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Reportage "Le train va passer et il faut le prendre" : la première "gigafactory" de batteries électriques redonne de l'espoir au Pas-de-Calais

C’est l’avenir de l’automobile, et un nouveau moteur industriel pour les Hauts-de-France. La première méga-usine française de production de batteries pour véhicules électriques, est inaugurée ce mardi, entre Douvrin et Billy-Berclau.
Article rédigé par Thomas Giraudeau, franceinfo
Radio France
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Temps de lecture : 6 min
Les premières batteries commercialisables sortiront de l'usine ACC (Automotive Cells Company) à la fin de l'année 2023. (Thomas Giraudeau / franceinfo)

Le présent, en sursis, et le futur de l’automobile séparés par une simple route. D’un côté, l’immense usine La Française de Mécanique de Stellantis, ex-PSA, où l’on produit encore des moteurs essence et diesel. De l’autre, un gigantesque bloc noir et blanc, de 650 mètres de long, sur 110 mètres de large. Trois lettres au sommet : ACC. Et à la fin de l’année les premières batteries électriques vendues.

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Cette nouvelle usine, créée en 2020 et possédée à part égale par les constructeurs Stellantis, Mercedes et TotalEnergies, est installée à cheval sur deux villes du Pas-de-Calais, Douvrin et Billy-Berclau. Preuve qu'elle représente pour beaucoup l'avenir du secteur, les PDG des trois multinationales sont présents, mardi 30 mai, pour couper le ruban, accompagnés notamment de Bruno Le Maire, le ministre de l’Économie, Agnès Pannier-Runacher et Roland Lescure.

Après 21 ans chez Stellantis, Eric Maillard est passé de l'autre côté de la route, chez ACC. "Là où il y a des nouveaux projets, du challenge." (Thomas Giraudeau / franceinfo)

"Il y a le train qui va passer et il faut le prendre, explique Eric Maillard, cadre en logistique, qui a franchi le pas, après 21 ans passés chez Stellantis. Je suis parti pour le challenge. Un nouveau produit, de nouveaux projets. Alors que du côté de Stellantis, les projets, il n’y en avait plus. Le dernier gros projet auquel j’ai participé, c’était le lancement d’un moteur. Et la plupart des membres de l’équipe, qui ont participé au lancement, sont aujourd’hui chez ACC. Je ne regrette pas du tout mon choix. J’ai découvert de nouvelles équipes."

Un débouché pour les anciens de Stellantis

Avec l’interdiction de la vente de véhicules thermiques en Europe en 2035, les chaînes de production thermiques vont progressivement s’arrêter côté Stellantis. Les effectifs ont déjà été divisés par deux en cinq ans. Un accord a été signé entre la direction de Stellantis et les syndicats, à l’exception de la CGT : tous les volontaires peuvent partir en face, chez ACC, avec des conditions plutôt avantageuses, tels que prime de départ, salaire conservé, formation prise en charge pour s’adapter au nouveau poste...

Secrétaire FO Stellantis, Eric Delabroye accompagne ses collègues vers une reconversion, chez ACC, en face, ou en pré-retraite. (Thomas Giraudeau / franceinfo)

Eric Delabroye, technicien de maintenance, et secrétaire Force Ouvrière Stellantis, est, lui, resté, le temps d’accompagner ses collègues vers le départ chez ACC, une reconversion, ou les dispositifs de pré-retraite (les salariés de Stellantis Douvrin ont en moyenne 51 ans). "60 salariés sont partis l’an dernier, recense le syndicaliste, 120 cette année. Les prévisions de départ sont de 200 salariés en 2024, et 250 en 2025. Nous sommes actuellement 850 chez Stellantis Douvrin... Le calcul est clair !"

"Forcément, c’est compliqué pour nous, partenaires sociaux, de voir une fin des moteurs thermiques. Mais en même temps, il faut passer le pas vers l’électrique."

Eric Delabroye, secrétaire FO Stellantis

à franceinfo

Il a pu visiter le site de la nouvelle usine : "C’est vraiment impressionnant ! Une fois qu’elle sera vraiment rentrée en phase de production [à la fin de l’année 2023], il faudra qu’ACC montre à quel point l’usine peut être bénéfique, apporter de l’emploi. Et puis parler des volumes de production."

