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L'article à lire pour comprendre l'élection présidentielle sous tension au Brésil

Grand favori du second tour de la présidentielle dimanche au Brésil, Jair Bolsonaro a séduit des millions d'électeurs avec un discours sécuritaire qui a fait mouche, après une campagne des plus mouvementées.

Article rédigé par Marie-Violette Bernard
France Télévisions
Publié Mis à jour
Temps de lecture : 11 min
Une militante manifeste en faveur du candidat à la présidentielle brésilienne Jair Bolsonaro, à Rio de Janeiro, le 29 septembre 2018. (CARL DE SOUZA / AFP)

Un candidat derrière les barreaux, un autre poignardé… La campagne présidentielle au Brésil a été mouvementée. Et elle pourrait bien s'achever, dimanche 28 octobre, par l'arrivée de l'extrême droite au pouvoir. Vous n'avez rien suivi de l'actualité brésilienne et vous ignorez qui est Jair Bolsonaro, le favori de l'élection parfois qualifié de "Trump tropical" ? Pas d'inquiétude. On vous résume les enjeux de cette élection sous tension.

Il paraît qu'il y a un "Trump" brésilien en lice ?

L'homme arrivé en tête du premier tour, avec 46% des voix, s'appelle Jair Bolsonaro. Et il est effectivement qualifié de "Trump tropical", explique Le Monde. Si ce député a changé de nombreuses fois d'étiquette politique, il a toujours revendiqué une aversion profonde pour la gauche. Ancien capitaine de l'armée, âgé de 63 ans, il se présente aujourd'hui sous l'étiquette du petit parti d'extrême droite PSL (Parti social libéral). Hyperconservateur, il affiche sa nostalgie pour la dictature militaire (1964-1985) et défend la peine de mort et le port d'arme.

Le candidat d'extrême droite à l'élection présidentielle au Brésil, Jair Bolsonaro, à Sao Paulo, le 18 juin 2018. (MIGUEL SCHINCARIOL / AFP)

Jair Bolsonaro, qui compte déjà vingt-sept ans de mandat au Parlement, s'est surtout fait connaître pour ses multiples dérapages sexistes, racistes et homophobes. En 2003, il a lancé à la députée de gauche Maria do Rosario qu'il "ne la violerait même pas" parce qu'elle était "très laide", rappelle LCI. En 2011, il a déclaré qu'il préférerait "voir [son fils] mourir dans un accident" plutôt qu'il soit gay. Interrogé récemment sur les violences policières dans les favelas, il a estimé que "si [un policier] tue dix, quinze, vingt personnes, il doit être décoré, pas poursuivi".

>> "C'est un projet fasciste" : ce que contient le programme de Jair Bolsonaro, favori de la présidentielle au Brésil

Malgré ces controverses, Jair Bolsonaro est parvenu au fil de la campagne à fédérer les électeurs. "Une grande partie des Brésiliens rejettent la classe politique, éclaboussée par de nombreux scandales de corruption, explique à franceinfo David Fleischer, professeur de sciences politiques à l'université de Brasilia. Ces électeurs sont séduits par son discours parce qu'il se présente comme un candidat hors du système politique."

Son programme, volontairement flou, prévoit notamment de donner "carte blanche" aux policiers et militaires pour abattre des criminels présumés et d'assouplir la législation sur le port d'armes. Défenseur d'une ligne économique néolibérale, Jair Bolsonora souhaite regrouper les ministères de l'Agriculture et de l'Environnement et  en finir avec l'"activisme écologiste chiite", synonyme de radicalisme dans son discours.

Qui est son rival ?

Au total, treize candidats étaient engagés dans la course à la présidentielle. L'adversaire de Jair Bolsonaro au second tour est Fernando Haddad, investi par le Parti des travailleurs (PT) après l'invalidation de l'ancien président Lula, emprisonné pour corruption. Il y a quelques mois encore, cet universitaire et ancien avocat de 55 ans était très peu connu des Brésiliens (dont certains se trompent encore sur son patronyme, selon Le Parisien). Ministre de l'Education sous Lula, il a été maire de Sao Paulo de début 2013 à fin 2016.

Fernando Haddad, candidat du Parti des travailleurs à l'élection présidentielle au Brésil, lors d'une interview à Sao Paulo, le 17 septembre 2018. (DARIO OLIVEIRA / NURPHOTO / AFP)

Son programme prévoit la fin du gel des dépenses publiques décidé par le gouvernement Temer, l'interruption des privatisations et la réduction de la dette grâce au "retour au plein emploi" et à des mesures contre l'évasion fiscale. A rebours de Jair Bolsonaro, Fernando Haddad réclame une amélioration de la politique de contrôle des armes à feu, avec un renforcement de leur traçabilité, et se donne pour objectif d'éradiquer la déforestation d'ici 2022, sans réduire pour autant la production agricole.

