Guerre au Proche-Orient : quels sont les équipements militaires livrés par la France à Israël ?

La France dit fournir à l'Etat hébreu des composants destinés à des équipements de défense antiaérienne. Mais le détail exact des livraisons n'est pas connu.
Article rédigé par franceinfo
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Sébastien Lecornu, le ministre des Armées, sur le perron de l'Elysée, le 1er octobre 2024. (XOSE BOUZAS / AFP)

"A un moment donné, ne livrons pas des armes qui n'ont pas la vocation d'assurer la sécurité d'Israël, mais à apporter la mort à Gaza et au Liban." Interrogé sur franceinfo, lundi 7 octobre, l'ancien ministre des Affaires étrangères Dominique de Villepin a réagi aux déclarations d'Emmanuel Macron, deux jours plus tôt. Le président de la République a demandé, sur France Inter, "qu'on cesse de livrer les armes pour mener les combats sur Gaza". Ces propos ont suscité la colère du Premier ministre israélien Benyamin Nétanyahou, qui a répliqué dans un communiqué : "Le président Macron et d'autres dirigeants occidentaux appellent maintenant à des embargos sur les armes contre Israël. Ils devraient avoir honte."

Dans l'immédiat, les déclarations du chef de l'Etat ne devraient pas faire bouger les lignes, d'autant que "la France ne livre pas d'armes à Israël", a insisté Jean-Louis Thiériot, le ministre délégué auprès du ministre des Armées, sur franceinfo. Cela n'empêche pas, cependant, les industriels de livrer des équipements militaires à l'Etat hébreu.

Des exportations opaques

Les exportations d'armes sont entourées d'une certaine opacité et le détail exact des livraisons d'armes est inconnu. Chaque année, un rapport sur les exportations d'armes est remis au Parlement, mais il ne contient que des données financières générales sur les licences et les livraisons. Le dernier document en date (PDF), paru à l'été 2023, révèle que la France a livré pour 189,8 millions d'euros d'équipements à Israël entre 2013 et 2022, à un rythme moyen d'environ 20 millions d'euros par an. Et qu'elle a enregistré des prises de commande à hauteur de 207,6 millions d'euros sur la même période.

Le rapport livre également quelques détails sur les demandes de licence formulées par les entreprises françaises, dont le dépôt est obligatoire avant même d'engager des discussions avec un client. Au total, 69 demandes avaient été formulées en 2022 pour Israël, portant sur près de 358 millions d'euros. Cela concerne essentiellement la catégorie 5 de la "military list", qui désigne, dans la nomenclature européenne commune, le "matériel de conduite de tir, de surveillance et d'avertissement" et les "systèmes et matériel d'essai", ainsi que leurs composants et accessoires. Ces plafonds de licences, toutefois, ne permettent pas de connaître le montant réel et la nature des livraisons.

Dans une réponse transmise au député insoumis Aurélien Saintoul au mois de février, il précisait notamment que les livraisons, dont le montant atteignait 15,3 millions d'euros en 2022, représentaient 0,2% des transferts de la France cette année-là. Plus largement, Israël ne figure pas dans le classement des vingt premiers clients de la France, du moins sur la période 2013-2022. "La France est un fournisseur mineur de composants et de pièces détachées, ce qui tient davantage à des raisons historiques qu'à des raisons éthiques, relève Stéphane Audrand. Il n'y a pratiquement pas de partenariat sur des grands systèmes depuis l'embargo sur l'armement décrété par Charles de Gaulle en 1967."

Concernant les équipements livrés à Israël, cette fois, Sébastien Lecornu ne démentait pas la présence d'équipements de la catégorie ML4, qui regroupe les bombes, roquettes, missiles. Il précisait en revanche que les éventuels composants, "s'ils sont autorisés", "sont destinés à un usage purement défensif". Le ministre des Armées citait par exemple les "missiles de défense aérienne intégrés au 'Dôme de fer'", le principal système antiaérien de l'Etat hébreu. "Ce ne sont que des composants élémentaires qui ont été livrés : roulements à billes, vitrages, systèmes de refroidissement, potentiomètres, capteurs de pression", ajoutait-il encore fin février, lors d'une audition à l'Assemblée nationale.

