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Infographies Banques, Etats, fonds privés... Qui finance les énergies fossiles, principale cause du réchauffement climatique ?

Les énergies fossiles, dont la consommation est la principale cause du changement climatique, continuent de bénéficier d'importants investissements privés et de subventions publiques.
Article rédigé par Thomas Baïetto
France Télévisions
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Le secteur public comme privé continue de financer massivement les énergies fossiles, cause principale du réchauffement climatique. (PAULINE LE NOURS / FRANCEINFO)

Les déclarations de bonne intention des entreprises ou des Etats sur la transition écologique masquent la réalité. Huit ans après l'accord de Paris, ils continuent de financer davantage le réchauffement climatique que les solutions pour le limiter. "Les financements publics et privés pour les énergies fossiles sont toujours plus importants que ceux pour l'atténuation et l'adaptation au changement climatique", constatait en avril 2022 le Groupe d'experts intergouvernemental sur l'évolution du climat, qui doit publier lundi 20 mars la synthèse de ses derniers rapports. La consommation de charbon, de pétrole et de gaz est pourtant, de très loin, la première cause du changement climatique (PDF) provoqué par les activités humaines. En brûlant, ces énergies fossiles dégagent des gaz à effet de serre, qui piègent la chaleur du soleil.

Sortir de cette dépendance est donc indispensable pour préserver les conditions de vie sur Terre. "Les investissements d'aujourd'hui déterminent le niveau des émissions de gaz à effet de serre de demain", alerte Maxime Ledez, chargé de recherche à l'Institut de l'économie pour le climat (I4CE). "Personne n'a dit qu'il fallait sortir des énergies fossiles du jour au lendemain", complète Lucie Pinson, directrice de l'ONG Reclaim Finance. Le problème est que ces capitaux vont vers de nouveaux projets [comme le projet EACOP de TotalEnergies ou le nouveau terminal méthanier du Havre] incompatibles avec nos objectifs climatiques et des entreprises qui n'ont pas de plan de transition."  L'Agence internationale de l'énergie (AIE), une agence historiquement créé après le choc pétrolier de 1974 pour sécuriser l'approvisionnement en énergie, ne dit pas autre chose. En 2021*, elle estimait, dans une déclaration remarquée, qu'il n'était pas nécessaire de lancer de nouveaux projets d'exploitation de gaz, de charbon ou de pétrole pour réaliser la transition énergétique.

Pourtant, les sommes injectés par les banques dans cette industrie "restent au même niveau et les subventions publiques sont en augmentation", constate Natalie Jones, experte à l'Institut international du développement durable (IISD). Franceinfo fait le point sur ces flux financiers qui alimentent le réchauffement climatique.

Les banques et les acteurs privés financent les entreprises productrices

Les banques. Depuis la signature de l'accord de Paris en 2015, les 60 plus grandes banques du monde ont fourni chaque année en moyenne 764 milliards de dollars (718 milliards d'euros) aux entreprises productrices d'énergies fossiles, selon les calculs de la coalition d'ONG Banking on climate chaos* ("Miser sur le chaos climatique"). Si le montant alloué chaque année aux géants du secteur comme ExxonMobil ou Saudi Aramco diminue depuis 2019, les financements plafonnent plus qu'ils ne baissent : le dernier chiffre disponible – 742 milliards de dollars pour l'année 2021 – reste supérieur aux années 2016 et 2017. Parmi ces banques, 44, soit presque les trois-quarts, se sont pourtant engagées à atteindre la neutralité carbone en 2050. "Elles ont fait de grandes promesses et elles continuent de faire des chèques sans condition, sans demander à leurs clients de prendre les mesures qui s'imposent", regrette Lucie Pinson, dont l'ONG fait partie de la coalition Banking on climate chaos.

