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Reportage Guerre en Ukraine : en Moldavie, pays le plus pauvre d'Europe, des milliers de réfugiés accueillis avec "hospitalité" et "solidarité"

Article rédigé par Fabien Jannic-Cherbonnel - envoyé spécial à Chisinau en Moldavie
France Télévisions
Publié Mis à jour
Temps de lecture : 8 min
Tatiana, Elena et ses deux frères ont fui Odessa (Ukraine) avant d'arriver dans ce centre d'accueil pour réfugiés à Chișinău (Moldavie), le 12 mars 2022. (FABIEN JANNIC-CHERBONNEL / FRANCEINFO)

Au moins 100 000 réfugiés ukrainiens sont arrivés en Moldavie depuis le début de la guerre en Ukraine. Un afflux important, pour le pays le plus pauvre d'Europe et ses 2,6 millions d'habitants.

Assise sur le coin d'un lit à la couverture bariolée, Elena regarde d'un œil fatigué un petit chihuahua noir, intrigué par notre venue dans ce centre d'accueil pour réfugiés de Chisinau, la capitale de la Moldavie. Cette Ukrainienne d'une vingtaine d'années est arrivée dans la nuit, avec ses deux frères et sa mère, Tatiana. Enceinte, Elena peut "donner naissance à tout moment". La mère et la fille ont décidé de quitter Odessa, à 200 km de la capitale moldave, vendredi 11 mars, après le bombardement d'une maternité à Marioupol. Elles ont laissé derrière leurs maris, chargés de "défendre" la mère de Tatiana, "trop vieille pour partir".

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"Fatiguées mais heureuses", les deux femmes, qui partagent le même regard d'un bleu perçant, ont conduit huit heures, avant d'arriver à la frontière moldave, dans le sud du pays. Comme elles, près de 400 personnes sont passées par ce centre d'accueil, dans un complexe sportif de l'Académie d'études économique transformé en dortoir, cantine et centre de donation depuis le début de l'invasion russe en Ukraine.

Tatiana, au fond, Elena et ses deux frères, arrivés d'Odessa (Ukraine) dans un centre d'accueil des réfugiés, à Chisinau (Moldavie) le 12 mars. (FABIEN JANNIC-CHERBONNEL / FRANCEINFO)

"Nous pouvons aussi devenir des réfugiés"

L'équipe en charge du centre, menée par Marian Stan, cheveux blancs et regard rieur, est bien rodée. A droite de l'entrée du bâtiment, les réfugiés arrivent pour s'enregistrer et "être conseillés sur leurs droits". Dans la même pièce, sont entassés des couches pour enfants, des cadres de lits, des vêtements et de la nourriture. "Des donations des Moldaves" plus que "nécessaires" pour subvenir aux besoins des réfugiés. Comme Marian et Diana, de nombreux Moldaves se sont donné pour mission d'accueillir ceux et celles qui fuient la guerre. "J'ai compris que ça pouvait arriver ici, que nous aussi nous pouvions nous transformer en réfugiés", raconte Marian, qui alterne entre le français, le roumain (la langue officielle de la Moldavie) et le russe.

Chisinau, la capitale de la Moldavie, est située à 200 km de la ville stratégique d'Odessa, en Ukraine. (PIERRE-ALBERT JOSSERAND / FRANCEINFO)

Selon les chiffres du ministre des Affaires étrangères moldave en date du 13 mars, 101 000 réfugiés étaient présents dans le pays, sur les 328 000 entrés sur le territoire depuis le début du conflit. En proportion de sa population, 2,6 millions d'habitants, la Moldavie est le pays qui accueille le plus grand nombre d'exilés. Un challenge logistique et humain immense pour la nation la plus pauvre d'Europe, où le salaire moyen avoisine les 150 euros. Pourtant, l'Etat moldave a réussi à établir une organisation fonctionnelle en très peu de temps, grâce à la solidarité des Moldaves avec "leurs frères et sœurs" ukrainiens.

