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Incendies en Amazonie : la France participe-t-elle à la déforestation ?

Article rédigé par Benoît Zagdoun
France Télévisions
Publié Mis à jour
Temps de lecture : 11min
Une zone de la forêt amazonienne déboisée et brûlée le 24 août 2019 près de Porto Velho (Brésil). (CARLOS FABAL / AFP)

La forêt amazonienne est aussi victime du déboisement en Guyane française, mais dans une bien moindre mesure qu'au Brésil. En revanche, la France est grande consommatrice de soja brésilien.

"On ne peut pas soutenir un modèle (…) qui favorise la déforestation de l’Amazonie et se prétendre le gardien de l’Amazonie." Le ton de l'eurodéputé écologiste Yannick Jadot s'est fait accusateur, lundi 26 août, au micro de franceinfo, alors qu'Emmanuel Macron affichait sa volonté de prendre la tête d'une mobilisation internationale contre les incendies qui ravagent la forêt amazonienne, au grand dam de son homologue brésilien, Jair Bolsonaro.

"La France participe de la déforestation en Guyane", a affirmé le député européen, avant d'ajouter : "La France favorise le développement d’un élevage où les animaux (…) sont nourris au soja brésilien." Sur France 2, Emmanuel Macron lui a donné en partie raison, reconnaissant que, sur la question des importations de soja brésilien, "on a une part de complicité". Des affirmations à remettre en perspective.

En Guyane, une déforestation limitée

La Guyane est le territoire le plus boisé de France. La forêt s'étend sur 8 millions d'hectares et recouvre environ 96% des terres, indique l'Office national des forêts (ONF). Cette forêt tropicale est publique à 99,4%. Elle est même domaniale, c'est-à-dire propriété de l'Etat, à 30%. Et seule une infime partie (0,6%) est privée, contrôlée par le Centre national d'études spatiales (Cnes) et le Centre spatial guyanais. Depuis 2007, la Guyane compte aussi le plus grand parc national de France, le Parc amazonien de Guyane, qui couvre 3,4 millions d'hectares. La responsabilité de la puissance publique dans la gestion de cet espace est donc quasi totale.

"Le plateau des Guyanes, qui comporte notamment la Guyane française, le Guyana et le Suriname, a des taux de déforestation extrêmement faibles et a maintenu un couvert forestier quasi intact par rapport à d'autres parties de l'Amazonie, aux zones andines ou brésiliennes", observe Laurent Kelle, responsable du WWF en Guyane.

En Guyane, on est très, très loin du reste de l'Amazonie, où on casse la forêt et on voit après ce qu'on fait.

Pierre Courtiade, coordinateur du pôle énergie de l'Ademe en Guyane

à franceinfo

Entre 1990 et 2012, entre 3 000 et 3 300 hectares de cette forêt ont disparu chaque année, victimes de la la déforestation, d'après l'Institut géographique national (IGN). L'expansion de l'agriculture et de l'élevage est responsable de la disparition de 1 500 à 2 000 hectares par an, détaille la revue Territoire en mouvement. L'orpaillage, légal comme clandestin, entraîne la perte de 800 à 1 000 hectares par an – à parts égales, d'après Laurent Kelle. Et la construction d'infrastructures, routières mais aussi urbaines, cause le déboisement de quelque 400 hectares chaque année.

"Cela peut paraître beaucoup vu de métropole, mais c'est très peu à l'échelle amazonienne", relativise Lilian Blanc, chercheur en écologie forestière au Centre de coopération internationale en recherche agronomique (Cirad). Ces 3 000 à 3 300 hectares de forêt rasés annuellement représentent environ 0,04% du territoire guyanais. "La déforestation en Guyane n'a rien à voir avec le contexte brésilien", insiste l'écologue. Au Brésil, la déforestation opère à une tout autre échelle. En 2018, ce sont 1,3 million d'hectares de forêt tropicale primaire qui y ont disparu, selon le World Resources Institute. Soit environ 0,4% de la forêt amazonienne restante au Brésil, déjà réduite de 20% depuis 1970.

Une exploitation forestière encadrée

"La forêt guyanaise est certainement la forêt tropicale la mieux gérée du monde, assure Lilian Blanc. Et sa gestion est planifiée et encadrée par l'ONF." Depuis 2012, l'office s'est d'ailleurs engagé dans une démarche de certification de la forêt guyanaise, afin de garantir une gestion durable de la ressource. "En Guyane, les exploitants forestiers ne prélèvent que quatre à cinq arbres à l'hectare contre dix au Brésil. Et les forestiers ne passent sur une parcelle que tous les 65 ans. Les arbres ont le temps de se régénérer et la biodiversité est préservée, expose l'écologue du Cirad. Au Brésil, les passages se font tous les cinq ou dix ans. C'est cette rapidité qui rend la forêt si vulnérable au feu. Et c'est cette forêt-là qui brûle aujourd'hui." 

La production de bois est faible en Guyane, de l'ordre de 90 000 mètres cubes par an. A titre de comparaison, dans les Landes, elle atteint un million de mètres cubes.

Lilian Blanc, chercheur en écologie forestière au Cirad

à franceinfo

En Guyane, la forêt amazonienne n'est pas non plus grignotée par l'agriculture et l'élevage, comme au Brésil. Dans cette région d'outre-mer, "il n'y a pas de volonté de pousser les grandes installations comme au Brésil, et ces implantations agricoles sont parfaitement contrôlées par l'Etat", explique Pierre Courtiade, qui constate cependant "une demande et une volonté légitime de développer l'agriculture et l'élevage". "En Guyane, la population double tous les quinze ans, il manque actuellement 7 000 logements et l'autosuffisance alimentaire ne dépasse pas 20%. On ne peut pas laisser les gens vivre dans des bidonvilles et il faut bien les nourrir. Les exploitations agricoles couvrent 30 000 hectares aujourd'hui. Et il en faudrait 50 000 hectares d'ici quinze ans pour nourrir tout le monde", chiffre le responsable de l'Ademe.

