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Blocus des céréales à Odessa : la France doit "afficher sa solidarité avec les pays importateurs", selon un analyste des marchés agricoles

Si un corridor devait être mis en place, il faudrait envoyer "des bateaux de guerre" pour le sécuriser selon Michel Portier. Le risque d'une crise alimentaire mondiale est "malheureusement réel", assure-t-il. 

Article rédigé par franceinfo
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Un soldat ukrainien dans un champ de blé à Soledar, dans la région de Donetsk en Ukraine. (ANATOLII STEPANOV / AFP)

"La Russie et la Biélorussie n'ont pas les infrastructures pour pouvoir exporter les quantités qui restent en stock", a expliqué samedi 11 juin sur franceinfo Michel Portier, directeur d’Agritel, cabinet d’analyse et de conseil spécialisé dans les marchés agricoles et agro-industriels. Le blocus du port ukrainien d'Odessa, par les forces russes empêche l'exportation de céréales, un blocus à l'origine d'une crise alimentaire mondiale. La conséquence, selon Michel Portier, est que "les prix vont grimper de manière importante". Il appelle à ce que la France "affiche sa solidarité aussi avec les pays importateurs", en échangeant du blé contre du gaz suggrère-t-il encore.

>> À Odessa, à cause du blocus des troupes russes, une partie de la récolte de blé commence à pourrir


franceinfo : Mettre en place un corridor pour exporter les céréales, est-ce réalisable ?

Michel Portier : Cela semble extrêmement compliqué. Il faudrait accepter d'enlever les mines [dans le port d'Odessa], donc de faire confiance à monsieur Poutine pour qu'il n'en profite pas pour envoyer un débarquement par la mer. Et ensuite, il faut que l'on soit capable de sécuriser les bateaux de marchandises qui vont charger sur Odessa ou Nikolaïev. Il faudrait envoyer quasiment des bateaux de guerre.

"Je vois mal aujourd'hui comment monsieur Poutine accepterait que l'on envoie des bateaux militaires, de la force de l'ONU ou autre, pour sécuriser un corridor alimentaire."

Michel Portier

à franceinfo

Vladimir Poutine dit qu'il n'est pas opposé à ce que le blé sorte d'Ukraine par les ports qu'il contrôle en passant par la Biélorussie, ce qui nécessiterait de lever les sanctions contre Alexandre Loukachenko. Est-ce qu'il fait du chantage ?

Il y a une forme de chantage évident. C'est ce que l'on appelle l'arme alimentaire. Très clairement, il dit 'si vous êtes gentils avec moi, je vous exporterai mon blé. Et si vous n'êtes pas gentils, vous n'en aurez pas'. Mais en tout état de cause, la Russie et la Biélorussie n'ont pas les infrastructures pour pouvoir exporter les quantités qui restent en stock. Cela ne peut sortir que par la mer Noire avec des grands bateaux, des Panamax, des bateaux qui peuvent charger 60 000 tonnes, soit l'équivalent de 50 trains.

Quelles conséquences actuelles et à venir si ces blocages d'exportation de céréales continuent ?

Une des conséquences principales, c'est la poursuite de la hausse des cours du blé, puisque les gros importateurs vont devoir se fournir ailleurs, à des coûts logistiques extrêmement importants.

"Ce qu'il faut bien comprendre, c'est que l'on ne manque pas de blé dans le monde. Ce dont on manque, c'est du blé qui puisse circuler. On a 22 millions de tonnes de céréales bloquées aujourd'hui dans les ports ukrainiens."

Michel Portier

à franceinfo

C'est 16 millions de tonnes de maïs et six millions de tonnes de blé. Les flux mondiaux, c'est 200 millions de tonnes à peu près en blé. Mais grosso modo, même s'il manque 20 ou 30 millions de tonnes, ce sont ces 30 millions de tonnes qui vont faire que les prix vont grimper de manière importante. Est-ce que les gros pays importateurs, notamment ceux qui n'ont pas de ressources énergétiques, vont avoir les moyens financiers pour pouvoir payer ce blé ?

Les pays de l'Occident peuvent payer ou vont pouvoir s'approvisionner. Mais est-ce qu'il y a un risque pour les pays d'Afrique ou du Moyen-Orient ?

L'Occident, il n'y a aucun problème. Mais je pense que l'Occident doit aussi jouer son rôle en aidant les pays importateurs. Je pense notamment à ces pays amis et proches de nous, les pays du Maghreb.

"Rappelons que la France exporte une tonne de blé sur deux, donc il n'y a absolument aucun problème."

Michel Portier

à franceinfo

Je pense à l'Algérie, je pense au Maroc avec, comble du problème pour le Maroc : le pays connaît la pire sécheresse de son histoire. Ils vont devoir importer beaucoup de blé. Il va falloir aider nos pays voisins et leur exporter du blé. Pourquoi ne pas exporter du blé contre du gaz par exemple pour l'Algérie, ou avec le Maroc contre d'autres marchandises, des engrais notamment. Mais il va falloir afficher la solidarité aussi avec les pays importateurs.

Ce risque alimentaire mondial, est-ce qu'il est réel ?

Oui, tout à fait réel, malheureusement.

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