Reportage "On continue d'aller dans le mur, même si on y va en Tesla" : dans l'Allier, un projet de mine de lithium révèle le fossé entre deux visions de l'écologie

La première mine française de lithium, minerai crucial pour l'essor des véhicules électriques, pourrait voir le jour en Auvergne. Pour l'ouverture du débat public sur le projet, des habitants ont exprimé leurs objections.
Article rédigé par Marie-Adélaïde Scigacz
France Télévisions
Publié Mis à jour
Temps de lecture : 8 min
Le président du débat public sur un projet de mine de lithium et les représentants de l'entreprise Imerys écoutent une femme prendre la parole lors d'une réunion publique à Moulins (Allier), le 12 mars 2024. (MARIE-ADELAIDE SCIGACZ / FRANCEINFO)

Difficile d'imaginer, quand on arrive au sommet de La Bosse, qu'ici se joue l'avenir énergétique de la France. Au cœur d'un massif forestier qui culmine à 720 m d'altitude, le lieu-dit surplombe la commune d'Echassières (Allier), où se trouve une carrière de kaolin dont l'exploitant, la société Imerys, veut faire le centre névralgique de la transition vers le tout-électrique. Sous le kaolin, une roche argileuse, on trouve en effet du lithium. C'est là que pourrait naître la première mine française de ce métal stratégique, que l'entreprise espère ouvrir en 2028.

Mais attention : "Ce projet de mine n'est pas qu'une question locale", préviennent Thierry Panchaud et Jacques Morisot, membres du collectif d'habitants Préservons la forêt des Colettes. Mardi 12 mars, à quelques heures de la première réunion d'un débat public qui durera quatre mois, les deux hommes donnent le ton : "Ce projet est un symbole. Il est l'emblème de la direction que va prendre notre pays, au moins pour les 25-30 ans à venir."

"Non à la mine, ni ici, ni ailleurs"

Pour faire part de leurs réserves, les deux militants ont donné rendez-vous sur le parking du musée Wolframines. Au milieu des hêtres, le bâtiment en bois célèbre la richesse géologique de ce coin d'Auvergne, à cheval sur deux départements et deux bassins-versants. Au loin, un grillage discret sépare les terrains d'Imerys du reste de la forêt. Ici, l'entreprise estime pouvoir extraire quelque 34 000 tonnes de lithium par an. De quoi produire des batteries pour 700 000 véhicules "propres" et garantir au passage la souveraineté énergétique de la France, aujourd'hui largement dépendante de la Chine pour se procurer ce minerai rare. Pour autant, les deux riverains peinent à croire en la promesse d'une transition qui décarbonera les transports en douceur.

Une carrière de kaolin à Echassières (Allier), sous laquelle se trouve un gisement de lithium que l'entreprise Imerys veut exploiter, ici le 17 janvier 2024. (HASSAN AYADI / AFP)

"Menace sur la ressource en eau, risque sur la biodiversité, sur la santé, pollutions chimiques, doute sur l’après-mine..." Jacques Morisot dresse l'inventaire des craintes qui animent ici les défenseurs de l'environnement, assurant, du haut de ses 68 printemps, ne pas être de ces "vieux ronchons qui s'opposent à tout""Bien sûr que nous sommes favorables aux énergies renouvelables", souligne le retraité.

Mais selon lui, "si passer au tout électrique, c'est continuer cette fuite en avant et ne pas remettre en cause le modèle de société qui nous a conduits ici, on continue d'aller dans le mur. Même si on y va en Tesla." Le mot d'ordre : "Non à la mine, ni ici, ni ailleurs", insistent les deux hommes, qui réfutent l'idée selon laquelle les voitures électriques seraient "la seule solution" pour réduire les émissions de gaz à effet de serre du secteur des transports. "Ne vous inquiétez pas, ici en zone rurale, tout le monde a besoin d'une voiture, on connaît les enjeux de la mobilité", assure Thierry Panchaud, d'un geste de la tête en direction de sa vieille "thermique", garée sur les graviers.

"Il ne s'agit pas de se faire un avis pour ou contre l'ouverture d'une première mine de lithium en France. Il s'agit de poser vraiment la question : une mine de lithium, pour quoi faire ?"

Thierry Panchaud, membre du collectif de citoyens Préservons la forêt des Colettes

à franceinfo

Le soir même, pour en parler, Thierry Panchaud a roulé une petite heure depuis La Bosse jusqu'à Moulins où, à 18 heures, se tient la première réunion dans le cadre du débat public sur ce projet. Même s'il est convaincu que ce rendez-vous n'abordera pas "le fond du problème".

L'usage de ce lithium, "une prérogative" des constructeurs automobile

Quelque 150 personnes ont déjà pris place dans la salle des fêtes de la préfecture de l'Allier, où se tient le tout premier d'une série de débats et de forums organisés par la Commission nationale du débat public. La configuration – des chaises installées en deux groupes, face à face – appelle d'ailleurs à l'échange. Regroupés en bout de salle, les représentants d'Imerys dévoilent au micro les grandes lignes de leur plan. "Avant de se faire un avis sur le projet, c'est important de se faire un avis sur le contexte", commence Alan Parte, vice-président des projets lithium au sein de la multinationale française. Ce soir, il est chargé de convaincre l'assistance du bien-fondé d'Emili, le petit nom d'un projet gigantesque, "exemplaire" et même "nécessaire pour relever le défi de l'urgence climatique". Un commentaire ironique ou un soupir s'élèvent par-ci par-là. Un drapeau du collectif Protégeons la forêt des Colettes a été déployée sur une chaise. Rapidement, il apparaît que les participants n'ont nullement l'intention de débattre entre eux.

