Guerre en Ukraine : six questions sur le retrait russe de l'accord sur les exportations de céréales
Moscou a annoncé la fin "de facto" de l'accord sur l'exportation des céréales ukrainiennes, lundi 17 juillet, quelques heures avant son expiration. La Russie reprendra "immédiatement" leur mise en œuvre quand les demandes de la partie russe seront remplies, a déclaré Dmitri Peskov, porte-parole du Kremlin. La Russie a officiellement notifié à la Turquie, à l'Ukraine et à l'ONU son refus de prolonger cet accord dans les conditions actuelles, a ajouté Maria Zakharova, porte-parole du ministère des Affaires étrangères, citée par l'agence RIA Novosti.
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En 2022, ce compromis avait permis le transfert de 32,9 millions de tonnes de céréales destinées aux marchés mondiaux, en garantissant le passage sécurisé des cargos depuis et vers les ports ukrainiens, malgré la guerre. Le week-end du 15-16 juillet, une dernière fois, la Turquie et l'ONU ont encore tenté de convaincre Moscou de prolonger cet accord, qui avait été signé en juillet 2022 puis reconduit à deux reprises. Franceinfo répond à six questions soulevées par cette décision.
1Que signifie la fin de l'accord ?
Cette décision, à très court terme, signifie que la Russie retire ses garanties de sécurité offertes dans le corridor maritime mis en place en mer Noire. Moscou annonce également la dissolution du centre de coordination conjoint, installé à Istanbul, qui supervisait les inspections des navires à destination et en provenance de l'Ukraine, avec des équipes internationales. Au total, trois ports ukrainiens étaient concernés par cet accord : Odessa, Chornomorsk et Youjni-Pivdennyi. Mais l'initiative battait récemment de l'aile... Plus aucun navire n'était parti d'Ukraine depuis le 27 juin, quand le vraquier turc TQ Samsun avait quitté Odessa.
Jusqu'ici, plus d'un millier de navires sont parvenus à exporter leurs cargaisons, avec un pic à l'été 2022. Il n'est pas certain que les exportations reprennent de sitôt. Le président ukrainien Volodymyr Zelensky a pour sa part affirmé que son pays était prêt à continuer les exportations via le corridor, même sans garantie de sécurité. "Nous n'avons pas peur", a-t-il déclaré, selon des propos rapportés par son porte-parole Serguiï Nykyforov sur Facebook. Mais à ce stade, il est encore trop tôt pour considérer le sérieux d'une telle option et pour estimer les coûts réclamés par les compagnies d'assurance dans de telles conditions.
2Comment cette décision est-elle justifiée par Moscou ?
La Russie invoque trois arguments pour justifier sa décision. Le président russe Vladimir Poutine a d'abord dénoncé à plusieurs reprises les obstacles à l'exportation des produits alimentaires et engrais russes, en raison des sanctions mises en place contre le pays. Moscou réclame également que la banque agricole russe, Rosselkhozbank, soit réintégrée au système de règlements interbancaires Swift. Moscou, ensuite, accuse l'Ukraine d'avoir utilisé ses ports d'Odessa pour mener des attaques "terroristes".
>> Quelles sont les exigences de la Russie pour prolonger l'accord sur l'exportation des céréales ?
Le président russe estime que "le principal objectif de l'accord, la livraison de céréales aux pays dans le besoin, notamment sur le continent africain" n'a "pas été réalisé", selon le communiqué publié samedi, après un entretien avec son homologue malgache, Cyril Ramaphosa. Les pays les plus pauvres n'ont reçu que 3% des céréales exportées, selon le ministère, contre 70% pour les pays au revenu élevé.
3 Quels pays ont bénéficié de l'accord ?
Les Nations unies classent les pays en quatre catégories : à faible revenu, à revenu intermédiaire de la tranche inférieure, à revenu intermédiaire de la tranche supérieure et à revenu élevé. Selon ses données actualisées en direct, 2,5% des exportations ont été expédiées vers la première catégorie, 17,13% dans la deuxième, 36,65% dans la troisième et 43,59% dans la dernière. Si l'on tient compte de la classification par catégorie de développement économique, 57% des exportations l'ont été à destination de pays en développement, contre 43% vers des pays développés.