Pas de contrôle in fine

Fin mars, la question des livraisons d'armes à Israël a rebondi quand les médias Disclose et Marsactu ont révélé que la France avait livré à la société israélienne IMI Systems des composants pour mitrailleuses. Des maillons M27, en l'occurrence, en quantité suffisante pour relier 100 000 cartouches adaptées au fusil israélien Negev 5. Sébastien Lecornu avait confirmé l'information, précisant toutefois que la licence concernait uniquement "de la réexportation" sur des composants fournis "à des industries israéliennes qui ensuite vendent à des pays tiers". Mais en l'absence de contrôle sur place, avait rétorqué Disclose, impossible de savoir si ces M27 n'ont pas fini dans les mains de soldats de l'armée israélienne.

Dans la foulée, 115 parlementaires de gauche avaient cosigné une lettre ouverte pour demander à Emmanuel Macron "de stopper immédiatement la vente d'armes à Israël". Le ministre des Armées avait fustigé, dans un entretien au Parisien, "l'instrumentalisation indécente de l'extrême gauche qui a sciemment entretenu un doute sur la position française et qui voulait même que nous annulions les licences pour le 'Dôme de fer'".

"La France vend essentiellement des pièces détachées dans deux cas : des pièces détachées d'optronique, de l'optique militaire, et des composants qui vont dans des missiles antiaériens", résume Stéphane Audrand, consultant spécialisé dans le contrôle du commerce des armes. "Ils ne vont pas forcément dans le 'Dôme de fer', mais dans 'Fronde David' ou d'autres systèmes." Ce qui ne dissipe pas tous les doutes sur la destination finale de ces pièces détachées. En 2014, après un bombardement meurtrier, une famille palestinienne avait porté plainte contre la société française, Exxelia Technologies, en l'accusant d'avoir fourni un composant utilisé dans un missile israélien.

Les Etats-Unis principaux décisionnaires

Quoi qu'il en soit, "Emmanuel Macron n'a rien annoncé du tout, estime Stéphane Audrand, c'est un non-événement", d'autant qu'aucun embargo n'est à l'ordre du jour. "On fait du cas par cas, car on sait que c'est compliqué", poursuit l'expert, évoquant à la fois le traité sur le commerce des armes de 2014 et la position commune européenne sur les armements de 2008. Le Royaume-Uni a pour sa part annoncé en septembre la suspension d'une trentaine de licences d'exportation d'armes à Israël sur un total de 350, après un examen concluant à "un risque" qu'elles soient utilisées en violation du droit humanitaire international.

La déclaration du président de la République, pour autant, n'est peut-être pas tout à fait anodine. "La validation et l'autorisation des exportations d'armes restent une prérogative nationale, mais les Européens sont censés se coordonner entre eux, explique Stéphane Audrand. J'imagine donc que c'est le genre de choses qui sera discuté et débattu lors du prochain comité mensuel sur la coordination du contrôle des armes."

Dans les faits, la balle est dans le camp de Washington. "Globalement, les Américains livrent en masse de la munition lourde d'aviation ou d'artillerie. Mais le problème, c'est qu'il y a à la fois des missiles sol-air qui vont protéger Israël et les bombes", résume Stéphane Audrand. Les Etats-Unis ont d'ailleurs puisé dans leur stock pour armer Israël, ce qui a été un des facteurs qui a expliqué le ralentissement de l'aide à l'Ukraine. En dehors de la suspension d'une livraison de bombes en mai, le président américain Joe Biden a toujours refusé d'actionner le levier des livraisons d'armes à Israël pour faire cesser les frappes sur Gaza

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