Et Lula dans tout ça, il n'était pas candidat ?

La véritable star de cette campagne présidentielle a été Luiz Inácio Lula da Silva. L'ancien président brésilien a été condamné en appel, en janvier, à douze ans de prison pour corruption. Incarcéré en avril, Lula a toutefois maintenu sa candidature à la présidentielle. "Le PT a mené une campagne de communication très intense, arguant que Lula avait été emprisonné pour des raisons politiques, détaille David Fleischer. Cela a galvanisé ses partisans, qui continuent aujourd'hui de réclamer sa libération."

L'ancien président brésilien Luiz Inacio Lula da Silva lors d'une visite à Itatiaiucu, dans l'Etat du Minas Gerais (Brésil), le 21 février 2018. (DOUGLAS MAGNO / AFP)

"Contrairement à ce que prédisaient ses adversaires, la stratégie de l'ancien président a payé, estime Gaspard Estrada. Il a continué de grimper dans les sondages et a mis le PT au centre de l'attention médiatique." "Avant sa condamnation, Lula était une icône. Maintenant qu'il est en prison, c'est un martyr", constate David Fleischer. Cela n'a toutefois pas empêché le Tribunal supérieur électoral de confirmer son inéligibilité, fin août.

Son remplaçant, Fernando Haddad, a profité des retombées de cette stratégie médiatique. Et des conseils de son prédécesseur. "Il rend visite plusieurs fois par semaines à Lula, en prison, pour échanger avec lui, rappelle David Fleischer. Si Fernando Haddad est élu, l'ancien président sera certainement un de ses conseillers les plus influents." Le PT a même misé dans un premier temps sur le slogan "Haddad, c'est Lula", avant de changer radicalement de stratégie dans l'entre-deux-tours : Lula a progressivement disparu des spots de campagne et les couleurs vert et jaune du drapeau national ont remplacé le rouge du PT sur le logo officiel de sa candidature.

La campagne a été mouvementée, non ?

"Le Brésil n'avait jamais connu une telle campagne présidentielle", assure David Fleischer. Elle a d'abord été rythmée par les péripéties judiciaires de Lula, grand favori de l'élection bien qu'incarcéré. Le suspense a pris fin le 6 septembre, quand la Cour suprême a rejeté son recours contre l'invalidation de sa candidature, "alors qu'il était crédité de 40% des intentions de vote", note Gaspard Estrada, directeur exécutif de l'Observatoire politique de l'Amérique latine et des Caraïbes. Son successeur, Fernando Haddad, n'a été intronisé que le 11 septembre, moins d'un mois avant le premier tour et juste avant la date limite pour se déclarer candidat.

Lula a également agité la Cour suprême brésilienne, fin septembre. Un juge a autorisé le quotidien Folha de Sao Paulo à interviewer l'ancien président en prison. Cette décision a été renversée le 28 septembre par un autre magistrat de la Cour, qui souhaitait éviter la "propagation de fausses nouvelles" quelques jours avant le scrutin. La juridiction devra trancher cette question lors d'une séance plénière, dont la date n'a pas encore été fixée, rapporte Folha de Sao Paulo (en portugais). "Cette interview aurait permis à Lula de défendre la candidature de Fernando Haddad. Elle a été suspendue après que le Partido Novo, adversaire du PT, a déposé un recours devant un autre juge de la Cour suprême, souligne David Fleischer. Certains reprochent donc à la justice de vouloir se mêler de la campagne. Il est extrêmement inhabituel de voir un tel conflit ouvert au sein de la Cour suprême."

Et il n'y a pas que Lula et ses déboires : la campagne a également été bouleversée, le 6 septembre, par une attaque au couteau contre Jair Bolsonaro. Le candidat de l'extrême droite a été poignardé à l'abdomen pendant un bain de foule à Juiz de Fora, dans le sud-est du Brésil. Son agresseur a déclaré avoir agi "sur l'ordre de Dieu", mais aussi "en raison des préjugés que montre Bolsonaro à chaque fois qu’il parle de race, de religion et des femmes". Opéré à deux reprises, l'ancien militaire est sorti de l'hôpital le 29 septembre. S'il a été privé d'une partie de sa campagne sur le terrain, le candidat, aidé de ses fils, a largement médiatisé sa convalescence sur les réseaux sociaux pour continuer à mobiliser les électeurs, note le HuffPost.

Après le premier tour, plusieurs opérations policières ont eu lieu pour obtenir le retrait de banderoles antifascistes ou l'annulation de conférences sur la démocratie dans des universités publiques au Brésil, où étudiants et professeurs ont crié à la "censure". Selon la presse, 35 universités publiques ont été visées par ces opérations, à quelques jours du second tour, menées pour la plupart à la demande de Tribunaux régionaux électoraux (TRE), chargés dans chaque Etat de veiller au bon déroulement de la campagne et des scrutins.

