"Aquarius", "Lifeline"… Que dit le droit international sur le sauvetage des migrants en mer ?
La situation est confuse en Méditerranée, entre les sauvetages opérés par les gardes-côtes libyens et des navires humanitaires et le refus de l'Italie, notamment, de voir ces migrants accoster sur son sol.
Le scénario se répète. Après le périple de l'Aquarius et de ses 630 migrants, qui ont dû faire route vers l'Espagne après s'être vu refuser l'accostage en Italie et à Malte, le navire Lifeline de l'ONG allemande du même nom est à son tour bloqué en mer Méditerranée, avec 234 migrants à bord. Selon le porte-parole du gouvernement français, Benjamin Griveaux, "une solution européenne semble se dessiner" avec un possible "débarquement à Malte", mardi 26 juin.
Que dit le droit maritime international en la matière ? Franceinfo fait le point.
Qui doit porter secours aux migrants en détresse ?
Plusieurs conventions internationales régissent les sauvetages en mer. La Convention internationale de 1974 pour la sauvegarde de la vie humaine en mer prévoit qu'un capitaine de navire qui reçoit un message de détresse doit porter immédiatement secours aux personnes concernées.
Une autre convention, celle de 1979 sur la recherche et le sauvetage maritimes, "précise les obligations des États", explique Jean-Pierre Beurier, professeur de droit à l’université de Nantes, dans Ouest-France. "Ceux-ci sont en charge d’une zone de responsabilité pour la recherche et le sauvetage en mer. Ils doivent mettre en place un ou plusieurs centres de coordination [MRCC, Maritime Rescue Coordination Centers] avec les moyens nécessaires." Depuis cette convention, un accord délimitant des zones de sauvetage a été passé entre les États bordant la Méditerranée.
Enfin, la convention des Nations unies sur le droit de la mer, datant de 1982, prévoit dans son article 98 l'obligation de prêter assistance en haute mer à toute personne en détresse.
Dans le cas du Lifeline, Rome accuse l'ONG allemande d'avoir agi en contravention du droit international en prenant à son bord les migrants alors que les gardes-côtes libyens étaient en train d'intervenir. "Le fait que des gardes-côtes libyens soient déjà en train d’intervenir n’empêche pas d’autres de porter aussi secours", estime Marie-Laure Basilien-Gainche, professeure de droit public à l’université Lyon-3, dans Le Parisien.
Des migrants recueillis sur un navire peuvent-ils être considérés en état de détresse ?
"Tout dépend de ce que l’on entend par sauvetage en mer, explique dans La Croix Christian Buchet, directeur du Centre d’étude de la mer de l’Institut catholique de Paris. Il y a bien obligation de porter assistance à des gens en détresse. Mais cette obligation concerne-t-elle des gens à bord d’un bateau comme l’Aquarius ? Certains avocats vont diront oui, d’autres non."
Au-delà du sauvetage en mer se pose rapidement la question de l'accueil sur la terre ferme. Une urgence humanitaire à bord pourrait contraindre un État à donner accès à ses ports. "Si le pays exerce un contrôle sur le bateau et s'il y a à bord des migrants en détresse et qu'aucun accord n'a pu être trouvé avec un autre pays pour les accueillir, il ne devrait pas tergiverser mais les accepter", souligne auprès de l'AFP Leonard Doyle, porte-parole de l'Organisation internationale pour les migrations (OIM), une agence de l'ONU.
Dans le cas de l'Aquarius, le Haut-Commissariat de l'ONU pour les réfugiés (HCR) a estimé que le manque de nourriture à bord créait "un impératif humanitaire urgent" pour l'Italie et Malte de laisser le bateau accoster.
Quel État doit organiser le débarquement sur son sol ?
C'est le nerf de la guerre. D'après le HCR, "le droit maritime international ne fournit pas d'obligations spécifiques qui détermineraient dans tous les cas quel État est en charge d'autoriser le débarquement sur son sol".
Mais cela ne signifie pas que lorsqu'un navire avec un grand nombre de migrants vulnérables approche de ses côtes, un pays peut simplement brandir un signal d'interdiction et se laver les mains de la suite.
Le HCR souligne également que des "traités clés" prévoient qu'une nation "responsable d'une zone de recherche et de sauvetage où se déroule un sauvetage est tenue d'exercer 'la responsabilité primaire'" de coordonner un débarquement en toute sécurité.
"Le nord des côtes de la Libye est une zone grise où il n'y a aucun Centre de coordination de sauvetage maritime compétent, explique à franceinfo Antoine Laurent, responsable des opérations maritimes pour l'ONG SOS Méditerranée. L'Italie, depuis une dizaine d'années, s'est portée 'volontaire' pour assurer la coordination et même les sauvetages. C'est la première fois que le MRCC de Rome se déclare incompétent."
Selon la ministre française chargée des Affaires européennes, Nathalie Loiseau, c'est bien à l'Italie ou à Malte de prendre en charge le Lifeline. "La France rappelle le droit international : lorsque vous avez un bateau et que vous faites du sauvetage en mer – c'est le cas des passagers du Lifeline –, vous les débarquez sur le port sûr le plus proche (...) C'est Malte ou c'est l'Italie", a-t-elle déclaré sur France 2.
Les navires peuvent-ils accoster en Libye ?
"Les États sont obligés de coopérer afin de trouver un lieu sûr pour débarquer les migrants secourus dans leur zone de recherche et de sauvetage", explique le porte-parole de l'OIM, Leonard Doyle.
"L’État qui a la responsabilité de faire du sauvetage en mer dans une zone a l’obligation de conduire les personnes vers un lieu sûr", confirme Céline Schmitt, porte-parole du HCR, dans La Croix. Il ne s'agit pas forcément de l'un de ses ports. Mais ce qui est certain, rappelle Le Parisien, c’est que les ports libyens ne sont pas considérés comme des endroits sûrs vu les persécutions que risquent de subir les réfugiés dans ce pays.
Le pays où le débarquement a lieu doit-il gérer les demandes d'asile ?
Le HCR rappelle que même si un pays laisse accoster un navire, cela ne signifie pas qu'il assume la responsabilité à long terme des migrants. "Un État qui autorise le débarquement sur son territoire de personnes secourues – en particulier dans des situations impliquant un grand nombre de personnes – ne doit pas, du point de vue du HCR, être seul responsable de fournir des solutions durables sur son propre sol", précise l'agence de l'ONU.
Reste que le règlement de Dublin, adopté par l’Union européenne, prévoit que la demande d’asile des migrants, s'ils peuvent prétendre au statut de réfugié, doit être traitée par le premier pays d’entrée. Ensuite, "les pays européens ont adopté le principe de se répartir les demandeurs d’asile au prorata de leur population. Mais aucun quota n’a été fixé, l’Autriche et les pays de l’est de l’Europe se refusant à accueillir un seul migrant sur leur sol, rappelle le professeur de droit Jean-Pierre Beurier. L’Italie se trouve donc seule à faire face à l’afflux de migrants qui débarquent dans ses ports."
Commentaires
Connectez-vous à votre compte franceinfo pour participer à la conversation.