Mais une politique à géométrie variable

"L'Etat n'a pas toujours mis en avant comme une priorité la préservation de la forêt amazonienne en Guyane", pointe toutefois l'écologue Lilian Blanc. En 2015, lorsqu'il était ministre de l'Economie, Emmanuel Macron a ainsi soutenu le gigantesque et controversé projet minier Montagne d'or. Un soutien qu'il a confirmé en 2017, après son arrivée à l'Elysée. L'exécutif a finalement annoncé son abandon, en mai. Mais le président de la compagnie minière ne s'avoue pas vaincu, arguant que le projet n'est pas finalisé.

"Depuis 2014-2015, il y a énormément de spéculation de la part de multinationales autour des ressources minières guyanaises. Les demandes de permis d'exploration sont en hausse et concernent des milliers d'hectares", observe Laurent Kelle, responsable du WWF en Guyane. Des cartes de ces installations minières d'exploration ou d'exploitation qui mitent la forêt guyanaise sont consultables sur le cadastre minier officiel, mais aussi sur Panoramine, à l'initiative de l'association Ingénieurs sans frontières. D'après les ONG comme le collectif Or de question, opposé aux méga-projets d'extraction en Guyane, les activités minières, légales ou non, occupent 360 000 hectares de forêt.

"Il y aurait une incohérence à continuer d'octroyer des titres de prospection miniers, voire à terme des permis d'exploitation, et d'afficher une volonté de protéger l'Amazonie. Si, demain, on autorise une industrie minière en Guyane, on aura une activité économique incompatible avec la protection de l'environnement", prévient Laurent Kelle.

En 2019, on a encore recensé 132 sites miniers illégaux dans le parc national guyanais. La création de ce parc a contribué à lutter et à limiter l'impact de l'orpaillage illégal, mais on ne peut pas se satisfaire de ce bilan.

Laurent Kelle, responsable du WWF en Guyane

à franceinfo

"Le gouvernement oscille entre deux tendances, au gré des pressions locales, nationales et internationales", analyse Lilian Blanc. D'un côté, les partisans d'une préservation totale de la forêt. De l'autre, les tenants de son utilisation comme outil de développement économique. En 2017, lors de la dernière grande crise sociale guyanaise contre la vie chère, l'Etat a lâché du lest face aux seconds. "Aujourd'hui, c'est plutôt le courant conservationniste [favorable à la préservation de la forêt] qu'on entend", estime l'écologue.

Et des importations de soja brésilien

Mais la France n'est pas seulement directement responsable des dommages qu'elle peut faire subir à la forêt amazonienne en Guyane, elle est aussi indirectement comptable de la déforestation en Amazonie brésilienne, notamment. Selon un rapport publié en juin par Greenpeace, s'appuyant sur la base de données Comtrade des Nations unies sur le commerce mondial, la France importe chaque année quelque 2 millions de tonnes de soja en provenance du Brésil, qui en a produit plus de 113 millions de tonnes en 2019, selon l'AFP. En 2017, le soja brésilien représentait ainsi 61% de l'ensemble du soja importé par la France, faisant du Brésil le premier fournisseur de soja de l'Hexagone, d'après Greenpeace. Ce soja était principalement destiné à l'alimentation animale dans les élevages, selon l'ONG.

Mais si la culture du soja, dont le Brésil est le premier exportateur mondial devant les Etats-Unis, a été l'une des principales causes de déforestation en Amazonie brésilienne, le moratoire entré en vigueur en 2006 a permis d'y mettre un quasi coup d'arrêt. La culture du soja n'est plus responsable que de 1% du déboisement contre 30% il y a trois ans, soit tout de même plus de 2 millions d'hectares, d'après Mighty Earth. L'ONG note toutefois que des géants du secteur ont reporté leur expansion sur les pays voisins, l'Argentine, le Paraguay ou la Bolivie.

Ces activités agricoles n'occupent d'ailleurs qu'environ 6,5% de la surface déboisée au Brésil. "L'élevage bovin extensif est le principal facteur de déforestation de l'Amazonie. Un peu plus de 65% des terres déboisées en Amazonie sont aujourd'hui occupées par des pâturages", pointe à l'AFP Romulo Batista, chercheur chez Greenpeace. Des entreprises françaises portent en outre une part de responsabilité dans l'exploitation illégale du bois de la forêt amazonienne au Brésil, d'après Greenpeace. Dans une enquête parue en 2018, l'ONG a accusé 19 sociétés d'avoir été complices de ce trafic en 2016 et 2017 en s'approvisionnant en bois exotique extrait de concessions dont les plans d'exploitation étaient frauduleux.

L'association Envol Vert a calculé l'"empreinte forêt" des Français. Elle estime qu'il faut raser en moyenne 352 m2 de forêt par Français pour répondre à nos habitudes de consommation. Le soja compte à lui seul pour 206 m2. Cela représente 2,4 millions d'hectares d'arbres arrachés pour l'ensemble de la population française, soit presque la superficie de la Bretagne. Des forêts qui disparaissent à cause de nos modes de vie en Amérique du Sud, mais aussi en Asie du Sud-Est et en Afrique.

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