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Réseaux sociaux, fibre écologique, féminisation… Comment les chasseurs tentent de moderniser leur image

Article rédigé par Ilan Caro, franceinfo - Charlotte Causit
France Télévisions
Publié Mis à jour
Temps de lecture : 9 min
Plus proche de la nature, plus féminin, plus connecté. Voilà le nouveau profil de chasseurs que cette communauté entend mettre en avant dans sa communication, en 2020. (JESSICA KOMGUEN / FRANCEINFO)

Face à la montée en puissance des critiques, les chasseurs tentent de séduire l'opinion publique : fini la caricature du viandard bourru, aviné, chère aux Inconnus. Ils se présentent désormais comme des défenseurs modernes de la nature.

"C'que j'kiffe, c'est l'adrénaline ! Le moment où tout le monde commence à courir, c'est ouf ! T'entends le signal et là tu sais que c'est tipar. Quand je suis avec la meute, j'suis une machine, inarrêtable. Non, vraiment j'kiffe ça la chasse à courre !" Sur un banc, au pied d'un immeuble de cité, voilà le type de discussions qu'entretiennent deux jeunes filles. La scène sera peut-être réelle, un jour. Mais en attendant, elle n'existe que dans un clip promotionnel de la Fédération nationale des chasseurs (FNC)

Pour dépoussiérer son image, le milieu de la chasse est passé à l'offensive en s'adressant à une frange de la population française peu suspecte de goûter aux joies des battues ou du tir au gibier d'eau. Dans cette série de huit clips publicitaires diffusés depuis le 20 août sur les réseaux sociaux, le ton est volontiers décalé, les personnages peu crédibles et les situations grotesques. Mais qu'importe : le très médiatique président de la FNC, Willy Schraen, assume la démarche jusqu'au bout. "Il faut que l'on sorte du bois pour parler de la chasse, l'expliquer, la confronter aux autres, la faire évoluer avec les gens qui nous entourent", explique-t-il à franceinfo.

Depuis que je suis gamin, les chasseurs ont cru que pour vivre heureux, ils devaient vivre cachés. On ne parlait pas dans les médias nationaux, et on a fini par se couper de l'opinion publique.

Willy Schraen, président de la Fédération nationale des chasseurs

à franceinfo

Le constat est en effet alarmant pour les chasseurs. Selon un sondage Ipsos pour l'association de défense des animaux One Voice, publié en 2018, seuls 19% des Français se disent favorables à la pratique, et 84% la trouvent dangereuse, mettant en avant son lot annuel d'accidents. Les écologistes dénoncent les quantités de plombs déversés dans les forêts, même si de nouveaux matériaux, plus propres, existent désormais. Les défenseurs du bien-être animal et les antispécistes, très actifs sur les réseaux sociaux, s'élèvent, eux, contre le bien-fondé même de la chasse, jugée immorale. Et voilà que pointe désormais la menace d'un référendum d'initiative citoyenne sur la protection des animaux et de leurs droits, dont l'une des propositions vise à interdire les chasses traditionnelles, comme la chasse à courre. Pour le milieu cynégétique, la reconquête de l'opinion est devenue une question de survie.

Une image poussiéreuse

"On a laissé nos détracteurs parler de la chasse à notre place", constate Willy Schraen. A son arrivée à la tête de la puissante fédération des chasseurs en 2016, il a radicalement changé de stratégie de communication. L'homme du Nord, à l'imposant physique de bûcheron, ne passe pas inaperçu sur les plateaux des chaînes d'info, où il s'invite régulièrement. Son livre, Un chasseur en campagne (éditions du Gerfaut), paru le 11 août, a bénéficié d'un coup de projecteur exceptionnel grâce à une préface d'Eric Dupond-Moretti, signée peu avant qu'il ne devienne garde des Sceaux.

"Passionné" de chasse, le médiatique avocat défend avec ardeur une communauté confrontée à une crise des vocations : en près d'un demi-siècle, son contingent a fondu de moitié, passant de 2,3 millions en 1976 à 1,03 million en 2020. Les troupes restent très masculines (avec seulement 2,5% de femmes) et plutôt âgées (53% ont plus de 55 ans). D'où la nécessité de cibler un public nouveau, à mille lieues de "Dédé du Bouchonnois", caricaturé dans le sketch culte des Inconnus.

