Infographies Lithium : la France peut-elle s'extraire de sa dépendance à l'étranger pour ses batteries électriques ?

Article rédigé par Pauline Paillassa
France Télévisions
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Chaque année, la demande mondiale en lithium augmente de 20%. (JEREMIE LUCIANI / FRANCEINFO)
Le gouvernement s'est lancé dans la course à cet ingrédient indispensable pour électrifier le parc automobile, aujourd'hui importé depuis une poignée de pays dans le monde. Si plusieurs sites de l'Hexagone ont un réel potentiel, le pas à franchir reste important.

C'est un métal gris qui aiguise les appétits. Le lithium est indispensable à la fabrication des batteries des véhicules électriques, levier majeur pour réduire les émissions de gaz à effet de serre du secteur des transports. En actant l'interdiction à la vente des voitures thermiques en 2035, l'Union européenne a fait bondir un peu plus les besoins. L'Agence internationale de l'énergie estime qu'à ce rythme, en 2040, la demande mondiale sera 13 fois plus importante qu'en 2020.

Face aux échéances futures, la mise en place d'une filière française de lithium a été inscrite à l'agenda politique, et le gouvernement a annoncé le lancement d'un fonds d'investissement consacré aux minerais et métaux rares. Sur France 2, fin 2022, Emmanuel Macron a même détourné la réplique de Valéry Giscard d'Estaing en déclarant : "En France, on n'a pas de pétrole, mais on a du lithium." Le privé a également investi le secteur. Site d'extraction pilote dans le Bas-Rhin, projet d'exploration dans l'Allier, lancement d'une usine de batteries dans le Pas-de-Calais... Une filière est en cours de structuration, pour pallier un problème majeur : pour le moment, la France est entièrement dépendante de l'étranger pour se fournir en lithium et en batteries pour ses véhicules électriques.

L'Australie et l'Amérique du Sud, principaux fournisseurs

Très peu de pays fournissent le lithium utilisé dans le monde entier. L'Australie, où il est extrait de roches dures, est le plus gros producteur au monde. En 2017, le seul gisement de Greenbushes, dans l'ouest de l'île-continent, fournissait 30% de la production mondiale, selon le gouvernement australien. L'autre grande zone d'extraction se trouve à cheval sur l'Argentine, la Bolivie et surtout le Chili, dans ce qu'on appelle le "triangle du lithium". Là, contrairement à l'Australie, on extrait ce métal argenté de l'eau d'immenses lacs salés, partiellement ou totalement asséchés.

À elles deux, l'Australie et l'Amérique du Sud représentent plus des trois quarts de la production actuelle en lithium pur. Dans un futur où la demande risque d'exploser, y compris sur leurs propres territoires, les principaux pays producteurs pourraient-ils cesser d'exporter cette ressource précieuse ? C'est un risque. "L'objectif n'est pas forcément de nuire aux autres, mais c'est parfois de s'assurer que les besoins internes du pays soient comblés en priorité par rapport à l'étranger", explique Florian Fizaine, économiste et auteur de Les Métaux rares : opportunité ou menace ? (éditions Technip, 2020).

D'après le Bureau de recherche géologique américain (document PDF), en 2022, 80% des 130 millions tonnes de lithium minées chaque année dans le monde étaient destinées à la fabrication de batteries. "Non seulement la consommation de lithium dans le monde a bondi, mais la part du lithium consacrée à la fabrication des batteries aussi", résume l'économiste. Les 20% restants étaient employés dans l'industrie du verre et des céramiques, le traitement de l'air, la métallurgie ou encore la fabrication de graisses lubrifiantes.

La Chine, un leader du raffinage à l'influence grandissante

Mais la dépendance française ne s'arrête pas à la matière première. Pour fabriquer des batteries, impossible d'utiliser du lithium à l'état pur. Il faut le raffiner grâce à des procédés chimiques pour le transformer en carbonate de lithium ou en hydroxyde de lithium, par exemple. Il prend alors la forme d'une poudre blanche, plus stable et moins inflammable. Et dans ce domaine aussi, un pays a imposé son monopole : la Chine. D'après un rapport du gouvernement australien (document PDF), elle raffine à elle seule plus de 60% de lithium dans le monde.

Une position dominante qui lui permet aussi de renforcer sa présence à tous les niveaux de la chaîne de distribution du lithium et d'autres métaux stratégiques, sur son territoire et en dehors. "La Chine amasse beaucoup de devises étrangères, car c'est un exportateur net. Elle va ensuite pouvoir utiliser ces devises pour acheter d'autres acteurs étrangers, dont des acteurs miniers internationaux, pour continuer à détenir une grande partie de la production minière", résume l'économiste Florian Fizaine.

Les moyens de production de lithium, de son extraction à sa vente, sont détenus par un très petit nombre d'entreprises au niveau mondial. Cinq majors se partagent l'essentiel du gâteau : l'entreprise chilienne Sociedad quimica y minera de Chile, deux entreprises américaines (Livent et Albemarle) et deux chinoises (Tianqi Lithium et Jiangxi Ganfeng Lithium), résume le Portail français des ressources minérales non énergétiques. Un autre obstacle à la souveraineté française.

"Le petit nombre d'entreprises en situation de monopole favorise la tentation de jouer de sa position dominante pour modifier les prix et augmenter ses profits."

Florian Fizaine, économiste

à franceinfo

Face à ce constat, le mot d'ordre martelé par la France dans ses plans et ses discours est clair : "sécuriser l'approvisionnement". Et cela passe notamment par la recherche de lithium dans l'Hexagone. "Du point de vue du potentiel français, il y a deux sources principales de lithium actuellement identifiées : les roches dures et les eaux géothermales", résume Julien Mercadier, chercheur en géologie au CNRS.