Des jouets en bois offerts aux enfants

A 40 minutes au sud de la capitale, Igor Hîncu et son épouse, Victoria, aident à plein temps les réfugiés. L'artisan et patron d'EducJoc, qui produit des jouets en bois, nous a donné rendez-vous dans son atelier, au cœur du village de Florini, typiquement moldave avec ses petites rues et ses maisons aux couleurs pastel. Le petit local d'Igor, rempli de jouets et de cartes de pays européens, sent la fumée. Ses outils tournent à plein régime depuis le début de la guerre. L'homme fabrique et distribue gratuitement ses produits, notamment une carte puzzle aux couleurs de l'Ukraine, aux enfants réfugiés.

Une carte puzzle de l'Ukraine, dans l'atelier d'Igor Hîncu, à Florini (Moldavie) le 11 mars 2022. (FABIEN JANNIC-CHERBONNEL / FRANCEINFO)

L'idée d'aider s'est imposée très vite. Le samedi suivant le début de la guerre, Igor "tourne en rond". C'est son anniversaire "mais il n'a pas le cœur à le célébrer". L'homme reçoit alors un appel de l'Unicef lui demandant des jouets. "Là, je me suis dit que l'on avait une tâche, que l'on pouvait aider et apporter quelque chose de positif à des enfants souvent traumatisés", explique-t-il en sirotant son thé. Une campagne de crowdfunding a depuis été lancée "en Allemagne" avec l'espoir de poursuivre la mission.

Fietz, à gauche, et Igor Hîncu, à droite, posent avec les jouets en bois donnés à aux enfants ukrainiens réfugiés en Moldavie, le 11 mars 2022. (FABIEN JANNIC-CHERBONNEL / FRANCEINFO)

En plus des jouets, Igor, Victoria et leurs deux enfants ont accueilli une quinzaine de personnes depuis le début de la guerre. La plupart des Ukrainiens arrivent désorientés, "effrayés", il faut donc "gagner leur confiance". "Une femme, venue avec son fils, était très méfiante, mais on a tout fait pour la rassurer, raconte Igor en souriant. Le lendemain, elle est partie à l'aéroport pour rallier Istanbul et elle m'a laissé sa voiture et les clefs." La famille est "toujours en contact" avec ceux qui sont partis. Même si "Victoria est fatiguée", la porte restera ouverte tant qu'il le faudra. "Nous avons beau être le pays le plus pauvre d'Europe, nous voulons aider et surtout partager la paix", souffle Igor en regardant la neige tomber.

"Moldova for Peace"

De retour à Chisinau, enveloppée d'un manteau blanc inhabituel pour le mois de mars, impossible de rater les plaques d'immatriculations ukrainiennes. Des drapeaux ukrainiens et européens flottent sur de nombreux bâtiments officiels, tandis que les appels à la solidarité se multiplient sur les panneaux publicitaires. Un logo revient fréquemment : celui de Moldova for Peace (la Moldavie pour la paix), un groupe de bénévoles qui chapeaute, pour le gouvernement, l'accueil des réfugiés.

L'équipe occupe dans une salle aux grands rideaux de velours ocre, dans l'immeuble du gouvernement central, un bâtiment massif aux allures soviétiques. La pièce, une salle de conférence dans une autre vie, est le centre de commande de Moldova for Peace. L'agitation est palpable. La fatigue se lit sur les visages des bénévoles.