Les chasseurs, premiers écologistes de France ?

Les choses seraient toutefois en train de changer, d'après les représentants de la chasse en France. "Aujourd'hui, 15% des candidats à l'examen du permis de chasser sont des femmes", se félicite Willy Schraen. Autrefois invisibilisées, elles incarnent selon lui l'avenir : "Demain, la chasse sera féminine", assure-t-il dans son livre. Simple élément de langage ? Les chasseurs, bien que fervents défenseurs des traditions rurales, savent aussi adapter leur message aux évolutions sociétales. "Depuis les années 1970, différents types de discours ont été utilisés", rappelle Frédérick Guyon, enseignant-chercheur et auteur de plusieurs études sur la pratique. "La défense du mode de vie rural" est d'abord plébiscitée en réaction à l'exode des habitants des campagnes. La chasse est alors dépeinte comme l'héritage d'un ancrage auquel il est difficile de s'opposer, observe le sociologue.

Dans les années 1990, quand la France est confrontée à une surpopulation d'espèces sauvages, qui induit des dégâts agricoles, les chasseurs mettent en avant une autre dimension de leur pratique : les voilà "gestionnaires", indispensables pour réguler les populations animales. Enfin, en 2018, ils se proclament carrément "premiers écologistes de France", dans une campagne de la FNC volontairement provocatrice, placardée jusque dans le métro parisien.

Vues aériennes, couchers de soleil, groupes de brocards trottant sur fond de musique classique… "Quand on va sur leur site internet, on a l'impression d'être sur celui de la Ligue pour la protection des oiseaux ou de France Nature Environnement. Il y a des vidéos où on voit des mésanges se nourrir, ce qui n'a aucun rapport avec la chasse", ironise Richard Holding, chargé de communication de l'Association pour la protection des animaux sauvages (Aspas). "On ne voit pas une goutte de sang, ils édulcorent totalement leur image."

Chez les chasseurs, on assume ces clichés aseptisés, mettant en scène des animaux en pleine forme, mais aucun cadavre ni trophée. "C'est pour montrer toutes les autres facettes", explique Guillaume Desenfant, directeur de la communication de la fédération départementale des chasseurs de Gironde, la plus importante en France. Il défend une publicité qui ne heurte pas "la sensibilité du plus grand nombre" et qui montre que le "prélèvement" de l'animal "est une finalité. Avant, il y a tout un process de gestion des territoires, d'approche, de connaissance du milieu, des espèces, etc."

Un changement de ton diversement apprécié

Difficile d'évaluer la réussite d'une telle stratégie de dédiabolisation. Si les fédérations assurent capter un nouveau public, la dernière campagne vidéo a suscité les railleries des internautes. Sur YouTube, où chacun de ses clips a en moyenne été vu 200 000 fois, la FNC a d'ailleurs préféré désactiver la possibilité de laisser des commentaires.

Au sein même de l'ensemble très hétéroclite des chasseurs, les avis divergent. Des jeunes s'y reconnaissent, d'autres apprécient le changement de ton, mais pour certains, le message apparaît déplacé. "Je ne trouve pas ça très pertinent en termes d'image", regrette Guillaume Desenfant.

Quand je vois deux femmes sur un banc qui discutent avec tous les classiques du vocabulaire de cité, je ne vois pas le rapport avec la chasse et avec la nature. (...) J'ai peur que pour les non-chasseurs, cela fasse un peu has-been."

Guillaume Desenfant, communicant

à franceinfo

Au-delà de la communication, les chasseurs assurent aussi faire évoluer leurs pratiques. Malgré des résistances dans ses rangs, Willy Schraen a défendu la mise en place de formations de sécurité obligatoires tous les dix ans. Une mesure "indispensable" et "essentielle pour l'opinion publique", plaide-t-il dans son livre. "Nous rendrons ainsi service à nos enfants et à l'image de la chasse dans notre société."

De la chasse tradition à la "chasse consommation"

Et d'autres changements sont à prévoir, prévient le président de la FNC. "Quand j'étais jeune, la chasse était une activité exclusive. On y entrait comme en religion. On voit bien aujourd'hui qu'elle est confrontée avec d'autres activités." Il s'agira peut-être bientôt de "consommer de la chasse" comme on pratique l'escalade ou le golf.

