Réchauffement climatique : que cache la baisse "record" des émissions de gaz à effet de serre de la France en 2023 ?

Article rédigé par Louis San
France Télévisions
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Des véhicules sur l'autoroute A10, en direction de Paris, le 5 novembre 2023. (LAURE BOYER / AFP)
Le ministre Christophe Béchu s'est félicité que les émissions françaises aient baissé de 4,8% en 2023 par rapport à 2022. Un résultat en phase avec l'objectif gouvernemental d'une réduction de 55% d'ici à 2030.

Une "année record". Le ministre de la Transition écologique, Christophe Béchu, n'a pas caché une certaine satisfaction en annonçant, mercredi 20 mars, que la France avait réduit ses émissions de gaz à effet de serre de 4,8% en 2023 par rapport à 2022. Un recul qui équivaut, en une seule année, à "quasiment de la totalité de la baisse" enregistrée "en France entre 2012 et 2017", a affirmé le ministre sur TF1.

Le réchauffement climatique est lié aux activités humaines, et plus particulièrement à nos émissions de gaz à effet de serre causées par le recours aux énergies fossiles (pétrole, gaz, charbon). Le dioxyde de carbone (CO2) est le principal gaz à effet de serre. La France s'est fixée comme objectif de réduire ses émissions de 55% à l'horizon 2030 par rapport aux niveaux de 1990. Cela implique qu'elles baissent de 5% par an, tous les ans, entre 2022 et 2030. Le résultat de 2023, bien qu'encourageant, est donc inférieur à cet objectif.

"Cette année 2023, elle est dans les rails du rythme que nous devons tenir jusqu'à la fin de la décennie."

Christophe Béchu, ministre de la Transition écologique

sur TF1

La baisse de 2023 "vaut dans tous les secteurs", selon Christophe Béchu, dévoilant en avant-première les chiffres du Citepa (fichier PDF), l'organisme chargé d'évaluer les émissions de gaz à effet de serre de la France. La diminution est "plus marquée" pour le secteur du bâtiment, grâce à "la poursuite de la rénovation, de la sobriété aussi d'une part des ménages", a déclaré le ministre. "On a une baisse également de l'industrie, qui est répartie sur l'année, qui n'est pas liée à un ralentissement économique de fin d'année", a-t-il assuré.

Les transports en retard

Le ministre de la Transition écologique concède un bémol : une baisse "plus modeste dans les transports", où "on a néanmoins une baisse des émissions de l'ordre de 2%". Le faible rythme de réduction du secteur des transports est souvent pointé du doigt. En 2022, les émissions du secteur avaient même augmenté de 2%. Les difficultés à engendrer une baisse sont "un vrai problème, car les émissions de la France sont surtout dans les transports", note Nicolas Goldberg, spécialiste énergie chez Columbus Consulting.

"Le plus gros enjeu pour la France, ce sont les transports", estimait ainsi le climatologue Gilles Ramstein sur franceinfo en 2022. Avec 136 millions de tonnes de CO2eq, les transports représentent le secteur le plus émetteur de gaz à effet de serre en France (31% des émissions), loin devant l'industrie (19%) et l'agriculture (19%), selon les données du Haut Conseil pour le climat (fichier PDF).

Pour Nicolas Goldberg, l'Etat n'attaque que "timidement" le problème alors qu'il faudrait "accélérer" dans le domaine. Il prend l'exemple du leasing social de voiture électrique, qu'il qualifie de "superbe idée". La mesure, victime de son succès, a été stoppée pour 2024 dès le mois de février. "Le gouvernement a choisi de le mettre à l'arrêt plutôt que de l'élargir, c'est dommage", commente l'analyste, soulignant que le dispositif peut aider à "briser des croyances et des idées reçues" sur les véhicules électriques, concernant notamment leur coût et leur facilité d'utilisation.

Une sobriété subie

Pour le reste, il s'avère encore difficile de distinguer les baisses d'émissions de gaz à effet de serre qui relèvent de réels efforts de la part des Français et celles liées à l'inflation. La "chute spectaculaire" de la consommation de gaz et d'électricité est liée à l'explosion des prix, tranche Nicolas Goldberg. D'après lui, certaines pratiques vont se perpétuer, comme le fait de chauffer les pièces à seulement 19°C. "Mais l'industriel qui a modifié son procédé à la marge pour utiliser moins de gaz, va-t-il le maintenir ? s'interroge l'expert. La crise a-t-elle été un déclencheur ou a-t-elle accéléré une tendance qui était déjà là ?"

La baisse est "majoritairement due à des effets conjoncturels, malheureusement subis, principalement liés aux hausses des prix de l'énergie, et donc à une sobriété non choisie", abonde de son côté Cyrielle Denhartigh, coordinatrice des programmes de Réseau action climat.

Une chose est certaine : les tendances vont devoir se maintenir pour tenir les objectifs de réduction des émissions de gaz à effet de serre. Surtout, prévient Nicolas Goldberg, la France ne pourra les atteindre que si elle parvient à débloquer la situation pour les transports. Outre l'électrification de la voiture, cela peut passer par davantage de transports en commun, de la sobriété avec une réduction de la vitesse sur les routes, ou des mesures pour réduire le poids des véhicules, énumère le spécialiste. Mais sur les sujets qui touchent la voiture individuelle, "on voit bien qu'on y va à reculons". Pour les avions, Cyrielle Denhartigh estime que l'Etat doit "réformer la fiscalité du secteur aérien, dont les émissions continuent d'augmenter".

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