BNP Paribas, première banque française du classement (10e) devant la Société générale (21e) et le Crédit Agricole (23e), défend sa stratégie critiquée par les ONG. "Ces classements qui additionnent des montants de financement sur cinq ans ont le défaut de gommer notre trajectoire de réduction", assure Laurence Pessez, directrice chargée de la responsabilité sociale et environnementale à la BNP, même si la courbe d'investissements de la banque dessine pour le moment plutôt un plateau, avec 14,75 milliards de dollars en 2021 contre 17,87 en 2016. "Fin 2022, nous avons d'ores et déjà plus de financements qui vont vers les énergies bas carbone, essentiellement renouvelables, que vers les fossiles, à savoir 55% contre 45%", développe-t-elle. BNP s'est engagée à réduire de 30% ses financements liés à l'extraction et à la production de gaz, et de 80% ceux liés à l'extraction et à la production de pétrole d'ici 2030.

Des engagements insuffisants pour les observateurs. En février, trois ONG ont assigné la banque en justice et 600 scientifiques ont publié une lettre ouverte dans L'Obs appelant l'entreprise à "cesser de soutenir de nouveaux projets pétroliers et gaziers". "Nous déplorons que ces ONG aient choisi la voix du contentieux plutôt que le dialogue", réagit Laurence Pessez, avant de répondre aux chercheurs : "Il y a un consensus scientifique sur la nécessité de diminuer nos émissions. Les scientifiques, qui se concentrent sur cette dimension, constatent que cela ne va pas assez vite [les émissions continuent même d'augmenter]. On l'entend et on a d'ailleurs pris de nouveaux engagements. Ils s'inscrivent pleinement dans la traduction opérationnelle de l'Agence internationale de l'énergie, qui intègre à la fois l'urgence climatique et d'autres paramètres économiques et sociaux." La banque estime enfin que "la transformation du secteur de l'énergie ne se fera pas sans les majors pétrolières et gazières qui investissent de façon importante dans les énergies bas-carbone".

Chez Reclaim Finance, Lucie Pinson reconnaît que les objectifs à 2030 pour le portefeuille de BNP Paribas sont alignés sur la feuille de route de l'AIE. Mais "c'est la trajectoire qui compte. Leur portefeuille est au bon niveau en 2030. Est-ce qu'entretemps, ils ne vont pas aider beaucoup d'entreprises fossiles ?" s'interroge-t-elle. La militante relève également que les engagements des banques ne couvrent que les prêts et pas l'émission d'obligations, un autre outil de financement qui a l'avantage de ne pas figurer à leur bilan et qui consiste à vendre des créances d'une entreprise sur les marchés. Un exemple récent permet d'illustrer le problème : le 23 février, un prêt accordé à des filiales de Saudi Aramco, la puissante entreprise pétrolière saoudienne, a été transformé en obligation, avec le concours de BNP Paribas, du Crédit agricole, de la Société générale et de Natixis.

"Est-ce que les banques françaises comptent respecter leurs objectifs de décarbonation ou est-ce qu'elles sont juste en train de faire le ménage pour sortir ces transactions de leur bilan ?"

Lucie Pinson, directrice de Reclaim Finance

à franceinfo

Enfin, la militante insiste sur le fait que BNP ne demande pas à ces clients "d'arrêter le développement de nouveaux projets" et conteste le traitement de faveur accordé au gaz, labellisé énergie de transition par l'Union européenne. "C'est une énergie fossile, qui dit diminuer dans les scénarios, au même titre que les autres", rappelle Lucie Pinson.

Toutes les banques ne sont pas sur la même ligne. Le site Change de banque, développé par Reclaim Finance, distingue quatre alternatives responsables en France, dont La Banque postale et le Crédit coopératif. Spécialisées dans la banque de détail, elles ne financent pas ce secteur ou se sont engagées à en sortir totalement d'ici 2030. "Toutes les banques devraient appliquer une logique de précaution et conditionner leur soutien à l'arrêt du développement des énergies fossiles. Mais cette approche-là n'est pas bonne d'un point de vue business", contextualise Lucie Pinson.

