Chine : pourquoi l'effondrement du géant immobilier Evergrande suscite-t-il l'inquiétude ?
Le premier promoteur immobilier chinois est couvert de dettes et pourrait faire faillite en laissant des milliers de propriétaires, de créanciers et de sous-traitants sur le carreau. Et avoir un impact ailleurs dans le monde.
Vous ne connaissez peut-être pas son nom : Evergrande. Pourtant, cette entreprise chinoise est devenue en quelques années le plus gros promoteur immobilier du pays, faisant de son fondateur, l'ancien métallo Xu Jiayin, l'homme le plus riche de Chine en 2017. Mais, lundi 13 septembre, le groupe, en proie à une dette abyssale, a déclaré faire face à des "difficultés sans précédent", laissant craindre une faillite, qu'il a démentie. Franceinfo vous explique pourquoi la chute d'Evergrande fait aujourd'hui trembler l'empire du Milieu.
Parce que l'entreprise s'est endettée jusqu'au cou (malgré les alertes)
Le chiffre fait froid dans le dos. Le montant total de l'endettement du groupe Evergrande s'élèverait à plus de 300 milliards de dollars et la perspective d'une faillite est prise très au sérieux.
Les alertes sur la santé de l'entreprise remontent pourtant à 2018. Cette année-là, la Banque centrale inscrit le mastodonte immobilier sur sa liste des conglomérats à surveiller en raison d'un endettement excessif et dont la faillite ferait courir un risque au système économique. En 2020, le régulateur institue des limites à la dette dans l'immobilier. Evergrande vend également 28% de ses activités de gérance immobilière et commence à céder des biens avec une grosse décote.
En juin 2021, l'autorité de régulation interdit de vendre un bien tant que les travaux ne sont pas achevés, alors qu'Evergrande se servait traditionnellement des dépôts d'acheteurs pour financer sa croissance. Deux mois plus tard, les grandes agences de notation internationales abaissent leur note, compliquant encore le recours au crédit pour Evergrande.
Parce qu'Evergrande pourrait ne pas payer ses créanciers
L'annonce a fait l'effet d'une bombe en Chine. Mardi 14 septembre, Evergrande a laissé entendre qu'il pourrait ne pas être en mesure de payer ses créanciers. De quoi inquiéter les personnes ayant investi dans l'entreprise. Et elles sont nombreuses. "Le placement immobilier a été pendant longtemps le placement refuge, explique Jean-François Di Meglio, président de l'institut de recherche Asia Centre, à franceinfo. Quand on avait de l'épargne, on investissait dans un deuxième ou un troisième actif immobilier, parfois qui restait sans occupant. Cela a donné naissance à beaucoup de groupes immobiliers."
C'est le cas d'une Pékinoise, rencontrée devant le siège de l'entreprise par l'AFP. "Mon père comptait sur les rendements pour payer les soins médicaux de ma mère" gravement malade, explique-t-elle. Aujourd'hui, ils se retrouvent sans un sou alors qu'Evergrande "avait promis un retour sur investissement élevé", s'emporte-t-elle.
Parce que les sous-traitants de l'entreprise sont abandonnés
La chute d'Evergrande fait craindre de graves conséquences sur l'emploi en Chine. Si la firme dit employer 200 000 personnes, elle pèse indirectement sur 3,8 millions d'emplois dans le pays. Et ces sous-traitants pourraient eux aussi se retrouver sur le carreau. "Ils ont été payés avec de la 'monnaie de singe' puisque ce sont tout simplement des reconnaissances de dettes qui ont été signées par Evergrande, explique Jean-François Di Meglio. Le jour où vous vous rendez compte qu'Evergrande ne vaut pas ce qu'il est supposé valoir (...) c'est là que les problèmes de liquidités commencent à arriver, y compris pour les sous-traitants." De nombreux travaux de construction immobilière ont déjà été stoppés dans le pays.
Parce que le groupe doit encore achever plus d'un million de logements
La mauvaise santé d'Evergrande risque également de transformer le rêve de centaines de milliers de Chinois de devenir propriétaires en cauchemar. La plupart ont déjà versé un apport personnel pour s'installer dans l'appartement qu'ils ont commandé. Bien souvent, la construction n'est toujours pas achevée et nul ne sait s'ils pourront un jour l'occuper. Selon des experts, le groupe doit encore achever 1,4 million de logements pour une valeur totale de 170 milliards d'euros.
De quoi attiser la colère des manifestants rassemblés pour le troisième jour de suite devant le siège du groupe à Shenzhen, la métropole ultramoderne du sud de la Chine, aux portes de Hong Kong. Dans un pays où les manifestations sont de facto illicites, des protestataires ont envahi lundi les locaux du groupe, selon des images diffusées sur les réseaux sociaux. Depuis, un important dispositif policier empêche tout manifestant d'entrer dans les bureaux et tente en vain de disperser les manifestants.
Parce que son projet de restructuration est encore flou
Que va-t-il advenir d'Evergrande dans les mois à venir ? La question est toujours en suspens. Le gouvernement chinois semble déterminé à reprendre la main sur le dossier, quitte à contraindre l'entreprise à mettre la clé sous la porte. Toute la question est de savoir comment une éventuelle cessation de paiements serait gérée par Pékin.
"Le risque d'une faillite désordonnée d'Evergrande est sans doute assez faible en raison du chaos social qui pourrait en découler, avec des consommateurs perdant leur épargne, et en raison des conséquences globales pour la stabilité sociale et économique de la Chine", note Omotunde Lawal, responsable de la dette d'entreprises sur les marchés émergents pour Barings.
Les experts penchent plutôt pour une restructuration pilotée par le gouvernement permettant d'éponger les dettes tout en maintenant certaines activités de l'entreprise afin de limiter les pertes.
Parce que cela pourrait avoir un impact à l'étranger
Si une déstabilisation du système financier mondial n'est pas à l'ordre du jour, la déroute du groupe immobilier chinois n'est pas sans conséquence. "Il est possible qu'un fonds spéculatif américain ait acheté de la dette d'Evergrande et doive vendre d'autres positions pour se couvrir, ce qui pourrait provoquer un effet domino", précise à l'AFP Alexandre Baradez, analyste chez IG France.
Pour le spécialiste, la situation n'est pas sans rappeler le scandale Archegos, fin mars, lors duquel une société d'investissement new-yorkaise a fait perdre des milliards de dollars à plusieurs banques en prenant des positions particulièrement risquées.
"Nous sommes dans une situation où si un gros élément fait défaut, la déferlante peut être bien plus large", avance dans Marianne Véronique Riches-Flores, économiste et présidente de RF Research. "Elle risquerait ainsi de ne pas être circonscrite au seul secteur de l'immobilier, et affecter le marché du crédit dans sa globalité car la surchauffe est mondiale."
Toutefois, explique Alexandre Baradez, "le marché n'est pas surpris comme il a pu l'être à l'époque avec Lehman Brothers", la banque américaine dont la faillite spectaculaire en 2008 a précipité la crise financière mondiale. Et pour l'heure, les marchés ne semblent pas craindre de risque majeur de contagion.
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