Dissoudre la Ligue de défense juive peut-il être efficace ?
"Prête à en découdre" en France, l'organisation pourrait être dissoute après des débordements en marge de manifestations propalestiniennes. Mais les exemples historiques montrent que le procédé n'est pas une solution miracle.
Outre-Atlantique, la Jewish Defense League, dont elle s'inspire, a été qualifiée de "groupe terroriste" par le FBI. En France, la Ligue de défense juive (LDJ) poursuit ses activités, plus que jamais "prête à en découdre". Mais pour combien de temps encore ?
Le ministère de l'Intérieur envisage la dissolution de cette organisation d'activistes juifs, expliquent des sources policières à l'AFP et à Libération, mercredi 30 juillet. Adepte des expéditions punitives, la LDJ est pointée du doigt pour sa présence en marge des récentes manifestations propalestiniennes et son éventuelle responsabilité dans les débordements.
Mais dissoudre une organisation suffit-il à la faire disparaître ? Les spécialistes des mouvements radicaux sont divisés sur le procédé.
Oui, car les actions peuvent devenir moins violentes
Au cours de ces dernières années, l'exécutif a déjà fait à plusieurs reprises usage de l'article 212-1 du Code de la sécurité intérieure. Le texte lui permet de dissoudre tout "association" ou "mouvement", sur le base de sept critères, comme la formation de "milices privées", l'appel "à la discrimination" ou la préparation d'actes de "terrorisme".
En 2002, Unité radicale est ainsi dissous après que Maxime Brunerie, proche du groupuscule, a tenté d'assassiner le président de la République Jacques Chirac. "Une bonne dissolution", estime Nicolas Lebourg, interrogé par francetv info. Selon cet historien, spécialiste des extrêmes droites, le dispositif adopté par l'Etat a offert aux cadres du mouvement une "échappatoire" pour continuer leurs actions d'une autre manière, sans verser dans une violence débridée : "Le décret a dissous la marque Unité radicale, pas les structures sur lesquelles elle s'appuyait."
Les anciens dirigeants d'Unité radicale ont ainsi pu participer à la naissance du Bloc identitaire. Le mouvement politique est un habitué des actions polémiques, comme l'occupation d'une mosquée à Poitiers (Vienne), mais "désormais, les actions sont plutôt symboliques, analyse Nicolas Lebourg. Ils se sont adaptés pour survivre." "Le mouvement identitaire a appris des conséquences de la dissolution et il n'en est que plus fort, tempère Sylvain Crépon, sociologue spécialiste de l'extrême droite. Il a créé des sortes de 'franchises' avec différents mouvements quasiment autonomes les uns des autres. Comme ça si l'un est dissous, ce ne sera pas le cas des autres."
Non, car les leaders continuent leur action
L'année passée, après la mort du militant d'extrême gauche Clément Méric, l'exécutif avait usé du même texte pour dissoudre plusieurs mouvements nationalistes. Parmi eux figuraient notamment l'Oeuvre française, dirigée par Yvan Benedetti, et les Jeunesses nationalistes, fondées par Alexandre Gabriac. "La dissolution ne les a pas empêché de continuer à militer et à mener des actions radicales", note Sylvain Crépon.
"Un mouvement ne s’arrête pas, c’est son essence même", réagissaient à l'époque les deux hommes. Un an plus tard, Alexandre Gabriac ironise toujours sur la décision, en se présentant sur son compte Twitter comme "fondateur des Jeunesses nationalistes", "dissoutes par Valls il paraît". Les deux hommes n'ont pas arrêté leurs activités, ils ont d'ailleurs réactivé l'un de leurs sites internet, laissé en friche pendant de longs mois, explique Le Monde. Le visiteur peut par exemple y découvrir des tracts appelant à une "milice nationale" contre l'insécurité ou lire un discours prononcé en hommage au maréchal Pétain.
Militant noir radical, Kemi Seba a lui créé un mouvement dissout en 2006 par décret pour avoir "encouragé la discrimination, la haine et la violence raciales" et "prôné (...) l'antisémitisme" : la Tribu Ka, qui a inspiré la Jeunesse Kémi Séba, dissoute en 2009. Installé au Sénégal, il revient ponctuellement en France note Jeune Afrique, comme en 2013 au Théâtre de la Main d'Or de Dieudonné, où il continue de distiller des déclarations polémiques. "Je ne suis ni palestinolâtre ni judéophobe, lance-t-il par exemple en riant face à la salle. Comme je suis filmé, je ne le suis pas."
Non, car les militants risquent de se disperser
"Le risque avec une dissolution, c'est que les gens disparaissent dans la nature, estime Sylvain Crépon. Un mouvement structuré peut au contraire être infiltré, on peut suivre les échanges de coups de fils, de mails, de messages sur des forums..." Les pouvoirs publics peuvent donc avoir intérêt à avoir, face à eux, un groupuscule organisé. "A la fin du 19e siècle à Paris, la préfecture de police finançait les groupes anarchistes de manières à ce qu'ils s'organisent, qu'ils aient de gentils organigrammes, raconte Nicolas Lebourg. C'était une façon de les fixer, de les calmer."
L'historien rappelle la dissolution du mouvement néofasciste Ordre nouveau, en 1973. "Les statistiques du ministère de l'Intérieur montrent qu'elle a été suivie par une explosion du nombre de violences terroristes, d'homicides, affirme-t-il. Avant la dissolution, les membres se limitaient à des violences sur des militants opposés. Là, ils s'étaient totalement radicalisés." L'arme de la dissolution est à double tranchant.
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