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Migrants : "Il y a un risque d'instrumentalisation des ONG par les gouvernements"

Selon François Gemenne, chercheur à l'université de Liège et à Sciences-Po, "il y a un jeu politique évident" à propos du bateau Lifeline, qui attend, mercredi, l'autorisation d'accoster sur l'île de Malte.

Article rédigé par franceinfo
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Des migrants sur un bateau de sauvetage, avant leur embarquement sur le navire Lifeline, le 22 juin 2018. (AFP PHOTO / HERMINE POSCHMANN / MISSION LIFELINE)

Le spécialiste des flux migratoires François Gemenne alerte mercredi 27 juin sur franceinfo sur "un risque d'instrumentalisation des ONG par les gouvernements", à propos de l'affaire du bateau Lifeline. Le navire, qui transporte 233 migrants, n'a toujours pas reçu l'autorisation d'accoster sur l'île de Malte. Emmanuel Macron a estimé mardi que l'ONG allemande Lifeline agissait "en contravention de toutes les règles et des garde-côtes libyens" et "fait le jeu des passeurs".

franceinfo : Que pensez-vous des déclarations d'Emmanuel Macron ?

François Gemenne : Emmanuel Macron fait un mauvais procès à l'ONG. Ses paroles sont destinées à amadouer l'Italie avant le sommet européen crucial qui s'ouvrira jeudi à Bruxelles. Il y a quelque chose d'un peu indécent à imaginer que les passeurs allaient mettre les migrants à la mer et qu'automatiquement une ONG allait les récupérer. Depuis le début de l'année, il y a déjà eu 972 décès en Méditerranée. Les ONG ne sont pas suffisamment nombreuses pour repérer tous les bateaux en perdition. Il faut rappeler que les migrants quittent la Libye pour fuir un enfer sur Terre où ils subissent des violences, des exactions, où certains sont vendus comme des esclaves.

Est-ce qu'il n'y a pas un risque d'instrumentaliser les ONG de la part des passeurs ?

Il y a surtout, pour le moment, un risque d'instrumentalisation des ONG par les gouvernements. On voit que les gouvernements se livrent à une espèce de partie de ping-pong assez inquiétante, comme si les bateaux des ONG étaient une sorte de balle qu'on peut se renvoyer d'un port à l'autre. Clairement, il y a un jeu politique évident. La raison pour laquelle les passeurs ont à ce point développé leur business, c'est parce que les frontières extérieures de l'Union européenne sont fermées. S'il y avait des voies d'accès sûres et légales, comme le réclament les ONG, le business des passeurs n'aurait plus lieu d'être.

Emmanuel Macron est-il tiraillé entre la dénonciation des populismes et la fermeté migratoire ?

On est dans une sorte de fuite en avant, de branle-bas de combat généralisé où l'on voit bien que c'est le futur de l'Europe lui-même qui est en danger. Aujourd'hui, on ne sait plus quelles solutions développer pour contrer les populistes et les extrémistes et malheureusement, de plus en plus, on est dans une posture schizophrénique où on s'imagine que c'est en adoptant le vocabulaire, les thèses et les mesures des extrémistes qu'on va les combattre. Je pense que c'est une erreur dramatique.

À qui est-ce la faute ?

C'est d'abord la faute des gouvernements européens qui, depuis 20 ans, ont refusé de développer un vrai projet politique en matière d'asile et d'immigration. C'est la faute des gouvernements européens qui, depuis 3 ou 4 ans, ont abandonné des pays comme l'Italie, comme la Grèce, la Hongrie, qui doivent gérer quasiment seuls les arrivés de migrants. C'est aussi la faute des populistes, qui instrumentalisent les arrivées en Méditerranée pour essayer de les projeter comme s'il s'agissait d'une crise. Ils savent qu'ils ont tout à gagner ainsi.

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