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Vidéo "Nous sommes trop jaloux les uns des autres" : 30 ans après la chute du mur, Gabriella s'inquiète de "la haine et la peur" en Allemagne

Le 9 novembre 1989, le mur de Berlin tombait. 30 ans après, franceinfo est allé à la rencontre d'Allemands qui racontent leur mur, leur histoire et leur pays. Gabriella Zeyfyian, une retraitée de 64 ans, a vécu la plus grande partie de sa vie à Berlin Ouest.

Article rédigé par Franck Ballanger, franceinfo - Antoine Deiana
Radio France
Publié Mis à jour
Temps de lecture : 5 min
 

Gabriella Zeyfyian habite au dernier étage d’un immeuble de l’Ouest de Berlin, à la limite du quartier de Kreuzberg. L’inconvénient, c’est qu’il n’y a pas d’ascenseur et qu’il faut monter pour la rencontrer. L’avantage, c’est qu’à ce dernier étage, la lumière entre généreusement. Cette fin de mois d’octobre n’est pas particulièrement ensoleillée à Berlin, mais l’appartement de Gabriella baigne donc dans une douce lumière, une ambiance qui convient très bien à cette retraitée de 64 ans.

Il ne faut pas bien longtemps pour comprendre qui est Gabriella : une grand-mère… ou plutôt une mamie, dans tout ce que le terme a de positif. Une dame aimable et bienveillante, heureuse de raconter son histoire. Elle est née et a grandi à Dortmund, énorme cité industrielle de la Ruhr. Pas exactement l’endroit le plus gai d’Allemagne. Alors qu’elle n’avait que 19 ans, ses parents ont pris une décision que l’on pourrait juger étrange : partir vivre dans ce qui était à l’époque l’enclave de Berlin Ouest. Un îlot de capitalisme au milieu de l’Allemagne socialiste.

Une tour du quartier de Kreuzberg, où Gabriella habite depuis 1964 (PAUL ZINKEN - AFP)

Vue d’ici, une sorte de prison dorée. Un havre de paix, surtout, où tous les jeunes hommes, objecteurs de conscience ou tout simplement réticents à l’idée de faire leur service militaire, venaient habiter. Parce qu’à l’époque, seuls les jeunes habitants à Berlin Ouest étaient exemptés et puisque les deux frères de Gabriella ne voulaient pas passer sous les drapeaux, c’est donc toute la famille qui a migré vers Berlin ! La jeune Gabriella n’a jamais trouvé de raison de s’en plaindre.

C’est une grande ville, multiculturelle, qui m’a tout de suite plu. J’ai 'rencontré' Berlin à l’époque du mur, quand un visa était nécessaire pour se déplacer et c’est vrai que la chute du mur a encore amélioré notre vie ici.

Gabriella Zeyfyian, Berlinoise

à franceinfo

Pour Gabriella, Berlin est une ville "merveilleusement belle" et avec ou sans mur, elle ne s’est jamais vue vivre ailleurs.

La vie agréable de Berlin Ouest... Même avec le mur

Jeune adulte, elle a commencé par être vendeuse, avant de se mettre à son compte et de terminer sa carrière professionnelle en travaillant à la soupe populaire. Durant toutes ses années, ses seules expériences "extra-berlinoises" auront été quelques visites à Chemnitz, chez un beau-frère, en Allemagne de l’Est alors qu’elle ne se souvient pas vraiment de déplacements à l’Ouest. Gabriella aura donc finalement passé la quasi-totalité de sa vie à Berlin Ouest : "Même lorsque le mur était là, on pouvait tout faire, ici ! La ville était assez grande. Et après la chute du mur, je dois vous avouer que nous ne sommes pas beaucoup allés à l’Est. J’ai continué à me promener dans les quartiers que je connaissais avec mon mari." Gabriella et son mari n'ont jamais eu d'enfant, mais elle s'amuse à préciser qu'il a été "un partenaire fantastique".

Berlin, la forêt de Grunewald. (MARKUS C. HUREK / DPA)

Contrairement à ce que beaucoup pensent, on ne se sentait pas du tout enfermés. Nous allions d’un quartier à l’autre, on se baladait jusqu’à la forêt de Grunewald.

