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Témoignages de travailleurs détachés : "Je préfère le cash à la protection sociale"

Francetv info a interrogé un soudeur russo-portugais et un maçon portugais, envoyés en France par des sociétés d'intérim. 

Article rédigé par Salomé Legrand
France Télévisions
Publié Mis à jour
Temps de lecture : 5min
Un soudeur sur un chantier, à Paris, en 2008. (SÉBASTIEN RABANY / PHOTONONSTOP / AFP)

Il aura fallu neuf heures de négociations aux 28 ministres du Travail de l'Union européenne pour se mettre d'accord sur la question des travailleurs détachés. Ces salariés sont embauchés aux conditions du Code du travail du pays dans lequel ils sont envoyés, mais leurs employeurs paient les charges patronales du pays où est implanté leur siège social. Pour les entrepreneurs français, il s'agit de main-d'œuvre à bas coût dont il est facile de se séparer.

Accusée d'avoir débouché sur un fort dumping social, la directive de 1996 va donc être mieux encadrée, à quelques mois des élections européennes. Francetv info a pu contacter deux de ces travailleurs détachés en France. Voici leurs parcours. 

Ievgueni, 36 ans, Russe naturalisé Portugais, soudeur en Mayenne

Né en Sibérie (Russie), Ievgueni, 36 ans, est l'un des travailleurs détachés par une entreprise de travail portugaise en France. Depuis janvier 2013, il travaille pour EMF, un sous-traitant de sous-traitant d’Eiffage sur le chantier de la Ligne à grande vitesse (LGV) Rennes-Le Mans, dont la CGT dénonce les abus"Un ami m'a appelé pour me dire qu'une société en France cherchait dix soudeurs de fer, j'ai postulé", explique-t-il simplement. 

Son parcours ressemble à un tour d'Europe. A l'âge de 16 ans, ses parents quittent la Russie pour l'Ukraine, où il suit un cursus général puis une formation de soudeur en trois ans. Il y effectue son service militaire, pendant deux ans, avant de partir pour la Norvège après avoir répondu à une petite annonce dans un journal. Deux ans plus tard, alors "qu'il est impossible de trouver du travail" en Europe de l'Est, il débarque au Portugal, à Viseu, en 2001.

"Tout le monde savait qu'il allait y avoir du travail grâce à l'Euro de football 2004", explique-t-il en mélangeant russe, anglais, français, espagnol et portugais pour s'exprimer. Il devient donc soudeur de bronze au Portugal. Onze ans plus tard, il a obtenu un passeport européen avec la nationalité portugaise. Ievgueni est père d'un enfant de 10 ans qui réside avec sa compagne au Portugal.  Et sa propre mère a été hospitalisée à deux reprises en Russie. Alors quand on lui parle d'un contrat en France, il saute sur l'occasion, présentée par son ami comme un bon moyen "de faire de l'argent".

"Ici, en France, on est payés 10 euros de l'heure" assure-t-il, mettant surtout en avant qu'il n'a rien à payer "à part la nourriture". Ses frais de transport et son logement sont pris en charge par la société d'intérim portugaise qui l'emploie pour le détacher en France. "Pour l'instant, je préfère le cash à la protection sociale, à la retraite", insiste-t-il. Tout en reconnaissant qu'il espère, "d'ici six mois", pouvoir décrocher un contrat français en bonne et due forme et permettre à sa famille de le rejoindre. 

Joaquim, 49 ans, maçon portugais à Clermont-Ferrand

Le chantier du centre commercial du Grand Carré de Jaude, à Clermont-Ferrand (Puy-de-Dôme), après la chute accidentelle d'une dalle, le 12 juillet 2012. (JÉRÉMIE FULLERINGER / MAXPPP)

"Je travaillais pour Eiffage via un Portugais qui ne m'a pas payé." Voilà comment Joaquim, 49 ans, né à 50 km de Porto, résume sa situation. Après avoir travaillé vingt-cinq ans dans son pays, ce "maçon-ferrailleur-coffreur" de 49 ans alterne petit boulots et chômage, avant d'être tuyauté par "un ami"

Ce dernier le met en relation avec "Paolo", patron d'une entreprise portugaise d'intérim dans le secteur du BTP. On lui promet un salaire de 8 euros de l'heure, contre les 5,25 qu'il gagne au Portugal, et un poste de chef d'équipe. Il arrive fin 2012 sur le chantier du centre commercial Grand Carré de Jaude, à Clermont-Ferrand (Puy-de-Dôme). Deux mois et demi plus tard, il reçoit deux fiches de paie tronquées affichant un salaire de 2,86 euros de l'heure, mais ne touche pas un centime, tout comme neuf collègues. 

En revanche, il a déboursé plus de 150 euros pour louer le mobile home garé sur un parking où ils logent avec les autres ouvriers détachés. Il retourne au Portugal, fait le siège du bureau de "Paolo" toute une journée, de 8 heures à 18 heures. En vain. La secrétaire lui glisse que l'entreprise est en train de changer de nom. Le patron a empoché l'argent du sous-traitant d'Eiffage avec qui il a passé un contrat, mais n'en redistribuera aucun centime. 

En France, le délégué CGT local, Laurent Dias, décide d'épauler Joaquim. Et ce dernier, père de deux enfants de 15 et 18 ans qui vivent toujours au Portugal, vient de retrouver un travail "pour un Turc qui me fait bosser à Marseille, je suis content". Un contrat français d'un mois, payé 11 euros de l'heure.

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