La pièce occupée par "Moldova for Peace" qui coordonne l'accueille des réfugiés pour le gouvernement, à Chisinau (Moldavie) le 11 mars 2022. (FABIEN JANNIC-CHERBONNEL / FRANCEINFO)

"C'est d'ici que nous prenons en charge les besoins spéciaux des réfugiés", explique la coordinatrice Mariana Turcanu, derrière ses lunettes rectangulaires. Un centre a besoin de nourriture pour enfant ? Un réfugié cherche un membre de sa famille ? Un car doit être affrété près de la frontière ? C'est ici que le problème sera résolu. Alex, chargé de répondre au téléphone qui sonne sans cesse, soupire. Dans un coin de la pièce, de la nourriture et du café sont en libre-service. Certains ont passé des nuits entières ici. Les émotions sont fortes, pas un jour ne passe "sans des pleurs".

La Moldavie n'avait jamais accueilli autant réfugiés auparavant. "Nous avons appris en faisant", concède bien volontiers Mariana Turcanu, qui doit coordonner l'aide fournie par les Moldaves, mais aussi le gouvernement et les organisations internationales comme l'ONU ou Unicef. "Un tango non pas à deux, mais à six." Mais si les bénévoles se démènent, ici et dans les centres répartis dans tout le pays, "rien n'aurait été possible sans l'hospitalité moldave". Plus de deux tiers des réfugiés présents en Moldavie sont hébergés par des particuliers. "Un modèle unique", permis par le fait que "la plupart des gens ici parlent russe ou ukrainien". Victoria, qui s'occupe d'organiser les transports, nous confie d'ailleurs qu'une campagne de remerciement à destination de la population moldave est en préparation.

"Nous avons besoin du soutien de l'Europe"

Marcel Spatari, jeune ministre du Travail et de la sécurité sociale, espère voir durer cet élan de solidarité. "C'est logique que cela se passe bien, nous avons de très bonnes relations avec l'Ukraine et la Roumanie", nous explique-t-il entre deux réunions, dans un français parfait. Cela durera-t-il ? Il y a d'abord la question financière. "Nous dépensons beaucoup d'argent, rien que l'accueil coûte 5 millions d'euros, soit près de 1% du budget annuel de l'Etat", souligne-t-il. De l'aide internationale, notamment de l'ONU et de l'Union européenne (UE), est en route.

"Nous recevons 30 à 40 000 personnes par jour, c'est gérable, que se passera-t-il si l'on atteint 100 000 ?"

Marcel Spitari, ministre moldave du Travail et de la sécurité sociale

à franceinfo

Surtout, le ministre veut s'assurer de l'adhésion de sa population sur le long terme. "Nous avons peu d'argent et beaucoup de personnes vulnérables. Dans quelques mois, voire quelques semaines, les gens vont se demander pourquoi on ne s'occupe pas d'eux." La réponse du gouvernement a été cette semaine d'augmenter "les pensions et le salaire minimum". Le long terme, c'est aussi ce à quoi pense Mariana Turcani : "Il va falloir intégrer ces gens dans le marché du travail. Il va aussi falloir trouver des livres, des enseignants car nous en manquons… Un enfant sur huit présent en Moldavie en ce moment est ukrainien."

La Moldavie ne pourra pas gérer seule cette crise. Jugeant le pays débordé par l'afflux de réfugiés, la Première ministre en a appelé à l'Europe. "Nous avons besoin du soutien de l'Europe, notamment pour la nourriture, insiste aussi Mariana Turcani. Nous partageons les mêmes valeurs, nous les défendons ici." Si des dons arrivent en provenance de l'ouest du continent, des promesses ont aussi été faites en matière de relocalisation des réfugiés. La France et l'Allemagne devraient en accueillir 2 500 chacune.

La plupart des réfugiés arrivés en Moldavie devront résoudre le même dilemme : quitter ou non le pays. Elena et Tatiana ne savent pas encore ce qu'elles vont faire. Demain, elles devront décider si elles restent chez ce voisin "proche d'Odessa" pour y retourner vite "si la guerre s'arrête", ou si elles partent pour un pays de l'UE. Pour l'instant, une nuit de sommeil loin des bombes, une oreille pour écouter leur histoire et le sourire d'un bénévole du centre d'accueil suffiront.

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