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Reportage Incendie, sécheresse, manque d'eau... En Bretagne, le village de Botmeur rattrapé par le réchauffement climatique

Cette commune du Finistère a Ă©chappĂ© de peu Ă  l'incendie qui a dĂ©vastĂ© les monts d'ArrĂ©e en juillet et connaĂ®t des problèmes d'approvisionnement en eau potable Ă  cause de la sĂ©cheresse. Un Ă©tĂ© compliquĂ© pour une rĂ©gion jusqu'ici plutĂ´t Ă©pargnĂ©e par les effets du rĂ©chauffement climatique.

Article rédigé par Thomas Baïetto
France Télévisions
Publié Mis à jour
Temps de lecture : 11min
Frédéric Lagadec regarde son restaurant, qui a échappé de peu à l'incendie des monts d'Arrée, le 18 août 2022 à Botmeur (Finistère). (THOMAS BAIETTO / FRANCEINFO)

Ce devait être la plus grosse soirée de l'année. Le musicien breton El Maout devait se produire le 21 juillet au café associatif "O'Pti Boneur", à Botmeur (Finistère). "Ça ramène du monde, on attendait 300 personnes", situe Malou Douillard, la serveuse des lieux. "C'est quelqu'un qui met le feu sur scène." Mais quelqu'un d'autre s'est chargé, trois jours plus tôt, d'allumer la mèche en pleine vague de chaleur. Le 18 juillet, un incendie d'origine criminelle a embrasé les monts d'Arrée, ravageant plus de 1 700 hectares de landes et de tourbières transformées en combustible par la sécheresse. Le village de 218 habitants a été évacué pendant deux jours et plus personne n'avait vraiment le cœur à la fête. "Il risquait d'y avoir des reprises de feu, ce n'était pas raisonnable de faire venir du monde", justifie la jeune femme de 24ans.

L'incendie des monts d'Arrée, le 18 juillet 2022 à Botmeur (Finistère). (DR)

Le café a tout de même rouvert le 20 juillet, pour permettre aux habitants de Botmeur de se retrouver et de partager leur expérience. Grâce au travail des pompiers, aidés par les agriculteurs des environs, les dégâts matériels se limitent à quelques clôtures fondues, comme celles d'Isabelle Lebis. Habitante de Botcador, le hameau le plus proche du brasier, cette Botmeurienne de 58 ans a commencé à s'inquiéter quand elle a vu le feu s'attaquer au Tuchenn Kador, le mont qui se dresse à l'ouest du village. Elle a eu peur pour ses chevaux, évacués à la hâte, et son habitation. La nuit a été courte, peuplée d'angoisses.

"On ne savait pas ce qui se passait, si la maison allait brûler ou pas. De là où j'ai été évacuée, à Sizun, je voyais le feu avancer sur les crêtes."

Isabelle Lebis, habitante du hameau de Botcador

Les paysages défigurés

De tous les habitants de Botmeur, Frédéric Lagadec est sans doute celui qui a eu le plus chaud. Les flammes sont passées à une dizaine de mètres de son restaurant de la Croix Cassée, juste de l'autre côté de la route départementale. Mais le quinquagénaire, qui a connu d'autres incendies dans la région, s'inquiète surtout des conséquences économiques du sinistre dans cette région touristique. Il nous accueille dans la salle de son établissement, fraîchement rouverte et pourtant vide à l'heure du déjeuner. "Avec la fermeture des routes et des chemins de randonnée, nous n'avons pas travaillé pendant un mois. Pour cet été, c'est cuit", confie-t-il, en évaluant à 4 500 euros, "peut-être plus", la perte de chiffre d'affaires.

Dans les locaux de l'association Addes, qui propose des promenades contées au départ de Botmeur, Ewen Prigent, 23 ans, fait aussi les comptes. Une semaine de travail a été perdue. Certains itinéraires, comme celui qui mène au sommet du Tuchenn Kador, ont dû être repensés et les touristes sont moins nombreux. "Normalement, à cette période de l'année, nos randonnées sont complètes. Depuis les feux, nous avons entre 10 et 20 personnes par balade contre 50 en temps normal", témoigne le guide.

