: Reportage Guerre en Ukraine : "On est à bout de forces tellement on est bombardés", raconte une habitante de Kherson
Libérée depuis un an, la ville de Kherson respire au rythme des tirs russes, depuis l’autre côté du fleuve. Plus d'une centaine de frappes s'y écrase chaque jour depuis des mois. Une stratégie d’épuisement pour fixer les soldats ukrainiens en un point et les contraindre à utiliser leurs munitions. Stratégie d’épuisement aussi de la population, obligée de vivre sous le feu constant de l’ennemi.
Des nuits passées dans les abris
À Kherson, nuit et jour, cela ne s'arrête jamais. Le bruit sourd des obus qui s'écrasent, le tremblement au sol. Le départ sec des roquettes… Et chaque soir, au 10, place de l'indépendance, au pied des barres d'immeubles, un même rituel pour les habitants… Dans le noir, pousser la porte métallique, descendre quinze marches, soulever un rideau… Et comme tous les soirs depuis des mois, retrouver les mêmes, ou presque. La dame du premier étage, le papa du quatrième et ses deux fils. Les lits de camp, les couvertures. Un sapin de Noël est allumé dans un coin. La vieille dame en robe de chambre fuchsia a enfoncé ses écouteurs dans les oreilles, pour ne rien entendre. "On s'est habitué, ça va aller", dit-elle dans un souffle, presque inaudible.
"Les gens ont peur, ça tire jour et nuit"
Maryna, habitante de Kherson en Ukraineà franceinfo
Et puis il y a Alla et son bonnet en laine. Le mois dernier, au quatrième étage, à 20h30, un missile a traversé son salon et tout dévasté, provoquant une apocalypse silencieuse de poussière et de ferraille. La puissance de l’explosion l’a laissée sourde. "On survit à des frappes monstrueuses, les mortiers, les roquettes. Ces sales russes pensent qu'ici, il y a des missiles, des chars, des militaires. Mais ici, à part des retraités, il n'y a personne. On est à bout de forces tellement on est bombardés. Mais ils n'arriveront à rien", raconte-t-elle.
Le missile est tombé au moment où l’armée ukrainienne réussissait à reprendre pied sur la rive gauche du Dniepr, d’où les Russes bombardent Kherson sans répit. Maryna s’occupe de l’abri. "Quand il y a des frappes intenses de Grad ou de missiles, il y a jusqu'à 40 personnes ici", explique-t-elle. "Les gens descendent pour se reposer, pour dormir parce qu'ils travaillent", ajoute-t-elle.
Les soldats ukrainiens manquent de munitions pour riposter
Dehors, derrière l’artillerie, comme un bruit de mobylette, et des explosions : les drones sont aussi partis à l'attaque. "On a survécu à un an d'occupation russe et enfin nos militaires sont arrivés. On était tellement contents, mais bien sûr, effrayés quand les Russes ont commencé à nous bombarder depuis l'autre rive. C'était terrifiant. Et plus on les repousse, plus ils répliquent, avec toujours plus d'artillerie lourde", déplore cette civile.
Dans l’abri, personne ne parle. Le silence est entrecoupé des détonations. "L’horreur", souffle la vieille dame aux écouteurs. Et puis d’un coup, elle lève un poing en l’air, joyeuse. "C’est un des nôtres ! " Ici, tout le monde sait faire la différence, les obus ukrainiens, ceux de l’ennemi. Mais tout le monde aussi l'a remarqué, les Ukrainiens n’arrivent plus à suivre la cadence. Les munitions manquent. Dans les lits, les corps s'immobilisent. À la levée du couvre-feu, l'abri se vide de ces silhouettes fatiguées. Chacun repart, attend la bombe, le drone, le missile qui viendra frapper. Dans le lointain, les canons n'ont pas cessé de tonner.
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