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Effondrement du Rana Plaza : "Dix ans après, on n’en a pas fini avec l’esclavage moderne", déplore une spécialiste

Le 24 avril 2013, 1 130 personnes sont mortes dans l’effondrement du Rana Plaza. Depuis, la France s’est dotée d’une loi sur le devoir de vigilance des entreprises, qui contraint les industriels français à "faire respecter les droits humains sur toute une chaîne de sous-traitance".
Article rédigé par franceinfo
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Les volontaires qui cherchent des survivants dans les décombres du Rana Plaza, près de Dacca, au Bangladesh, le 24 avril 2013. (MUNIR UZ ZAMAN / AFP)

Dix ans après l’effondrement du Rana Plaza, bâtiment qui abritait à Dacca (Bangladesh) des ateliers de confection pour diverses grandes marques occidentales, "on n’en a pas fini avec l’esclavage moderne", déplore lundi 24 avril Anne-Catherine Husson Traoré, directrice de Novethic, un média qui travaille sur les questions relatives aux impacts environnementaux et sociaux des entreprises. Le 24 avril 2013, 1 130 personnes sont mortes dans l’effondrement de l’immeuble. Depuis, la France s’est dotée d’une loi sur le devoir de vigilance des entreprises, qui contraint les industriels français à "faire respecter les droits humains sur toute une chaîne de sous-traitance", explique Anne-Catherine Husson Traoré.

>> "La sécurité s'est améliorée, pas les conditions salariales" : dix ans après, le drame du Rana Plaza au Bangladesh a-t-il fait évoluer la "fast fashion" ?

franceinfo : Ce drame a-t-il contribué, selon vous, à ouvrir les yeux des Occidentaux sur les conditions dans lesquelles étaient, ou sont, fabriqués les vêtements ?

Anne-Catherine Husson Traoré : Oui, ça on peut vraiment le dire. Non seulement l’immeuble ne tenait pas debout, mais en plus les ouvrières avaient refusé d’entrer dans cet immeuble qui menaçait de s’effondrer et on les a forcées à y revenir. C’était vraiment de l’esclavage moderne et les consommateurs ne savaient pas. Le premier réflexe des entreprises [après le drame] a été de dire qu’elles ne savaient pas. Les consommateurs ont [eux] compris que les vêtements, de petite ou de grande marque, qu'ils achetaient pouvaient venir de ce genre de choses et qu’ils avaient donc indirectement un peu de sang sur les mains. Ça a provoqué un rejet et ça a fait émerger un nouveau type de clientèle, à savoir des consommateurs qui veulent de la traçabilité et qui veulent qu’on leur garantisse qu’ils n’ont pas des vêtements responsables de ce type de système.

Depuis ce drame, le Bangladesh s’est doté d’un accord pour mieux protéger les ouvriers. Une structure inspecte les usines et les grandes marques doivent payer pour réparer les sites de leurs sous-traitants. Les conditions de travail des ouvriers se sont-elles améliorées depuis ?

Il y a eu une prise de conscience globale de changement nécessaire. Ça peut passer par la loi, mais pour cela il faudrait que la loi puisse s’appliquer. Le problème qu’on a aujourd’hui, c’est que le Bangladesh n’applique pas vraiment ces règlementations. Comme pour n’importe quelle loi, si sur le papier elle est très bien mais qu’il n’y a pas les moyens mis en œuvre pour la mettre en vigueur, ça pose problème. Et au Bangladesh d’autres incendies survenus quelques années après [l'effondrement du Rana Plaza] ont montré qu’en réalité, les conditions de travail restaient extrêmement précaires.

Depuis 2017, la France s’est dotée d’une loi sur le devoir de vigilance, engageant la responsabilité des grands industriels vis-à-vis de leurs sous-traitants, y compris à l’étranger. Est-ce qu’elle fonctionne ?

C’est peut-être même le gain le plus important. Il y a eu une prise de conscience [afin de savoir] ce qu’on pouvait faire nous, depuis l’Occident, pour essayer de contrôler cette machine infernale des usines du monde, et surtout faire respecter les droits humains sur toute une chaîne de sous-traitance. Le concept du devoir de vigilance a été porté par la France, elle a été la première à adopter ce type de loi. Il y en a maintenant une en Allemagne et il va y en avoir une à l’échelle européenne dans quelques semaines, si tout va bien.

"L’idée c’est qu’une entreprise est obligée d’organiser dans toute sa chaîne de sous-traitance la prévention des risques environnementaux ou sociaux. Elle doit mettre en place des formations et contrôler sa chaîne de sous-traitance. La notion de devoir de vigilance est en train de changer la façon dont on voit la mondialisation."

Anne-Catherine Husson Traoré, directrice de Novethic

à franceinfo

Je ne vais pas vous raconter que les acheteurs ne cherchent pas toujours à avoir le plus petit prix possible. C’est toute l’ambiguïté, toute l’injonction paradoxale dans laquelle on est aujourd’hui : on a d’un côté un devoir de vigilance et de l’autre un système d’achats à l’autre bout du monde qui continue à être du dumping social.

Avec ce devoir de vigilance, les grands industriels français ont-ils déjà financé des travaux au Bangladesh ?

En France, le mouvement de ces actionnaires poussant les entreprises à mieux respecter les droits humaines était très faible. Aujourd’hui on voit bien qu’un type de textile s’est effondré. Camaïeu et Gap sont aujourd’hui en difficulté, et on peut considérer que leurs difficultés ont commencé là [avec l'effondrement du Rana Plaza en 2013]. Ils n’arrivaient pas à tenir un modèle économique où l’on produit beaucoup et le moins cher possible tout en ayant suffisamment de consommateurs pour acheter. La mauvaise nouvelle dix ans après c’est qu’à la place de la fast fashion, on a l’ultra fast fashion. L’ultra fast fashion est une production textile qui se fait dans les mêmes conditions épouvantables, avec des fenêtres condamnées, de l’esclavage moderne. Le pire c’est que l’ultra fast fashion se rapproche du consommateur final. Par exemple, en 2020 on a découvert des conditions de travail relevant de l’esclavage moderne dans une usine en Angleterre et ça a fait un scandale extraordinaire pour l’entreprise Boohoo qui a depuis perdu 45% de sa valeur. On n’en a donc pas fini avec l’esclavage moderne dix ans après le Rana Plaza.

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