Ceux qui ont fait le déplacement sont venus défier les arguments de la multinationale et questionner, au-delà de la future mine, une vision de la lutte contre le réchauffement climatique dans laquelle ils ne se reconnaissent pas. En guise de contexte, eux soulignent plutôt "le dépassement des limites planétaires", "les conflits d'usages pour l'accès à l'eau en temps de sécheresse", "ce que l'on va laisser aux générations futures" ou encore l'absence du mot "sobriété" au menu des discussions.

"Pouvez-vous vous engager à ce que le lithium ne soit pas destiné à produire des SUV électriques ?", demande un participant. "Ce projet n'est en rien contradictoire avec une réflexion sur nos modes de vie", assure Alan Parte en guise de réponse, bientôt contraint d'admettre que l'entreprise d'extraction "n'a pas la compétence sur l'usage qui sera fait du lithium extrait." "C'est la prérogative du secteur" automobile, poursuit-il, gageant des bonnes intentions présumées des constructeurs. Soupirs et rires jaunes dans la salle. "Comment vous faire confiance ?", insiste plus tard une participante, sceptique quant au poids réel de ce débat public.

La crainte d'une issue écrite par avance

L'insistance du président du débat, Mathias Bourrissoux, maître loyal diplomate et passeur de micro, ne suffit pas. "Rien n'est défini, rien n'a été décidé", martèle-t-il, alors que les participants relèvent à plusieurs reprises que le compte rendu qu'il soumettra à l'issue des discussions n'a pas de portée contraignante sur Imerys.

"On ne le répétera jamais assez : le projet est débattu au bon moment. Il est au stade de préfaisabilité, soit avant le dépôt des demandes d'autorisations administratives."

Mathias Bourrissoux, président du débat public sur la mine de lithium

à franceinfo

Une interview donnée au quotidien local La Montagne, le 1er février, par la préfète de l'Allier a renforcé les craintes des opposants. Pascale Trimbach n'y cache pas son enthousiasme pour un projet "historique" et "extrêmement positif". Dans ces conditions, les militants craignent que ne soit rejoué l'épisode de la Convention citoyenne sur le climat : à l'issue de cette initiative lancée par Emmanuel Macron, au cours de laquelle 150 citoyens ont livré des propositions visant à concilier justice environnementale et sociale, seule une poignée d'idées ont été reprises dans la loi.

Mathias Bourrissoux, président du débat public sur le projet de mine de lithium, s'exprime lors de la première réunion publique, à Moulins (Allier), le 12 mars 2024, devant le vice-président de l'entreprise Imerys, Alan Parte. (MARIE-ADELAIDE SCIGACZ / FRANCEINFO)

Alors, à l'échelle locale, la défiance est palpable. "En tant que citoyen, on nous demande régulièrement notre avis, mais force est de constater qu'après, on s'assoit dessus", tranche Sophie, "habitante du territoire" acclamée par la salle.

Echassières et Sainte-Soline, "la même revendication"

"Dans tout projet nouveau, c'est normal qu'il y ait des interrogations", estime Alan Parte, poursuivant les échanges jusqu'aux portes de la salle des fêtes. "Tout le monde n'a pas le même niveau d'information et nous sommes décidés à faire ce qu'il faut en termes de transparence et de pédagogie", assure-t-il. "Imerys est dans son rôle, c'est une entreprise privée, elle défend son projet", constate Michelle Petit, vice-présidente de l'antenne départementale de l'association France nature environnement. "Ce qui m'inquiète, c'est plutôt le fait que les pouvoirs publics et les élus n'ont pas pris la peine de venir discuter. Qui est concerné par la manière d'organiser la société, si ce n'est eux ?"

Dehors, Thierry Panchaud, le membre du collectif Préservons la forêt des Colettes, fulmine en tirant, dépité, sur une cigarette roulée. Plus flegmatique sous son chapeau, un autre participant – lui aussi prénommé Thierry – n'en est pas moins déçu : "Je suis arrivé tout à l'heure à ce débat avec la suspicion que les dés étaient pipés. J'en repars ce soir avec la certitude", glisse-t-il. Il doute qu'il soit possible d'échanger "alors que les positions sont de plus en plus radicales", lance-t-il à l'intention non pas des militants, "mais de ceux qui les diabolisent et traitent d''écoterroristes' tous ceux qui s'opposent aux projets".

Mégabassine à Sainte-Soline (Deux Sèvres), projet d'autoroute A69 à Saix (Tarn), mine de lithium à Echassières... "Ces mobilisations s'inscrivent dans la même revendication", assure-t-il, et dans un mouvement qui ne sépare pas la question de l'eau, de celle de l'énergie ou de la biodiversité.

Plus tôt, dans l'air frais de la forêt des Colettes, Thierry Panchaud dressait un constat similaire : "Les pouvoirs publics martèlent que les associations environnementales s'opposent à ces projets sont contre l'écologie. C'est absurde. Ce n'est pas un argument, mais une façon de confisquer le débat." Le temps presse. Ils ont jusqu'à début juillet et la clôture du débat public pour rétablir le dialogue.

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