Le silence des oiseaux

L'avenir de l'association, qui compte cinq salariés, est suspendu à d'éventuelles aides des collectivités locales. Au-delà du problème économique, Ewen Prigent a vu les paysages qu'il raconte à ses visiteurs radicalement changer. "A cette période de l'année, la montagne Saint-Michel est d'ordinaire complètement mauve de bruyère, une superbe couleur", décrit-il.

La chapelle Saint-Michel de Brasparts (Finistère), le 19 juillet 2022. (MAXPPP)

Le petit mont, célèbre pour sa chapelle, est noir de cendres et on entend "beaucoup moins d'oiseaux" dans les monts d'Arrée. "On organise une randonnée au petit matin, et normalement, on entend les premiers gazouillis. Je l'ai faite hier, c'était le silence total", poursuit Ewen Prigent. Il se souvient aussi de ce crapaud retrouvé mort sur une route : "Il avait échappé aux flammes, mais quand il est sorti de sa cachette, le sol était encore trop chaud et il a séché sur place."

Au parc naturel régional d'Armorique, on estime qu'il est encore trop tôt pour dresser un bilan complet des dégâts du feu sur l'écosystème local. Yves-Marie Le Guen, coordinateur du programme Life Landes, relève tout de même de "premières observations rassurantes", comme la repousse rapide de touffes de molinie, une herbe caractéristique de la lande avec la bruyère et les ajoncs. "Cela signifie que le feu a dû passer rapidement sur la plupart des secteurs, on espère que la banque de graines [présente dans le sol] n'est pas trop touchée", analyse le spécialiste. Il rappelle que "l'incendie fait aussi partie de la vie de la lande" et table sur un retour des bruyères dans les "deux ou trois ans". Yves-Marie Le Guen s'inquiète cependant de l'état des tourbières, encore inconnu pour le moment, dans lesquelles le feu a pu s'enfoncer. Plus encore que les forêts, cet écosystème permet d'atténuer le réchauffement climatique en absorbant de grandes quantités de CO2.

La "catastrophe" de la sécheresse

Selon les premières observations, la faune, en particulier les oiseaux emblématiques du parc (coulis et busard cendrés, busard Saint-Martin), qui nichent au sol, n'a pas été trop touchée. A cette période de l'année, "les jeunes volent déjà et ont pu quitter la zone", détaille Yves-Marie Le Guen. Les répercussions sont en revanche "beaucoup plus fortes" sur la microfaune – reptiles, amphibiens, mollusques, insectes –, incapable de fuir.

Une touffe d'herbe repousse après l'incendie, le 18 août 2022 à Botmeur (Finistère). (THOMAS BAIETTO / FRANCEINFO)

Au-delà des effets immédiats, certaines espèces risquent de manquer de nourriture dans ce paysage brûlé par l'incendie et déjà marqué par la sécheresse. La zone est en alerte renforcée depuis le 16 juillet, comme le reste du Finistère. Les pompages pour remplir les camions de pompiers n'ont pas arrangé la situation. "Ici et là, nous avons des assecs sévères et sur des zones assez longues, cela a un impact certain sur la biodiversité", observe Yves-Marie Le Guen.

Dans sa ferme de Botmeur, Claude Berrehar, éleveur laitier de 56 ans, n'hésite pas à parler de "catastrophe". Faute d'herbe à se mettre sous la dent, ses quelque 350 vaches ont déjà entamé les stocks d'hiver. "Au lieu de donner 3,5 tonnes d'aliments par jour, on en donne sept depuis juin", calcule-t-il, dans un contexte où les prix des matières agricoles s'envolent, bousculés par la guerre en Ukraine.

"On n'était absolument pas habitués à ça"

Alors qu'une grande partie des agriculteurs français sont confrontés depuis plusieurs années à des sécheresses récurrentes, c'est la première année que la ferme des Berrehar est concernée. "Même en 2003, nous avions de l'herbe. Les monts d'Arrée, c'est plus humide et frais", complète Isabelle, son épouse et associée.

Des fumĂ©es s'Ă©chappent du sol, Ă  proximitĂ© de la montagne Saint-Michel, le 18 aoĂ»t 2022 Ă  Saint-Rivoal (Finistère). (THOMAS BAIETTO / FRANCEINFO)

Chose impensable dans cette région très arrosée, plusieurs communes connaissent même des problèmes d'approvisionnement en eau potable. C'est le cas de Botmeur, qui a dû se faire livrer, le 10 août, 90 m3 d'eau par camion citerne. Une première. "On n'était absolument pas habitués à ça, témoigne Jean-Yves Faujour, premier adjoint au maire. Je ne dirais pas que d'habitude, on a de l'eau à ne pas savoir qu'en faire, mais presque !" Une réunion publique a été organisée pour appeler tout le monde à faire un effort, aboutissant à "une baisse significative de la consommation de 20%".

