Témoignages "On a l'impression que ce qu'on fait ne sert à rien" : comment des chercheurs font face à "l'inertie politique" autour des enjeux du climat

La lutte contre le réchauffement climatique est peu présente dans la campagne pour les européennes. Mais le manque de considération politique ne date pas de cette élection. Et il affecte la vie des nombreux scientifiques qui travaillent sur le sujet.
Article rédigé par Louis Mondot
Radio France
Publié
Temps de lecture : 5min
Un globe terrestre prend feu, lors d'une manifestation du mouvement écologiste Extinction Rebellion, le 10 juillet 2021 à Paris. (SOPA IMAGES / LIGHTROCKET)

Le paradoxe de la lutte contre le changement climatique : les rapports du Giec s'empilent, mais l'action politique n'est pas à la hauteur. Et l'écologie semble bien peu audible dans la campagne des élections européennes. C'est le constat que dressent de nombreux chercheurs, qui produisent de précieuses données pour guider les gouvernements. Cette incapacité à se faire entendre a des répercussions sur leur travail voire leur vie personnelle, et chacun essaie, à son échelle, de trouver une façon de répondre à l'urgence climatique.

"On a quand même l'impression que ce qu'on fait ne sert à rien", fustige Gonéri Le Cozannet. Ce géographe, spécialiste des risques côtiers et du changement climatique, a pourtant co-écrit le sixième rapport du Giec (Groupe d'experts intergouvernemental sur l'évolution du climat). Mais il n'a pas observé de véritable tournant politique depuis. "On nous demande de trouver des solutions sur l'adaptation au réchauffement, on les cherche, on les trouve, et finalement on n'en veut pas, soupire-t-il. Et en même temps, on sait très bien qu'en ne le faisant pas, on va dans le mur."

"Au niveau de la décision politique, j'ai le sentiment qu'on essaie davantage de se défendre contre des reculs que d'avancer, ajoute le chercheur, citant l'exemple des mesures du gouvernement après le mouvement des agriculteurs. Sur le climat, c'est vrai qu'il y a des réductions d'émissions de gaz à effet de serre, mais elles sont quand même bien lentes et on voit bien qu'il n'y a pas de transformation structurelle, par exemple dans le domaine des transports ou de l'agriculture, qui permettraient de diviser par deux les émissions de CO2 d'ici à 2030."

"Je ne dors pas bien"

Ces blocages peuvent parfois déteindre sur la vie personnelle des chercheurs. "Ça fait une dizaine d'années que je ne dors pas bien, témoigne Sabrina Speich, professeur d'océanographie et des sciences du climat à l'École normale supérieure (ENS). Et ces dernières années, en voyant ce signal dans la température de la surface, c'est vraiment très compliqué de penser à autre chose. Et là, on ne parle pas des populations les plus fragiles, on parle des impacts aussi en France métropolitaine. L'ampleur du problème est importante."

Cette enseignante-chercheuse, qui étudie l'impact du réchauffement sur les océans, ne s'est pas résignée pour autant. Elle a décidé de s'impliquer davantage dans des programmes des Nations unies où elle tente de convaincre des États de baisser leurs émissions et de mettre en œuvre des mesures d'adaptation. "Je travaille beaucoup plus que ce que je devrais", précise Sabrina Speich, qui donne aussi des cours "Océan & Climat" à Sciences Po. Un choix qui consiste à "toucher un public très différent", des étudiants qui vont devenir "des décideurs un peu plus informés d'ici deux ou trois ans".

"Il y a de la frustration, de la colère, de l'angoisse, de la peur, des doutes aussi. Mais tout ça est presque secondaire par rapport à la nécessité de faire quelque chose."

Jérôme Santolini, directeur de recherche en sciences du vivant

à franceinfo

Jérôme Santolini est directeur de recherche en sciences du vivant, mais aussi membre de Scientifiques en rébellion, un collectif créé début 2020 qui prône la désobéissance civile. Une casquette peu habituelle au départ pour lui et de nombreux scientifiques rompus à la seule méthode scientifique.

"La question aujourd'hui, c'est d'arrêter avec ces histoires de neutralité, de réserve et de dire que les scientifiques ne doivent pas se mêler de politique. Ils ont déjà les pieds dedans", tranche Jérôme Santolini. "Si des scientifiques en rébellion se mobilisent devant les vitrines d'Amundi [un gestionnaire d'actifs français] ou dans les assemblées générales de la BNP ou de Total, c'est pour dire : 'Ça, c'est notre réalité commune'. Et notre métier, c'est de donner une valeur, un sens à cette réalité, en tout cas un espace politique."

C'est un mode d'action que n'envisage pas personnellement Henri Waisman, chercheur à l'Institut du développement durable et des relations internationales (Iddri). Mais il lui trouve des mérites. Le rôle du scientifique a changé sur les questions du climat, estime ce spécialiste de la décarbonation, co-auteur d'un rapport du Giec sur le réchauffement mondial de 1,5°C. "On ne peut plus se permettre d'être un peu extérieur, de porter une bonne parole et de renvoyer aux décideurs la responsabilité de trouver des solutions, juge le chercheur. Je pense qu'on a un rôle à trouver qui est de s'impliquer dans les processus politiques qui, par essence même, vont être compliqués et vont demander d'évaluer les pour et les contre des différentes solutions." Une méthode "complémentaire", estime-t-il, aux actions coup de poing plus médiatiques.

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