2000 emplois directs, 1000 indirects

Objectifs : produire de quoi équiper 500 000 véhicules électriques par an en 2030. Et dépasser les 2 000 emplois d’ici là. Un tiers venant de Stellantis, un tiers d’actifs ayant d’autres parcours, et un tiers de jeunes diplômés de Bac Pro, de BTS, d’IUT, détaille Frédéric Przybylski, responsable du projet de la gigafactory de batteries, et directeur du site : "Nous travaillons avec Pôle Emploi et la région pour accueillir des demandeurs d’emploi. Nous avons ainsi organisé plusieurs forums de recrutement, et lancé une première formation pour devenir conducteur d’installations. On a aussi beaucoup de candidatures spontanées. Nous embauchons des salariés expérimentés de tous les types d’industrie, souvent locales : sidérurgie, agroalimentaire, pharmacie, meuble..."

Le directeur de l'usine ACC, Frédéric Przybylski, ambitionne d'embaucher 2 000 personnes en 2027.  (Thomas Giraudeau / franceinfo)

C’est justement le cas de Lucie Huard. Après dix ans chez un sous-traitant automobile, puis dix ans dans l’industrie du meuble, elle a décidé de rejoindre ACC, en janvier 2023. Elle est en charge d’une partie des équipes qui vont installer les machines, les démarrer, et faire les essais. "Je ne cherchais pas particulièrement à revenir vers l’automobile, mais plutôt à rejoindre un énorme projet, une aventure industrielle, technologique et environnementale, pour décarboner nos mobilités" explique-t-elle. 

"Nous serons à jamais les premiers !"

Lucie Huard, employée d'ACC

à franceinfo

André Kuchcinski a le sourire. Le site ACC "balaye [ses] craintes" de désindustrialisation de la zone industrielle qu'il préside.  (Thomas Giraudeau / franceinfo)

Au-delà des emplois créés (en principe 2 000 en quatre ans), l’implantation d’ACC génère de l’activité pour un certain nombre d’entreprises, et d’industries autour du site. Jusqu’à 1 000 emplois indirects, estime André Kuchcinski, le président du parc industriel Artois-Flandres où trône l’usine de batteries : "Nous avions des craintes, il y a encore quelques années, par rapport aux baisses de production et pertes d’emplois progressives chez La Française de Mécanique - Stellantis, la principale industrie de la zone, la première aussi. L’usine est là depuis 50 ans. Puis, en 2020, ACC a annoncé son arrivée. Et nos inquiétudes ont été balayées."

Limiter la casse après Bridgestone

André Kuchcinski se frotte les mains : "Ça a boosté les implantations d’entreprise. Une société italienne, spécialiste du ruban adhésif, va s’installer et embaucher 20 à 30 personnes. Une PME dans la climatisation aussi. On ne peut pas imputer l’entièreté à ACC, mais ça y contribue par le renom de la zone. Que ce soit dans le domaine lié à la batterie, ou un autre domaine industriel."

A l’image de Vanheede, entreprise de collecte, transport et tri des déchets, bien occupée sur le chantier de l’usine de batterie, mais pas seulement, note son directeur, Stéphane Beaurain. "Il va y avoir des entreprises qui vont se mettre autour d’elle, et qui pourront nous profiter pour la gestion de nos déchets. Il va aussi y avoir des habitants supplémentaires. Ils vont peut-être faire des travaux et se dire. 'Tiens, j’ai besoin d’une benne, je vais penser à Vanheede !'", sourit-il, avant de glisser qu'il compte bientôt doubler ses effectifs, avec la perspective d’ouvrir un nouveau centre de tri.

Stéphane Beaurain, directeur de Vanheede à Douvrin, compte sur l'arrivée d'ACC pour attirer d'autres entreprises, qui deviendront ses clientes.  (Thomas Giraudeau / franceinfo)

L’arrivée de la gigafactory, et de trois autres dans les Hauts-de-France, a de quoi "limiter un peu la casse", selon Olivier Gacquerre, le président de l’agglomération Béthune-Bruay, où se trouve le site ACC. "Son inauguration marque la fin de la désindustrialisation", assure-t-il, moins de deux ans après la fermeture de l’usine de pneumatiques Bridgestone, à Béthune. "L’enjeu est de trouver comment et où remplacer les emplois perdus. Et quand une opportunité comme ACC se présente, on se doit de la saisir !La région a déjà investi 80 millions d’euros pour implanter l’usine.

Le reportage de Thomas Giraudeau

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