Deux jeunes passionnés, Paul Ponsar et Olivier de Trémaudan, l'ont bien compris. Ils ont créé en août 2019 un "Airbnb" proposant des "expériences de chasse". Pour une journée découverte de battue aux grands gibiers dans le Lot-et-Garonne, comptez 125 euros. Pour traquer le sanglier dans les Cévennes, il faudra débourser 389 euros. Les deux entrepreneurs réfléchissent désormais à développer "une offre nature" destinée aux néophytes. "Pour permettre aux chasseurs de faire découvrir un autre pan de leur passion, comme la photographie animalière", en vogue sur Instagram, Facebook ou YouTube, les canaux de diffusion privilégiés des chasseurs nouvelle génération.

Insta-chasseuse

Certains "influenceurs" s'y sont même fait une place, à l'instar de Johanna Clermont, jeune Perpignanaise connue comme "chasseresse et instagrameuse". Egérie d'une chaîne de streaming spécialisée, Zone 300, elle a aussi fait irruption cet été sur des encarts publicitaires du métro parisien.

Comme elle, Fiona Hopkins, chasseuse française d'une vingtaine d'années, étale sa passion sur les réseaux sociaux. Ses selfies en forêt et ses trophées de chasse sont accompagnés de longues descriptions : "Beaucoup de personnes me suivent et ne chassent pas forcément", explique-t-elle. En ligne, elle s'emploie à démontrer que féminité, amour des animaux et chasse ne sont pas incompatibles

Une lune de miel avec Emmanuel Macron

Des pratiquants touche-à-tout et plus connectés que leurs aînés : la tendance pourrait encore s'accélérer grâce au cadeau offert par Emmanuel Macron en août 2018. Le président avait alors divisé par deux le coût du permis national (de 400 à 200 euros). Depuis, leur nombre a été multiplié par cinq. Alors que 90% des chasseurs se contentaient d'un permis départemental, moins coûteux, près de la moitié optent à présent pour une version nationale. Une victoire pour les chasseurs, bien aidés par l'activisme du lobbyiste maison, Thierry Coste. Et une cuisante défaite pour Nicolas Hulot, ex-ministre de l'Ecologie, qui avait démissionné du gouvernement dans la foulée.

Conseiller de la FNC depuis plusieurs années, Thierry Coste connaît parfaitement les rouages du pouvoir et a toujours su murmurer à l'oreille des présidents, de Chirac à Hollande en passant par Sarkozy. Mais c'est avec Macron que les liens sont les plus forts. Les deux hommes se sont rencontrés via le sénateur (LREM) de Côte-d'Or François Patriat, chasseur à ses heures perdues.

Je suis arrivé chez Macron comme je suis arrivé chez les autres, mais je suis tombé sur quelqu'un qui pensait comme moi. J'ai rencontré quelqu'un qui avait une vraie fibre.

Thierry Coste, conseiller politique de la FNC

à franceinfo

Dans son récent livre, Willy Schraen étale sur plusieurs pages tout le bien qu'il pense d'Emmanuel Macron, bien que celui-ci ait désavoué la FNC en interdisant, jeudi 27 août, la chasse à la glu pour les grives et les merles cette année"Quand nous échangeons sur les sujets de la chasse et de la ruralité, je ne discute pas avec un politique qui cherche à faire des voix, mais avec un homme qui cherche à trouver des solutions équilibrées pour que perdurent ces choix de vie qui concernent encore aujourd'hui plus du tiers des Français." Une manière de suggérer que les chasseurs sont aussi des électeurs assidus.

Et pourquoi s'arrêter en si bon chemin ? D'ici à la prochaine élection présidentielle, les chasseurs entendent bien poursuivre cet intense travail de lobbying. Dans quelques semaines, un livre blanc tiré à 600 000 exemplaires sera adressé à tous les conseillers municipaux. "Les chasseurs ont 30 ans de retard. La reconquête va durer plusieurs années", prévient Thierry Coste, prêt à chasser un gibier très particulier : les préjugés.  

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