Filmé avec Cousteau dans "Le Monde du silence", un plongeur répond aux critiques : "Nous étions inconscients, pas dégueulasses"
André Laban, ancien plongeur de "La Calypso", répond aux critiques soulevées par un romancier à propos du documentaire pionnier "Le Monde du silence", Palme d'or 1955.
"Un film naïvement dégueulasse." C'est par ces mots que Gérard Mordillat, romancier et cinéaste, qualifie le documentaire Le Monde du silence, de Jacques-Yves Cousteau et Louis Malle, sorti en 1955 et récompensé par une Palme d'or et un Oscar. Sa chronique acerbe et moqueuse, diffusée dans l'émission web "Là-bas si j'y suis", fin juin, est abondamment relayée sur les réseaux sociaux ces derniers jours.
Soixante ans après la sortie du film, cette attaque frontale contre ce film pionnier, "cette bande d'abrutis" et sa figure centrale, le commandant "Couss-machin", comme l'appelle Gérard Mordillat, est-elle justifiée ? Francetv info a interrogé André Laban, ancien plongeur de "La Calypso" filmé par Louis Malle et l'un des derniers survivants de ce périple océano-cinématographique.
Francetv info : Comment accueillez-vous les récentes critiques adressées au "Monde du silence" ?
André Laban : Cela ne m'embête pas qu'on dise du mal du film. Je comprends les critiques, même si c'est injuste de ne parler que des aspects négatifs du documentaire. Il faut se souvenir que ce film a soixante ans. Autre temps, autres mœurs... A l'époque, les comportements humains n'étaient pas les mêmes qu'aujourd'hui. On sortait de l'Occupation, la mentalité était différente. Le mot écologie n'existait même pas.
Sur le moment, aviez-vous conscience du fait que ces actions étaient critiquables ?
Plus ou moins. On se disait parfois qu'on allait un peu loin, mais dans l'action, on ne faisait pas ce genre d'analyse culpabilisatrice. A bord du bateau, nous étions inconscients, pas dégueulasses. D'ailleurs, quand le film est sorti, nous n'avons jamais entendu dire que c'était dégueulasse, au contraire. Les gens étaient admiratifs de voir que nous avions pu filmer la mer de cette façon, si près des poissons, grâce aux caméras que j'avais confectionnées. Les séquences qui paraissent peut-être gênantes aujourd'hui n'ont fait pleurer ni crier personne.
La séquence au cours de laquelle vous tuez des requins est au cœur des critiques...
A l'époque, le requin était uniquement perçu comme un animal dangereux, il n'était pas question d'une éventuelle extinction de l'espèce. Ce n'est que des années plus tard qu'on a commencé à nager avec les requins sans les tuer. Cousteau prononce une phrase pendant cette séquence : "Le requin pour le marin, c'est l'ennemi." C'est vrai. Aujourd'hui, on les filme comme si c'étaient des acteurs. Les choses ont changé.
Le fait d'être filmé vous a-t-il incité à agir parfois avec violence ?
Louis Malle nous incitait parfois à faire des choses, puisqu'il n'existait évidemment aucun scénario déjà écrit. Nous vivions une forme d'euphorie, pendant le tournage, dans l'improvisation permanente. Nous avons appris à regarder la mer, et attendre que quelque chose se passe sous la surface. Mais il fallait bien des images sensationnelles pour faire un beau film ! Si vous filmez des crevettes ou des oursins qui font l'amour, ça ne fera pas un long documentaire qui obtiendra la Palme d'or.
Regrettez-vous ces comportements ?
Je ne suis pas d'accord sur le fait d'avoir tué des animaux pour faciliter certaines prises de vue, mais c'était comme ça. Si l'on poussait la logique de ces critiques au maximum, on pourrait dire que la pêche est une mauvaise chose et qu'il faudrait l'interdire complètement. Or, on mettrait en danger des populations entières... Le progrès a toujours deux versants, un positif et un négatif. Cousteau, malgré ce qu'on peut lui mettre sur le dos, avait de grandes idées, pour lesquelles nous étions prêts à travailler nuit et jour. Nous ne nous reposions que lorsqu'il faisait mauvais temps. C'était une équipe formidable.
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