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Guerre en Ukraine : quatre questions sur la mise en alerte de la "force de dissuasion" nucléaire russe

Article rédigé par franceinfo avec AFP
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Publié Mis à jour
Temps de lecture : 4 min
Le président russe Vladimir Poutine à Moscou, le 27 février 2022. (SERGEI GUNEYEV / SPUTNIK / AFP)

Vladimir Poutine a justifié cette décision par les "déclarations belliqueuses de l'Otan" envers Moscou et les sanctions économiques "illégitimes" prises à l'encontre de la Russie.

Moscou montre les dents. Au quatrième jour de l'invasion de l'Ukraine, Vladimir Poutine a annoncé dimanche 27 février mettre en alerte la "force de dissuasion" de l'armée russe, qui peut comprendre une composante nucléaire. Le président russe a justifié cette décision par les "déclarations belliqueuses de l'Otan". Il a également critiqué les sanctions économiques prises à l'encontre de la Russie et les a qualifiées d'"illégitimes".

Que contient cette force ? A quoi sert-elle ? Eléments de réponse.

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1A quoi correspond la "force de dissuasion" russe ?

Les forces de dissuasion russes sont un ensemble d'unités dont le but est de décourager une attaque contre la Russie. Ces forces sont équipées de missiles, de bombardiers stratégiques, de sous-marins et de navires de surface. Sur le plan défensif, elles comprennent un bouclier antimissile, des systèmes de contrôle spatiaux, de défense antiaérienne et antisatellite.

Des armes nucléaires figurent parmi ces forces. "La force de dissuasion nucléaire russe s'appuie sur ce qu'on appelle la 'triade stratégique', soit des armes nucléaires stratégiques terrestres (missiles intercontinentaux), aériennes (missiles lancés depuis un bombardier) et sous-marines (missiles lancés par des sous-marins nucléaires lanceurs d'engins)", précise à franceinfo Jean-Sylvestre Mongrenier, chercheur associé à l'Institut Thomas-More et spécialiste des questions de sécurité en Europe.

Selon l'Institut international de recherche sur la paix de Stockholm, l'armée russe disposait de 6 375 armes nucléaires en 2019. A titre de comparaison, les Etats-Unis en possédaient 5 800, la Chine 320 et la France 290.

2Comment Vladimir Poutine peut-il l'utiliser ?

La réalité de la "mise en alerte" de cette force n'est pas claire dans l'immédiat. Selon Associated Press (en anglais), les armes terrestres et sous-marines nucléaires russes sont préparées pour être opérationnelles à tout moment, mais pas les bombardiers nucléaires.

Surtout, nul ne sait ce que Vladimir Poutine compte faire exactement. "Il ne s'agira pas forcément de lancer 1 000 missiles intercontinentaux et de raser la planète. Mais il pourrait procéder à une frappe nucléaire tactique en Ukraine, suppose Jean-Sylvestre Mongrenier. Depuis la chute de l'URSS, les Russes ont gardé des milliers d'armes nucléaires tactiques dans sa partie ouest."

3Est-ce un changement de stratégie de la part du Kremlin ?

Officiellement, la doctrine nucléaire russe est strictement dissuasive. "En juin 2020, une mise à jour de la doctrine nucléaire russe stipulait que cette arme ne serait utilisée que pour dissuader une attaque contre l'intégrité du territoire russe", rappelle au Figaro (article payant) Héloïse Fayet, coordinatrice du programme Dissuasion et prolifération au centre des études de sécurité de l'Ifri.

Désormais, Moscou ne se contente plus de dissuader, mais brandit l'arme nucléaire comme un outil de coercition, analyse Jean-Sylvestre Mongrenier.

"Avec l'arme nucléaire, Vladimir Poutine fait désormais du chantage, de l'intimidation, pour contraindre les pays occidentaux à le laisser conquérir l'Ukraine."

Jean-Sylvestre Mongrenier, spécialiste des questions de sécurité en Europe

à franceinfo

Ces dernières semaines, le président russe n'a cessé d'évoquer l'arme nucléaire dans le conflit avec l'Ukraine. Après la visite d'Emmanuel Macron début février, le chef du Kremlin a rappelé que la Russie était l'une des premières puissances nucléaires au monde. Il a supervisé des exercices avec tirs de missiles "hypersoniques", susceptibles de porter des charges nucléaires. Pour justifier la reconnaissance de l'indépendance territoires séparatistes du Donbass, il a avancé que l'Ukraine voulait créer "ses propres armes nucléaires".

Pour Héloïse Fayet, cette escalade russe peut correspondre à la théorie du "escalate to de-escalate", qui consiste à invoquer les menaces extrêmes afin de contraindre très rapidement l'adversaire à ne pas agir et parvenir ainsi à la désescalade, précise Le Figaro. Elle diffère de la théorie de la "riposte graduée" où l'usage de l'arme est calibré en fonction de la menace et des objectifs.

4Peut-on s'attendre à une escalade nucléaire ?

Après différentes allusions de Vladimir Poutine à l'arme nucléaire, le ministre des Affaires étrangères, Jean-Yves Le Drian, a rappelé jeudi que l'Otan était "aussi une alliance nucléaire". Mais depuis dimanche, les pays occidentaux ont prévenu qu'ils ne souhaitaient pas s'engager dans une escalade nucléaire. Vladimir Poutine "fabrique des menaces qui n'existent pas", a dénoncé la porte-parole de la Maison Blanche, Jen Psaki, dimanche. De son côté, le secrétaire général de l'Otan Jens Stoltenberg a dénoncé la rhétorique "dangereuse" de Moscou. "C'est une conduite qui est irresponsable", a-t-il déclaré sur CNN (en anglais).

Pour Gaspard Schnitzler, chercheur sur les questions de défense à l'Institut de relations internationales et stratégiques (Iris), cette mise en alerte est "surtout une stratégie de communication".

"C'est même totalement improbable, que la Russie ait recours à des armes nucléaires. Ça plongerait l'Europe dans un conflit comme elle n'en a jamais connu."

Gaspard Schnitzler, chercheur à l'Iris

à franceinfo

D'autres experts se veulent plus prudents. "Si Vladimir Poutine prépare ses bombardiers au combat nucléaire (...), alors les Etats-Unis pourraient se sentir obligés de répondre", estime auprès de AP (en anglais) Hans Kristensen, analyste nucléaire à la Fédération des scientifiques américains.

"Vladimir Poutine a eu des discours inquiétants sur le nucléaire ces dernières années. On ne peut pas dire qu'il est juste dans le symbole. Il y a une grille de lecture russe apocalyptique du monde."

Jean-Sylvestre Mongrenier

à franceinfo

"Les Occidentaux ne veulent pas croire à un usage de l'arme nucléaire, car ces méthodes paraissent d'une autre époque, d'un autre monde. Si la menace se concrétisait, nous ne serions pas prêts", tranche auprès du Figaro Florent Parmentier, enseignant à Sciences Po et spécialiste de la géopolitique en Europe de l'Est.

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