Les gestionnaires d'actifs, les assurances et autres acteurs privés. Le financement privé des énergies fossiles ne se résume pas aux banques. Les gestionnaires d'actifs, qui investissent les capitaux qui leur sont confiés, et les fonds de pension mettent aussi la main au pot. Les compagnies d'assurance fournissent leurs services, souvent indispensables pour la réalisation d'un projet. Mais aucun chiffre n'existe faute d'obligation, regrettent les ONG. 

En France, l'I4CE dresse chaque année un panorama des investissements, publics et privés, dans les énergies fossiles sur le territoire français. Ces investissements, dominés par l'achat par des particuliers, des entreprises ou des administrations de véhicules à essence, sont en baisse, avec 62 milliards d'euros en 2021, contre 86 en 2019. Une diminution qui s'explique avant tout par les difficultés d'approvisionnement en semi-conducteurs des constructeurs automobiles. "Une fois que ces contraintes seront levées, il y risque d'y avoir un rebond", prévient Maxime Ledez.

La situation n'est cependant pas désespérée. Selon les données de Bloomberg Nef, les investissements dans la transition énergétique, privé et public confondus, étaient en 2022 au même niveau que les sommes allouées aux énergies fossiles, à 1 100 milliards de dollars. Une première pour cet indicateur.

Les Etats subventionnent la consommation de ces énergies

Si les financements accordés par les banques plafonnent, les subventions des Etats pour la consommation de charbon, pétrole ou gaz sont à la hausse, sous l'effet de la crise énergétique provoquée par la guerre en Ukraine. Les sommes ont même triplé pour le charbon. En 2022, 1 000 milliards de dollars (939 milliards d'euros) ont ainsi été distribués, selon les chiffres de l'AIE*. Un record, auquel il faut ajouter 626 milliards de dollars (587 milliards d'euros) d'aides à la consommation non prise en compte par la méthodologie de l'AIE sur les subventions. Derrière ces sommes, on trouve des mesures comme le plafonnement des prix – par exemple, le bouclier tarifaire sur le prix du gaz en France –, des avantages fiscaux ou des chèques énergies.

Si ces mesures peuvent se défendre d'un point de vue social, l'AIE relève qu'elles sont "rarement bien ciblées pour protéger les plus vulnérables et qu'elles ont tendance à profiter aux plus aisés", qui consomment davantage d'énergie. L'agence y voit "un signe inquiétant pour la transition énergétique", freinée par ce type de mesures. Dans le pacte de Glasgow pour le climat*, la déclaration finale de la COP26, la communauté internationale appelait d'ailleurs à "supprimer progressivement les subventions inefficaces aux énergies fossiles, tout en soutenant de manière ciblée les plus pauvres et les plus vulnérables". Pour Natalie Jones, chercheuse à l'Institut international du développement durable, "le meilleur moyen, à long terme, de protéger les consommateurs de la volatilité des prix de l'énergie est de construire un système basé sur les énergies renouvelables et l'efficacité énergétique".

"Ces subventions affaiblissent l'effort global contre le changement climatique parce qu'elles nous enferment dans notre dépendance aux énergies fossiles."

Natalie Jones, chercheuse à l'IISD

à franceinfo

La France n'est pas en reste. En 2023, elle dépensera 19,6 milliards d'euros dans des dépenses "défavorables" au climat, un chiffre largement minoré comme franceinfo l'avait expliqué en octobre. A l'Institut de l'économie pour le climat, Maxime Ledez relève également que certains financements des énergies fossiles, comme le différentiel de fiscalité entre le diesel et l'essence ou la TVA minorée sur les billets d'avion, ne sont pas non plus pris en compte par l'Etat dans ses calculs. "Clairement, ces dispositifs fiscaux ne vont pas dans le sens de nos objectifs climatiques", résume-t-il. Pour Maxime Ledez, nos sociétés auront "du mal à se passer à court terme de ces subventions" : "La question, c'est comment on arrive à organiser la décarbonation le plus rapidement possible sans perturber nos activités sociales et économiques ?"

* Tous les liens signalés par un astérisque sont en anglais.

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