Jean-Yves Faujour ne sait cependant pas combien de temps la commune pourra "compter sur la bonne volonté des habitants". L'élu redoute une "crise significative d'ici à cet hiver".

"Nos nappes phréatiques ne vont pas se recharger avant novembre-décembre."

Jean-Yves Faujour, premier adjoint au maire de Botmeur

Pour éviter de se retrouver dans cette situation, la commune réfléchit à connecter son réseau avec celui des villages voisins et, éventuellement, à creuser de nouveaux captages. "C'est un problème qui nous est arrivé une fois en 46 ans, on ne va pas non plus se précipiter", temporise toutefois le premier adjoint.

Le premier adjoint de Botmeur, Jean-Yves Faujour, près d'un captage d'eau potable de la commune, le 18 août 2022. (THOMAS BAIETTO / FRANCEINFO)

Malgré cet été surchauffé et les 39,3°C atteints dans le Finistère le jour du premier incendie, Jean-Yves Faujour refuse de croire les prévisions du Groupe intergouvernemental sur l'évolution du climat (Giec) : sous l'effet de notre consommation d'énergies fossiles (charbon, pétrole, gaz), les vagues de chaleur, les sécheresses et le manque d'eau vont se répéter de plus en plus souvent en France. "J'en suis conscient, mais je suis aussi assez sceptique, quand je vois l'incapacité des météorologues à prévoir la météo à quelques jours", lâche l'élu de 71 ans. Une confusion entre climat et météo, régulièrement exploitée par les climatosceptiques et maintes fois corrigée (voir ici ou là).

"Nous n'avons plus d'hiver"

Sa position est minoritaire parmi les habitants de Botmeur que nous avons rencontrés. "Il y a 20 ou 30 ans, quand je regardais le Tour de France, toutes les autres régions de France avaient des maïs super beaux et les nôtres étaient nains, se souvient Claude Berrehar. Aujourd'hui, le nôtre est beau et le leur est grillé." "Nous n'avons plus d'hiver ici. Avant, on avait des –17°C et des congères de 2 mètres, on ne voit plus ça", ajoute Frédéric Lagadec, le restaurateur. Lorsqu'il habitait près de Bordeaux, Michel Desjouis, le président du café associatif, fréquentait des viticulteurs obligés de s'adapter à ce climat plus chaud. "Je n'ai pas pensé une minute en venant à Botmeur que cela allait augmenter aussi et qu'on ressentirait dès maintenant le réchauffement climatique", reconnaît le septuagénaire.

"Vous m'auriez posé la question en début d'année, je vous aurais répondu : 'Ici, ça va.'"

Michel Desjouis, président du café associatif

Un camion de pompiers près de la montagne Saint-Michel, le 18 août 2022 à Brasparts (Finistère). (THOMAS BAIETTO / FRANCEINFO)

Aujourd'hui, cela va moins bien. Derrière le comptoir de sa crêperie ambulante, installée dans le centre de Botmeur, Josiane Guen n'hésite pas à se revendiquer "réfugiée climatique". "On s'est fait évacuer manu militari de chez nous, on a vu nos terres cramer et notre commerce risque de couler", argumente-t-elle, avant de s'en prendre aux responsables politiques. "C'est le résultat d'années de conneries. Vous êtes ici sur l'ancienne circonscription de Richard Ferrand [ancien président de l'Assemblée nationale]. Il a fait quoi sur ce sujet ?"

Josiane Guen ne croit pas à l'hypothèse d'une prise de conscience après cet été de catastrophes. "Les gens n'en ont rien foutre, cingle-t-elle. Ils continuent de consommer, mais allons-y, consommons, consommons et nous vivrons dans la cendre." Lors du dernier feu, en 2010, environ 500 hectares avaient brûlé. Cette année, selon les estimations du parc naturel, les différents incendies de l'été ont détruit 2 800 hectares de landes, du jamais-vu depuis 1976.

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