Pegida : comment une poignée d'islamophobes a fait descendre 25 000 personnes dans la rue
Ils étaient 200 en octobre et 25 000 en janvier, à Dresde. Francetv info retrace l'ascension fulgurante des "Patriotes européens contre l'islamisation de l'Occident".
Cheveux plaqués sur la tête, moustache carrée et regard fou. La photo de Lutz Bachmann grimé en Adolf Hitler, révélée dans la presse allemande, mercredi 21 janvier, a porté un sérieux coup à Pegida : le leader des "Patriotes européens contre l'islamisation de l'Occident", qui a réuni des milliers de personnes dans les rues mi-janvier, a dû démissionner dans la foulée. Les Allemands, toujours marqués par le passé nazi du pays, goûtent peu son humour douteux.
Chiens interdits, mais pancartes racistes autorisées
Lorsque le mouvement Pegida démarre, en octobre 2014, les premiers rassemblements sont pourtant loin de ressembler à des défilés de chemises brunes. A Dresde, grosse agglomération conservatrice de plus de 500 000 habitants, ils sont quelques centaines et passent inaperçus pendant plusieurs semaines. Ils arpentent calmement les rues, tous les lundis soir, au cours de "promenades", selon leurs mots, dans lesquelles l’alcool, les bouteilles de verre et les chiens sont bannis. Mais pas les pancartes aux slogans racistes comme "Döner verbot" ("Interdiction des kebabs") ni les photos retouchées de la chancelière Angela Merkel portant le voile à la manière des femmes turques.
L'évènement à l'origine de leur mobilisation ? Une petite manifestation de Kurdes dans le centre de Dresde, qui a fait exploser la colère de Lutz Bachmann. Très agacé, il filme la scène et publie la vidéo sur Youtube, avant de partager sa haine des étrangers sur les réseaux sociaux. Lui, Kathrin Oertel et quelques autres amis décident de s’unir contre "ceux qui portent leurs querelles dans les rues" de Dresde.
Plus de crânes rasés que d'enfants de chœur
Le message se diffuse à grande vitesse. A Dresde, la police de l’Etat de Saxe voit les rangs de Pegida doubler chaque semaine. Ces militants, officiellement "anti-islamisation" reprennent les slogans des "Montagsdemo", les grandes manifestations pacifistes qui à partir du printemps 1989 ont amorcé la révolution qui a conduit à la chute du Mur de Berlin. C’est à une centaine de kilomètres de Dresde, à Leipzig, dans les églises luthériennes, que les premiers groupes clandestins se réunissaient. Mais aujourd’hui, ces églises s’éteignent pendant les "promenades" de Pegida, en signe de désapprobation.
A l’approche des fêtes de fin d’année, près de 20 000 personnes entonnent des chants de Noël chrétiens dans la rue. Dans la foule apparaissent plus de costauds au crâne rasé que d’enfants de choeur, mais aussi des citoyens discrets, issus de la classe moyenne. Entre deux cantiques, la parole raciste se libère. "On n’a pas besoin des étrangers, on a besoin de travail pour les Allemands", revendique une "promeneuse" de Pegida, devant une caméra de France 2.
Les organisateurs verrouillent toute communication, ne s’expriment que sur les réseaux sociaux ou lors de conférences de presse strictement encadrées. Lutz Bachmann et ses partisans se méfient de la "Lügenpresse", la presse menteuse. Un terme qui, comme l’a rappelé le discret président allemand Joachim Gauck, jeudi, "était un cri de guerre nazi".
Pegida accuse les médias de mentir, mais tente tout de même, depuis début janvier, de s’approprier le slogan "Je suis Charlie" qui a déferlé sur la France et de nombreux pays pour défendre la liberté de la presse, après les attentats qui ont fait 17 morts à Paris. Lutz Bachmann sort d’ailleurs sa carte "On vous l’avait bien dit" pour justifier son idéologie, d’autant plus quand son rassemblement du 19 janvier, est annulé, à Dresde, en raison de menaces terroristes.
Un "Hitler-selfie" gênant
Problème : au même moment, des dossiers compromettants pour les leaders commencent à émerger. La presse retrouve le "Hitler-selfie" de Bachmann sur sa page Facebook et la publie. Les explications de l’intéressé, qui invoque l’humour et le Dictateur de Charlie Chaplin, ne convainquent guère...
Kathrin Oertel, son bras droit, répète à l’envi qu’elle est "une femme très normale", mais peine à faire oublier le casier judiciaire d’ancien braqueur de Bachmann, ses liens avec des hooligans d’extrême-droite, ou sa fuite vers l’Afrique du Sud pour échapper à la justice allemande.
A vendre : "Mein Kampf", à partir de 100 euros
C'est peut-être la seule de la bande qui amuse les Allemands. Dans une vidéo vue plus de 500 000 fois, une humoriste parodie les tutoriels qui foisonnent sur Youtube, pour apprendre à se maquiller comme une "Pegida-girl" : les cheveux bien tirés en queue-de-cheval, une "couche bien épaisse de fond de teint deux tons plus sombre que votre peau, pour masquer vos émotions", et surtout "pas de vrais sourcils, car vous n’en avez pas besoin".
Mais il y a plus sulfureux encore dans la galaxie Pegida : Legida, son émanation à Leipzig, plus radicale encore. Cette branche-là compte de véritables nostalgiques de l’Allemagne nazie, dont un avocat proche du NPD, le parti néonazi allemand et Jörg Hoyer. Ce dernier revend sur internet quelques souvenirs du Troisième Reich, raconte Die Welt (en allemand) : des exemplaires de Mein Kampf à 100 euros, des boucles de ceintures de soldats SS, et des médailles militaires des années 1933 à 1945.
Cette vague anti-islam, qui a connu un pic mi-janvier, rencontre désormais une très vive opposition dans la société allemande. A Leipzig, elle s’est fracassée, mercredi 21 janvier, sur les chaînes humaines formées par de jeunes militants proches de l’extrême-gauche, à Leipzig.
Mais l'Allemagne reste en alerte. Ces manifestations ne sont "que la partie émergée de l’iceberg", explique le chercheur en sciences sociales Johannes Kiess à francetv info. Avec Pegida, les propos racistes sont devenus "salonfähig", littéralement "acceptables dans les salons de thé" et un parti politique peut encore en profiter. Les eurosceptiques de Alternative für Deutschland (AfD) ne cachent pas leur volonté de récupérer ces potentiels électeurs.
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