Guerre en Ukraine : ce que l'on sait des progrès de l'armée ukrainienne sur la rive gauche du Dnipro
Une avancée après plusieurs mois de stagnation ? L'Ukraine a déclaré, dimanche 19 novembre, avoir repoussé les forces russes sur la rive gauche du fleuve Dnipro. "Les chiffres préliminaires varient de 3 à 8 km, en fonction des spécificités, de la géographie et de la topographie de la rive gauche", a précisé Natalia Goumeniouk, une porte-parole de l'armée, à la télévision ukrainienne.
Deux jours plus tard, le ministre russe de la Défense, Sergueï Choïgou, a assuré que "toutes les tentatives des forces armées ukrainiennes de mener une opération de débarquement dans la direction de [la région] de Kherson ont échoué". Franceinfo fait le point sur ces avancées ukrainiennes et leur éventuel impact, près de vingt-et-un mois après le début de l'invasion russe de l'Ukraine.
Des îles conquises dans une zone marécageuse
Selon Natalia Goumeniouk, citée par Le Monde, la zone désormais tenue par des forces ukrainiennes serait longue d'une cinquantaine de kilomètres et large "de 3 à 8 km" sur la rive gauche du Dnipro. De son côté, le responsable des zones occupées de la région de Kherson, Vladimir Saldo, a fait état d'"environ une compagnie et demi" de soldats ukrainiens présents au niveau du village de Krynky, à quelques dizaines de kilomètres de Kherson.
L'Institute for the Study of War (ISW), dans son dernier point de situation sur la guerre en Ukraine, ajoute que les forces ukrainiennes "'ont continué leurs opérations sur la rive gauche de l'oblast de Kherson le 20 novembre et ont visiblement avancé". Le centre de recherche cite des blogueurs russes évoquant des avancées ukrainiennes dans l'ouest de Krynky, et la poursuite des combats autour du village.
"Quand les Ukrainiens parlent d'avancées en profondeur, cela veut dire qu'ils ont pris une partie des îles et des marécages" le long de cette partie de la rive gauche du Dnipro, précise Ulrich Bounat, chercheur auprès de l'Institut Open Diplomacy, spécialiste de l'Europe centrale et de l'Est.
"Il semblerait que ces diverses incursions [ukrainiennes] aient abouti à quelque chose de plus structuré. Nous ne parlons plus simplement de raids, mais d'une tentative d’installation avec des hommes qui restent sur place."
Ulrich Bounat, chercheur à l'Institut Open Diplomacyà franceinfo
Vendredi, la Marine ukrainienne avait déclaré sur Facebook que "les marines ukrainiens, en coopération avec d'autres unités des forces de défense, ont réussi à prendre pied sur plusieurs têtes de pont". Ce terme décrit les zones conquises au sein d'un territoire occupé par une force ennemie, et qui doivent permettre le déploiement des troupes. "L'usage du terme est peut-être quelque peu prématuré", tempère Ulrich Bounat. "Une tête de pont impliquerait une installation logistiquement solide. Nous sommes davantage sur une étape préparatoire à la constitution de têtes de pont."
Des incursions menées depuis plusieurs mois
Comme l'explique Le Monde, l'armée ukrainienne franchit de façon régulière le fleuve Dnipro depuis la libération de la ville de Kherson, il y a un an. "Ils viennent cartographier les rives et les plages, pour notamment déterminer la position des mines fluviales russes", observe le consultant en risques internationaux Stéphane Audrand dans le quotidien. Ces forces interviennent souvent la nuit pour se protéger des drones russes et n'agissent que quelques heures.
De telles incursions ont de plus en plus lieu depuis le mois de juin. Ulrich Bounat évoque "essentiellement des raids par les forces spéciales, pour déloger les positions des mortiers russes tirant sur Kherson, et pour forcer les Russes à stationner des hommes un peu plus sur place".
Le Monde rapporte qu'au fil des derniers mois, les troupes ukrainiennes ont réussi à se maintenir sur plusieurs positions de la rive gauche du Dnipro. Le journal cite notamment des zones au niveau des ponts routier et ferroviaire d'Antonivsky, puis des prises de position progressives jusqu'à Krynky.
Des avancées "symboliquement très importantes"
L'un des objectifs de l'armée ukrainienne, avec ces incursions, est de protéger davantage les civils de la rive droite du Dnipro des tirs russes, en repoussant le plus possible les forces de Moscou. Il s'agit aussi d'entraîner une mobilisation russe plus poussée dans cette région, ce qui réduirait la pression sur d'autres points de la ligne de front.
L'impact de ces incursions est bien sûr limité à ce stade, pointent les analystes. "Compte tenu de la petite taille actuelle de ces têtes de pont, la probabilité que les Ukrainiens aient un impact significatif sur les lignes de communication ou les lignes logistiques russes est incroyablement faible", relève l'analyste Konrad Muzyka dans le New York Times.
"Si les Ukrainiens arrivent à réellement créer des têtes de pont, à les élargir et à transférer du matériel, et si les Russes reculent, alors cela pourrait devenir vraiment intéressant."
Ulrich Bounat, chercheur à l'Institut Open Diplomacyà franceinfo
Si ces avancées ne changent pas la donne du conflit pour l'instant, "elles sont symboliquement très importantes pour des Ukrainiens sevrés d'avancées et de victoires depuis un bon moment", souligne le chercheur. Les annonces sur ces progrès envoient aussi un signal positif aux alliés de l'Ukraine, notamment aux pays qui, à l'instar des Etats-Unis, fournissent une aide militaire cruciale à Kiev.
Des progressions décisives à l'avenir ?
En avançant peu à peu sur la rive gauche du Dnipro, les forces ukrainiennes pourraient-elles préparer une percée décisive dans le sud de l'Ukraine, occupé par les troupes russes ? Deux options se présentent "si les Ukrainiens parviennent à prendre pied de l'autre côté du Dnipro", analyse Ulrich Bounat : la perspective d'une avancée vers la Crimée annexée ou vers la ville de Melitopol.
Quel que soit le scénario, la tâche s'annonce particulièrement complexe. "Le premier obstacle est la traversée du fleuve. (...) Cela suppose de construire des ponts flottants, d'aller plus en profondeur", poursuit l'analyste. De tels ponts s'exposent à des frappes russes et l'environnement marécageux, dans cette zone de la rive gauche du Dnipro, n'est pas simple pour des manœuvres militaires, "surtout en période automnale".
"Quelle va être la capacité ukrainienne à engager énormément de forces [pour parvenir à ces avancées] ? Ce n'est pas très clair. Je ne suis pas convaincu que l'Ukraine puisse engager un tel effort de guerre soutenu, en hommes et en matériel."
Ulrich Bounat, chercheur à l'Institut Open Diplomacyà franceinfo
Dans le New York Times, Konrad Muzyka juge que les forces ukrainiennes "ne sont tout simplement" pas en capacité de se rapprocher de la Crimée. L'objectif des troupes de Kiev pourrait être de maintenir et de consolider ces têtes de pont près de Kherson, "puis de les étendre où cela est possible", poursuit l'analyste. Avant, potentiellement, une avancée plus poussée l'an prochain.
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