Gabriella Zeyfyian 

à franceinfo

Assise sur le canapé du salon, le soleil toujours dans les yeux, Gabriella égrène ses souvenirs. Nous trinquons à l’eau gazeuse. Ce n’est pas la fête, mais l’ambiance est détendue. Une sorte de dimanche après-midi après un repas de famille. La discussion se promène d’un sujet à l’autre.

La haine et la peur au coeur de ses préoccupations

Gabriella raconte une vie douce et heureuse même si aujourd’hui, elle ne comprend plus vraiment le Berlin ou le pays dans lequel elle vit : "C’est vrai que la chute du mur aura eu de nombreux effets négatifs. Depuis 30 ans, la haine a grandi entre les pays et la peur est arrivée". La phrase est lancée comme ça, l’air de rien, mais le mot résonne dans le salon : "la peur" ! La peur de l’autre, en fait : "On peut avoir un peu peur avec tous ces gens qui arrivent en Allemagne, c’est vrai", avance timidement Gabriella.

Il faut vraiment faire attention que cela ne prenne pas des proportions encore plus importantes. Nous devrions tous être moins égoïstes, savoir écouter notre cœur et aller vers les autres.

Pour Gabriella Zeyfyian, la peur et la haine prennent trop d'importance en Allemagne

à franceinfo

Un message de tolérance plein d’humanité, qui tranche quand même avec le nombre de verrous que Gabriella a installés sur sa porte d’entrée. Depuis le début de notre conversation, même si le son est coupé, la télé est allumée. Gabriella y jette un œil de temps en temps, comme on s’inquiéterait d’un animal de compagnie. Le programme est ouvert sur la table basse. Elle a sans doute déjà choisi ce qu’elle va regarder ce soir. Son mari, qui lui travaille encore, ne rentrera que vers 21 heures. "Il est camionneur" et Gabriella a "le temps de parler".

L'Allemagne encore rongée par d'anciennes rancœurs

Gabriella développe sa vision de l’Allemagne d’aujourd’hui. Enfant du baby-boom, fille de l’après-guerre, Gabriella a été une victime du nazisme. Comme toute une génération, elle a dû assumer les horreurs de 39-45 et si elle avouait il y a quelques minutes avoir "un peu peur" des migrants, elle affirme maintenant avoir "très très peur" du retour des idées d’extrême droite au premier plan de la vie politique allemande : "ce qui s’est produit au moment de la Deuxième Guerre mondiale ne doit plus jamais arriver. Nous devons être très vigilants".

Manifestation contre l'AfD, le parti de l'ultra-droite allemande, en mai 2019 à Berlin. (CHRISTOPH SOEDER / DPA)

Le ton se fait plus virulent. Finalement, "mamie" peut être plus combative qu’attendu. Mais si elle identifie les problèmes de son pays, elle n’a pas de solution. Tout juste croit-elle que les Allemands sont "trop jaloux les uns des autres". Ceux de l’Est estiment avoir été "pillés" par l’Ouest. Ceux de l’Ouest trouvent que l’on "assiste trop ceux de l’Est". Gabriella s’est calmée. Sans doute parce qu’elle sait qu’elle n’a finalement pas de prise sur les évènements. Elle va donc continuer à dire "bonjour" à ses voisins, à offrir de l’eau gazeuse à ses visiteurs, essayer de rester une belle personne, la grand-mère tolérante que tous les petits-enfants auraient aimé avoir. L’au revoir est chaleureux. Gabriella va sans doute continuer de chercher des réponses à quelques-unes de nos questions, mais cela ne l’empêchera pas de regarder sa série policière préférée ce soir à la télé, quand son mari sera rentré et que le soleil aura quitté son petit appartement.

Ils racontent leur mur de Berlin

Alors que le mur de Berlin est tombé il y a 30 ans, le 9 novembre 1989, quels souvenirs gardent ceux qui ont vécu l'événement ? Quel regard portent-ils sur l'Allemagne d'aujourd'hui ? franceinfo vous propose une série de portraits.

• Peter : "Je n’avais plus d’autre solution que de m’enfuir"
• Hermann : "Les Allemands ne sont pas dans un processus de célébration béate"
• Klaus-Dieter : "La RDA sera toujours notre patrie"
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