L'extrême droite peut-elle vraiment gagner ?

Jair Bolsonaro bénéficie d'une large avance sur son adversaire : il a obtenu plus de 46% des voix dès le premier tour, contre seulement 29% pour Fernando Haddad. Les autres partis sont loin derrière. Ciro Gomes, candidat du Parti démocratique travailliste (PDT), situé au centre-gauche, a obtenu un peu moins de 12,5% des suffrages. L'ancien gouverneur de l'Etat de Sao Paulo, Geraldo Alckmin, représentant du parti de centre-droit PSDB, a dû se contenter de moins de 5% des voix.

Pour ce qui est du second tour, les derniers sondages donnent Jair Bolsonora là encore largement en tête, même si l'écart s'est réduit ces derniers jours. La dernière étude en date, réalisée par l'institut Datafolha et diffusée jeudi, crédite l'ancien militaire de 56% des intentions de vote en vue du second tour du scrutin, ce dimanche, contre 59% une semaine plus tôt. Fernando Haddad passe pour sa part de 41% à 44% des intentions de vote.

La présidentielle était la seule élection à surveiller ?

Non, les Brésiliens élisent aussi leurs députés, deux tiers des sénateurs, ainsi que les gouverneurs et les assemblées législatives de chaque Etat. La poussée de Jair Bolsonaro a totalement redessiné le Parlement, dimanche 7 octobre : son Parti social libéral a multiplié par six le nombre de ses députés, passé de huit à 52, sur un total de 513. Absent de la chambre haute pendant la législature actuelle, il comptera également quatre sénateurs sur 81.

Deux des fils Bolsonaro ont obtenu des scores considérables. Le troisième des cinq enfants de la fratrie, Eduardo Bolsonaro, a même pulvérisé le record absolu de voix pour un député, en se faisant réélire avec 1,8 million de suffrages. L'aîné, Flavio, a pour sa part été élu haut la main au Sénat, avec plus de 4 millions de voix.

Ces résultats ont surpris la plupart des analystes, qui tablaient sur une faible rénovation d'un Parlement dont un tiers de membres sont impliqués de près ou de loin dans des scandales de corruption. Au final, seuls 46% des députés sont parvenus à se faire réélire. "Nous sommes en présence d'une vague pro-Bolsonaro très forte, un tsunami qui a bouleversé le scénario législatif, avec un Parlement plus à droite et plus polarisé", a réagi Silvio Costa, fondateur du site spécialisé Congresso em Foco.

Qu'est-ce qui attend le nouveau président ?

Le président élu devra très vite s'atteler à relancer l'économie, qui ne s'est pas encore remise de la récession de 2015-2016. "Il faudra engager des réformes de la sécurité sociale, dont la dette est colossale, mais aussi de la fiscalité, ce qui risque de froisser l'opinion", détaille David Fleischer. Autre chantier de taille : relancer l'emploi, dans un pays où près de 13 millions de personnes cherchent un travail (soit un taux de chômage de plus de 12%). "Pour cela, il faut attirer de nouveaux investisseurs étrangers, mais aucun des candidats n'a clairement établi de feuille de route jusqu'ici."

Le futur résident du palais du Planalto devra également enrayer la spirale de la violence armée et s'attaquer à la corruption. "Jair Bolsonaro et Fernando Haddad défendent des politiques radicalement opposées. De nombreuses incertitudes planent donc sur le futur proche, souligne le politologue brésilien. Il faudra sans doute attendre novembre, et l'annonce de la coalition et du gouvernement, pour savoir ce qui attend le Brésil."

J'ai eu la flemme de tout lire, vous me faites un résumé ?

La campagne présidentielle brésilienne a été mouvementée. La candidature de l'ancien chef d'Etat Lula, grand favori bien qu'il soit incarcéré pour corruption, a finalement été invalidée. L'homme fort de la campagne est désormais Jair Bolsonaro, un candidat d'extrême droite qui s'est illustré par ses nombreuses sorties racistes, sexistes et homophobes et sa nostalgie assumée pour la dictature militaire. Bien qu'il ait dû interrompre sa campagne sur le terrain après avoir été poignardé le 6 septembre, il est arrivé en tête du premier tour et est largement favori au second. Son adversaire est Fernando Haddad, le remplaçant de Lula. 

Quel que soit le président élu, il devra s'attaquer rapidement à des chantiers colossaux. Le Brésil, gangrené par la violence armée et la corruption, traverse une grave crise économique et compte près de 13 millions de chômeurs.

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