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Silvio Berlusconi peut-il emporter l'Italie dans sa chute ?

L'ancien président du Conseil italien est prêt à semer la pagaille pour échapper à ses ennuis judiciaires, au risque de déstabiliser un pays déjà épuisé par la crise politique.

Article rédigé par Camille Caldini
France Télévisions
Publié Mis à jour
Temps de lecture : 6min
Silvio Berlusconi salue ses soutiens devant sa résidence à Rome (Italie), le 4 août 2013. (ALESSANDRO BIANCHI / REUTERS)

Le Premier ministre Enrico Letta affronte, mercredi 2 octobre, un vote de confiance du Parlement italien qui pourrait faire tomber son gouvernement. Tout cela en raison d'un "geste fou" et "irresponsable" de Silvio Berlusconi. Menacé d'être destitué par le Sénat, le Cavaliere a pris le risque de faire replonger l'Italie dans une grave crise politique pour échapper aux procédures judiciaires qui le guettent. En ordonnant à cinq ministres de son parti, le Peuple de la liberté (PDL, droite), de démissionner, il a donné un "coup de boule", selon l'expression d'un de ses proches, au fragile gouvernement d'union gauche-droite du centriste Enrico Letta. Ce coup de tête sera-t-il fatal à l'Italie ? Silvio Berlusconi peut-il entraîner le pays dans sa chute ?

Oui, Letta n'est pas sûr d'avoir la confiance du Sénat

Enrico Letta aurait pu repousser ce scrutin incertain, mais a décidé, en accord avec le président Giorgio Napolitano, de se soumettre au vote de confiance des députés et sénateurs italiens. Quitte à devoir démissionner, le chef du gouvernement aura d'abord pris soin de pointer formellement la responsabilité de Silvio Berlusconi dans la crise politique, avant de partir "la tête haute, convaincu d'avoir bien fait son travail", écrit La Stampa (en italien). Car le centriste est loin d'être sûr d'obtenir la confiance du Parlement.

Pas d'inquiétude du côté des députés, majoritairement à gauche. Avec les sénateurs, en revanche, Enrico Letta avance dans le noir. Le gouvernement bénéficie au Sénat du soutien assuré de la plupart des élus de gauche et du centre. Reste à convaincre une vingtaine de transfuges, qu'il faut aller chercher parmi les déçus du Mouvement Cinq Etoiles (M5S) de Beppe Grillo et dans le camp de Berlusconi.

Non, les "colombes" lâchent Berlusconi

Ils ont démissionné "par loyauté". Les ministres PDL qui ont quitté le gouvernement ne veulent ni d'une nouvelle crise politique, ni d'élections anticipées. Trois d'entre eux, "colombes" (les modérés) du Peuple de la liberté, mènent la fronde. "A une faute de jeu, on ne répond pas par un coup de boule. La gauche agresse Berlusconi par les divers procès qu'il subit. Mais quel rapport avec le gouvernement ?" demande Gaetano Quagliariello, cité par Courrier international. Dans son sillage, les "colombes" pourraient voter la confiance au gouvernement. "De nombreux parlementaires du PDL sentent dans leurs villes la contrariété de leurs électeurs face à la chute du gouvernement d’Enrico Letta", rapporte France 24.

La direction du parti aussi est fâchée de ne pas avoir été consultée avant le coup de force du Cavaliere. Dans sa résidence romaine, mardi, Silvio Berlusconi s'est efforcé de recoller les morceaux avec son dauphin, Angelino Alfano, secrétaire du PDL et vice-président du Conseil italien. Raté : en fin d'après-midi, le numéro deux de la formation de droite a appelé le "parti tout entier" à voter la confiance au gouvernement d'Enrico Letta. Plus tôt, une vingtaine de sénateurs PDL avaient déjà évoqué la formation d'un groupe dissident et la menace d'une scission.

Non, il n'y aura pas d'élections anticipées

Dans le pire scénario, le Sénat vote la défiance, forçant le gouvernement Letta à démissionner et poussant le président Giorgio Napolitano à dissoudre les deux chambres pour organiser des élections anticipées. C'est ce que "cherche désespérément" Silvio Berlusconi, pour "repousser l'inéluctable issue de sa déchéance", écrit Le Monde.

Mais le président de la République a formellement exclu l'hypothèse d'élections anticipées en l'absence d'une réforme de la loi électorale actuelle. Selon les derniers sondages, le PDL, le Parti démocrate (PD) et le M5S se partageraient les intentions de vote presque aussi équitablement qu'en février, rendant le pays ingouvernable.

Plus crédible est la possibilité pour Napolitano de renommer directement le président du Conseil sortant à son poste, ou une autre personnalité, chargée de former un gouvernement avec une autre majorité, comprenant des dissidents du M5S et du PDL. "Cette équipe serait chargée d'adopter la loi de finances et une réforme de la loi électorale", explique Marc Lazar, spécialiste de l'Italie, à L'Express. Le nom d'un favori circule déjà, selon La Stampa : Fabrizio Saccomanni, économiste et actuel ministre de l'Economie.

Oui, Berlusconi conserve une "capacité de nuisance"

Ses opposants l'accusent de "prendre le pays en otage" et les observateurs extérieurs le croient capable de semer la pagaille pendant quelques années encore. L'écrivain britannique Tim Parks estime "que Berlusconi possède une grande capacité de nuisance", dans une tribune traduite par Presseurop. D'abord parce qu'il dirige l’un des deux principaux partis du pays, en plus d'être à la tête d'un empire médiatique considérable, trois chaînes de télévision et deux journaux nationaux, pour scander son innocence et accuser la gauche de s'acharner contre lui.

En outre, comme il l'a prouvé aux dernières élections, il est soutenu par une partie de la population. On le croyait enterré, piégé dans le Rubygate et les affaires de corruption, crédité de 18% des intentions de vote, il a atteint 30% des voix. Sa popularité s'émousse, mais lentement. "C’est justement parce qu’il y a un vide à droite que Berlusconi résiste tant", explique Pierre Musso, politologue, à France 24. Et il reste peu probable qu'un leader émerge de la fronde des "colombes" pour faire tomber le "caïman" à la peau si dure.

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