L'Alsace et le Massif central, principaux terrains d'exploration

En septembre, dans son discours sur la planification écologique, Emmanuel Macron a annoncé le lancement d'un grand inventaire des ressources minières, dont le lithium. "La connaissance actuelle qu'on a de notre sous-sol est lacunaire", souligne Loïs Monnier, chercheur en géologie à l'Université Toulouse-III Paul-Sabatier. "Les derniers recensements, ou les travaux vraiment fins de prospection et de compréhension du sous-sol, datent globalement des années 1980-1990, avec l'inventaire minier mené par le Bureau de recherches géologiques et minières (BRGM)", complète Julien Mercadier.

Si certains sites sont déjà identifiés comme prometteurs, l'inspection des ressources sous nos pieds pourrait en révéler davantage, souligne Eric Gloaguen, ingénieur au sein de ce service géologique national :

"Le lithium n'a rien de rare. D'un point de vue géologique, il y a clairement un potentiel."

Eric Gloaguen, ingénieur géologue au BRGM

à franceinfo

En Bretagne et dans le Massif central, on a déjà identifié plusieurs indices de la présence de lithium. Néanmoins, les données sont pour le moment trop parcellaires pour savoir s'il existe en quantité suffisante pour que l'extraction soit rentable.

D'autres sites identifiés pourraient l'être : c'est ceux-là que l'on appelle des gisements. Celui de Beauvoir (Allier) suscite, par exemple, beaucoup d'espoir. L'entreprise Imérys compte en extraire près de 34 000 tonnes d'hydroxyde de lithium par an à partir de 2028, et ce, pendant au moins 25 ans, selon un communiqué publié fin octobre 2022.

L'Alsace aussi pourrait se révéler riche en lithium. Le métal y est présent dans les eaux géothermales, c'est-à-dire les eaux chaudes et salées du sous-sol, déjà employées pour produire de l'énergie. Plusieurs permis de recherches ont été octroyés à des entreprises ou sont en cours d'instruction pour développer cette activité.

Mais si disposer de ressources en lithium est un préalable pour se défaire de la dépendance à l'étranger, c'est loin d'être suffisant. "Certaines zones peuvent être riches en lithium et donc, théoriquement, d'intérêt pour une production. Pourtant, le contexte géologique peut rendre ce lithium difficilement extractible ou très difficile à séparer d'autres éléments, ce qui augmente fortement les coûts d'exploitation, explique Julien Mercadier. Donc même si cette zone a un très fort potentiel, ce ne sera pas obligatoirement une source rentable".

Des besoins difficiles à combler

Sur le site de Beauvoir (Allier), par exemple, le lithium est contenu dans un minéral appelé mica. "Ce n'est pas le même minéral que ce qu'on trouve en Australie, donc on ne peut pas copier la méthode utilisée là-bas. Imérys va devoir développer une méthodologie industrielle spécifique pour pouvoir extraire un lithium de ce minéral", souligne Julien Mercadier.

Se pose aussi la question du risque de pollution. L'extraction de lithium est considérée comme propre par les spécialistes contactés par franceinfo, mais le site de Beauvoir suscite d'importantes inquiétudes. Une enquête du média Disclose, en novembre, révélait un risque de pollution au plomb et à l'arsenic, et alertait sur la possible "bombe toxique" que représenterait ce projet minier. Un avertissement balayé par Loïs Monnier : "L'extraction du lithium n'implique pas, en théorie, de pollution à l'arsenic ou au plomb, le minerai dont est extrait le lithium étant naturellement plus pauvre en ces métaux que les roches environnantes".

Si elle surmonte ces interrogations, la filière de lithium 100% français sera-t-elle suffisante à l'horizon 2035 ? "Impossible", tranche Florian Fizaine. D'après les calculs de l'économiste, électrifier 100% des voitures électriques vendues en France nécessiterait près de 14 000 tonnes de lithium pur par an. Or il estime que le site de Beauvoir, un des plus prometteurs à ce jour, n'en fournirait que 9 800 tonnes par an. Si on ne peut pas exclure la découverte d'autres filons tricolores, "entre le moment où l'on va découvrir un gisement et le moment où on va réellement l'exploiter, il peut s'écouler 10 à 15 ans", prévient Julien Mercadier.

La France devra sûrement compter quelques années encore sur ses fournisseurs étrangers. Mais même eux pourraient ne pas réussir à suivre le rythme d'extraction imposé par nos objectifs de réductions des gaz à effet de serre.

"Les ressources présentes sur la planète suffiraient à électrifier le parc automobile mondial. Par contre, il y a un vrai problème de dynamique. Même en appuyant à fond sur l'accélérateur, l'extraction ne peut pas suivre nos besoins."

Florian Fizaine, économiste

à franceinfo

Ce constat incite de nombreux spécialistes à questionner la place de la voiture individuelle dans nos modes de vie. "Veut-on vraiment construire des voitures électriques individuelles pour tout le monde ? La question de l'exploitation du lithium, de sa durabilité, interroge aussi notre modèle de société", soulève Loïs Monnier. Les dispositifs mis en place actuellement consistent presque toujours à accroître l'offre, mais rarement à diminuer la demande en lithium et limiter le recours aux véhicules individuels. Pourtant, conclut Florian Fizaine, "on ne va pas pouvoir faire l'économie de se poser la question de la sobriété".

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