On vous explique la crise politique en Géorgie, déclenchée par le projet de loi sur l'"influence étrangère"
En Géorgie, la colère ne s'éteint pas depuis début avril. Des manifestations mobilisent des dizaines de milliers de personnes à Tbilissi et dans d'autres grandes villes. En cause : un projet de loi sur l'"influence étrangère" à l'initiative du parti au pouvoir et inspiré d'un texte utilisé depuis plus d'une décennie par la Russie.
Les personnalités politiques géorgiennes (dont la présidente Salomé Zourabichvili) et les citoyens mobilisés dénoncent un projet de loi liberticide et contraire aux aspirations européennes du pays. Ces opposants, soutenus par les Occidentaux, sont la cible de violences et menaces, ont affirmé, jeudi 9 mai, deux ONG internationales. Le texte pourrait, lui, être adopté définitivement d'ici quelques jours. Franceinfo vous explique les tenants et les aboutissants de cette crise politique.
Une loi sur l'"influence étrangère" contestée
Un projet de loi sur "l'influence étrangère" a été adopté, le 1er mai, en deuxième lecture par le Parlement. Le parti majoritaire, le Rêve géorgien, souhaite que le vote final ait lieu d'ici la mi-mai. Si le texte entre en vigueur, il exigera que les ONG et organisations médiatiques recevant plus de 20% de leur financement de l'étranger s'enregistrent en tant qu'"organisations poursuivant les intérêts d'une puissance étrangère", sous peine d'amende. Une loi similaire, visant les "agents de l'étranger", est déjà appliquée en Russie depuis 2012. Elle a permis de faire taire de nombreuses voix d'opposants à Vladimir Poutine.
Le gouvernement dirigé par Irakli Kobakhidze parle d'une simple obligation de "transparence". Mais pour ses détracteurs, il va affaiblir les activités des associations concernées. L'opposition y voit également un projet liberticide, contraire au processus d'adhésion à l'Union européenne. Elle accuse l'ancien chef gouvernement et du Rêve géorgien, l'oligarque prorusse Bidzina Ivanichvili, de tirer les ficelles pour mener à bien ce projet. L'exécutif géorgien avait déjà tenté de faire passer un projet de loi similaire en mars 2023, mais avait reculé à la suite de manifestations massives.
Des manifestations violemment réprimées
La contestation gronde dans le pays depuis plus d'un mois, avec des manifestations à Tbilissi et dans les grandes villes. Des rassemblements réguliers, brassant des dizaines de milliers de personnes, ont lieu devant le Parlement et d'autres lieux emblématiques de la capitale, comme la place des Héros, où trône un monument en mémoire des soldats géorgiens morts au combat.
Ces mobilisations sont marquées par de violents affrontements avec la police. Les citoyens reçoivent des "menaces" tandis que les hommes politiques et militants impliqués sont visés par des "agressions et représailles organisées", a dénoncé jeudi l'ONG anticorruption Transparency International. Human Rights Watch a pour sa part déploré que certains manifestants, dont un lycéen de 17 ans, aient été "violemment battus par la police".
Ainsi, le 30 avril, les forces de l'ordre sont intervenues sans avertissement, utilisant du gaz lacrymogène et des balles en caoutchouc, frappant et arrêtant des dizaines de personnes. Levan Khabeichvili, le président du Mouvement national uni, principal parti d'opposition, a publié le 30 avril sur le réseau social X une photo de son visage tuméfié. Plusieurs journalistes ont également été pris pour cible. Le ministère géorgien de l'Intérieur a assuré de son côté que les policiers avaient usé de la force de façon "légitime" car la manifestation était "devenue violente".
Opposée au Premier ministre, la présidente Salomé Zourabichvili veut soutenir les manifestants "jusqu'au bout", a-t-elle déclaré le 2 mai sur France Inter. A l'international, la France a fait part de sa "vive inquiétude" concernant cette répression et a exhorté le gouvernement géorgien "à faire respecter le droit à manifester pacifiquement ainsi que la liberté de la presse". L'Union européenne a aussi condamné la "violence" de la police. L'ONU, elle, a dénoncé un usage "disproportionné de la force".
Un avenir européen compromis par le pouvoir pro-russe
Ce projet de loi est aujourd'hui devenu le symbole d'une Géorgie prise en étau entre les aspirations européennes de ses habitants et la proximité du gouvernement avec la Russie. Le 15 avril, des députés en sont même venus aux mains en plein hémicycle. "La Géorgie n'a jamais été pro-russe et ne le sera jamais", a affirmé sur France Inter Salomé Zourabichvili. "Ce qui est en jeu, c'est l'avenir européen de la Géorgie et c'est plus que l'avenir européen, c'est son indépendance", estime la présidente. Moscou occupe par ailleurs, depuis la guerre russo-géorgienne de 2008, deux régions de la Géorgie, l'Abkhazie et l'Ossétie du Sud.
En décembre, l'UE a accordé à la Géorgie le statut de candidat officiel, mais a estimé que Tbilissi devrait mener des réformes de ses systèmes judiciaire et électoral, accroître la liberté de la presse et limiter le pouvoir des oligarques avant que les négociations d'adhésion ne soient officiellement lancées. "Au-delà de cette loi (...) il y a un certain nombre de lois qui vont dans un sens radicalement contraire à ce que demande l'Union européenne pour ouvrir les négociations d'adhésion à la fin de l'année", s'inquiète Salomé Zourabichvili, alors que 80% des Géorgiens veulent rejoindre l'UE, selon des sondages.
Le texte est du reste critiqué par les Occidentaux. L'UE a plusieurs fois appelé la Géorgie à "garder le cap" vers les Vingt-Sept. A l'occasion de la journée de l'Europe, le président du Conseil européen, Charles Michel, a adressé jeudi un message à Tbilissi. "L'UE soutient pleinement votre désir d'une société démocratique et libre fondée sur l'Etat de droit", a-t-il écrit sur X. Le 2 mai, l'ONU a également exhorté "les autorités géorgiennes à retirer ce projet de loi et à engager un dialogue, notamment avec la société civile et les médias."
Cette crise politique a aussi conduit l'ambassadeur de Géorgie en France à présenter sa démission jeudi. Les "tensions" liées au projet de loi entravent, selon lui, les relations du pays avec ses partenaires étrangers. Dans un entretien au Monde, Gotcha Javakhishvili appelle "au retrait" du texte et espère que sa décision "va faire réfléchir" ceux qui soutiennent son adoption.
Commentaires
Connectez-vous à votre compte franceinfo pour participer à la conversation.