France, alors que de nombreux réfugiés ne parlent pas la langue locale ? Un peu partout dans l'Hexagone, des bénévoles s'organisent. Dans certaines communes, des associations de soutien ont mis en place un accompagnement psychologique pour les arrivants. Des groupes Facebook, animés par des volontaires, français ou ukrainiens, permettent aussi aux réfugiés d'entrer en contact avec des psychologues basés en France. 

"J'aide deux à trois personnes par semaine, la plupart en ligne, même si j'aimerais mettre en place un groupe de parole là où j'habite", avance ainsi Olena Vyshnevska, formée à la médiation de conflit. Celle qui prévoit de "mettre en place une thérapie par l'art, à Montpellier, pour les enfants avec des psys", explique avoir décidé d'aider d'autres Ukrainiens pour "faire quelque chose de [ses] connaissances". Vitalina Ustenko livre le même discours. 

"Je ne me voyais pas faire autre chose. Tous les citoyens ukrainiens ont besoin d'aide, peu importe où ils se trouvent. C'est de cette façon que j'essaye d'être utile."

Vitalina Ustenko, à la tête de l'association ukrainienne Psychologues sans frontières

à franceinfo

Dans le même temps, l'Etat développe aussi des initiatives visant à améliorer la santé mentale de ces réfugiés. Dans un décret publié le 10 mars, le gouvernement rappelait ainsi que "la prise en charge sanitaire de ces personnes déplacées nécessite (…) une attention particulière" et demandait aux "agences régionales de santé" de mobiliser "les dispositifs de prise en charge adaptés, notamment sur le plan de la santé mentale"Le ministère des Affaires étrangères a ainsi mis en place un numéro d'écoute dédié "pour toute aide" liée à cette crise, "dont le soutien psychologique". Un guide a aussi été édité sur le sujet par le ministère de la Santé, et les cellules d'urgence médico-psychologique ont été sollicitées dans chaque département, rapporte Le Figaro (article réservé aux abonnés).

L'UE débloque de l'argent pour la santé mentale

Mais, selon les intéressés, l'effort reste insuffisant pour aider les quelque 89 000 réfugiés ukrainiens présents sur le territoire. "La France n'a pas un réseau d'aide pour les immigrants bien établi", regrette Vitalina Ustenko. Elle affirme ne pas avoir obtenu de réponse après avoir proposé de travailler avec plusieurs institutions françaises. Surtout, en cas de dépression, "il est difficile de trouver un psychiatre qui parle ukrainien" et "impossible d'acheter des médicaments avec une ordonnance ukrainienne", ce qui "ajoute de la difficulté", précise-t-elle.

Paris pourrait s'inspirer d'autres pays européens, poursuit Vitalina Ustenko, alors "qu'en Allemagne, en Pologne, au Portugal ou en Norvège, nous avons de nombreux exemples de réseaux de centres d'aide à destination des Ukrainiens qui sont sur pied". Des initiatives "qui ont l'avantage de donner du travail aux personnes réfugiées spécialisées dans ce secteur", conclut-elle.

L'Union européenne a d'ailleurs débloqué 9 millions d'euros pour la santé mentale des personnes fuyant l'Ukraine en avril dernier. Mais la somme n'est pas suffisante, tant les besoins des 5 millions de réfugiés accueillis dans l'UE sont grands et les besoins d'accompagnement étalés sur le long terme. "Les vraies conséquences sur notre santé mentale, on ne les connaîtra vraiment que lorsque le conflit sera terminé", estime Oleksandra Zakrasniana. Un défi majeur quand viendra l'heure de la reconstruction de ce pays en guerre.

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