Mais ces données doivent encore être affinées par produit, notamment pour le blé et le maïs (25,8 millions au total). Environ la moitié du maïs a été envoyée aux pays à haut revenu, contre 41% vers les pays à revenu intermédiaire supérieur et 10% pour les pays à faible revenu. Et 38% du blé est parti pour les pays à haut revenu, contre 34% pour les pays à revenu intermédiaire supérieur, 19% pour les pays à revenu intermédiaire inférieur et 9% aux pays à faible revenu.
L'ONU avait elle-même affrété des navires pour acheminer de l'aide vers la Corne de l'Afrique et le Yémen portant sur un total de 320 000 tonnes, financées sur le budget du Programme alimentaire mondial (PAM). En 2021, souligne l'agence Reuters, l'Ukraine était la principale source du PAM, lui fournissant 20% des achats. "La Russie joue à des jeux politiques, et de vrais gens vont souffrir, a commenté l'ambassadrice américaine à l'ONU, Linda Thomas-Greenfield. Un enfant dans la Corne de l'Afrique souffrant de malnutrition sévère, une mère qui ne produira plus de lait pour son bébé parce qu'elle n'a pas assez à manger pour elle-même".
4Faut-il craindre des conséquences sur les cours ?
A moyen terme, et "par effet rebond, cela peut faire grimper les prix à date qui sont plutôt stables, voire en légère diminution", avait déclaré sur franceinfo le ministre de l'Agriculture Marc Fesneau, avant même l'annonce russe. Reste à savoir comment réagiront les bourses mondiales. Les cours du blé américain ont augmenté dans la matinée de lundi (260 dollars la tonne), accélérant la tendance observée les jours précédents, lors des ultimes négociations nimbées d'incertitude. Bien loin, toutefois, des pics à 400 dollars observés en 2022.
"Le principal exportateur sur le marché mondial du blé, c'est tout simplement la Russie", rappelle sur franceinfo l'économiste Philippe Chalmin, professeur émérite à l'université Paris-Dauphine. "Sur le marché du blé, qui est le marché de la céréale alimentaire humaine, l'Ukraine pèse quand même relativement peu", ajoute-t-il également, en rappelant que le maïs, à destination de l'alimentation animale, représentait 30 des 50 millions de tonnes de céréales exportées par l'Ukraine l'an passé.
Les menaces de la Russie de suspendre sa participation à l'initiative entraîneront une "hausse de la volatilité des prix", soulignait tout de même la Banque mondiale en juin. Le secrétaire général de l'ONU, Antonio Guterres, a déclaré que des centaines de millions de personnes allaient "payer le prix" de la décision russe, alors que les consommateurs sont déjà "confrontés à une crise mondiale du coût de la vie".
5Est-il possible de passer par l'Europe de l'Est ?
C'est déjà le cas, en partie, mais les volumes concernés sont déjà conséquents. Un quart environ de la production de céréales est déjà acheminé par la voie ferrée, et un autre quart par les ports fluviaux du Danube. Cet afflux de céréales a déstabilisé le marché intérieur des voisins de l'Ukraine, en saturant les silos. Cinq pays européens (Pologne, Hongrie, Roumanie, Slovaquie et Bulgarie) avaient alors décidé unilatéralement de bannir le transit. Fin juin, la Commission européenne avait finalement obtenu la levée de ces interdictions d'importation, en échange de nouvelles mesures de sauvegarde accordées à ces Etats sur le blé, le maïs, le colza et les graines de tournesol. Coût de l'enveloppe : 100 millions d'euros, qui s'ajoutent à une précédente de 50 millions d'euros, trois mois plus tôt.
6Des négociations sont-elles encore possibles ?
Ce n'est pas la première fois que la Russie remet en cause cet accord, puisqu'elle avait déjà annoncé suspendre sa participation, fin octobre, avant de reprendre sa place dans cette initiative conjointe. A l'époque, toutefois, Moscou n'avait pas adressé de notification officielle à la Turquie. Malgré l'annonce du Kremlin, le président turc Recep Tayyip Erdogan s'est dit convaincu que son "ami [Vladimir] Poutine" voulait "poursuivre l'accord" permettant l'exportation des céréales d'Ukraine en mer Noire. Berlin, de son côté, a appelé "la Russie à rendre possible la prolongation de l'accord" et à "ne pas faire supporter les conséquences de ce conflit aux plus pauvres de la planète".
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