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Covid-19 : pourquoi l'iniquité vaccinale risque de perdurer, au grand dam des pays africains

Quand certains pays développés sont en passe de proposer une troisième dose de vaccin à leur population, beaucoup d'Africains n'en ont pas encore reçu une seule. 

Article rédigé par Falila Gbadamassi
France Télévisions - Rédaction Culture
Publié Mis à jour
Temps de lecture : 5 min
Les Etats-Unis ont livré 606 700 doses du vaccin contre le Covid-19 produit par Johnson and Johnson au Soudan le 6 août 2021. Les Etats-Unis sont le plus grand donateur de l'initiative mondiale Covax qui permet d'approvisionner les pays les moins nantis en vaccins.  
 (EYEPRESS NEWS/AFP)

"Environ 2%" des Africains ont pu bénéficier d'une vaccination complète a de nouveau rappelé le Dr Matshidiso Moeti, la directrice régionale de l'Organisation mondiale de la santé (OMS) pour l'Afrique, le 19 août 2021 lors de la conférence de presse hebdomadaire du bureau régional. Un taux qui atteint 60% dans certains pays développés. "A peine plus de 1% des habitants des pays à faible revenu ont été vaccinés contre le Covid-19 à ce jour, ce qui contraste fortement avec les 51% d'habitants des pays à revenu élevé", constatent dans une note  Mandeep Dhaliwal, directrice du Groupe VIH, santé et développement du Programme des Nations unies pour le développement (PNUD) et sa collègue Laurel Patterson en charge du programme SDG (objectif de développement durable, en français NDLR) Integration du PNUD. Les rappels de vaccins qui sont programmés dans les pays riches sont l'une des raisons qui pourraient contribuer à entretenir l’iniquité vaccinale qui pénalise, entre autres, les populations africaines. 

Une troisième dose envisagée dans les pays développés

Alors que l'OMS indique qu'il n'y a pas encore de "solides" preuves scientifiques qui attestent de la nécessité d'administrer une troisième dose de vaccin, des pays comme les Etats-Unis, la France ou encore la Grande-Bretagne la planifient déjà. Matshidiso Moeti, la directrice régionale de l’OMS pour l’Afrique, dit craindre "dans cette situation déjà très inéquitable en termes d'accès aux stocks de vaccins pour l'Afrique" que la demande des pays les plus riches dans ce cadre "ne limite encore davantage l'accès des pays africains" aux serums diponibles par le biais du mécanisme international Covax (système par lequel les pays nantis fournissent des doses aux plus dépourvus) ou que les Etats et l'Union africaine peuvent se procurer directement. "L’intention de certains pays d’introduire des doses de rappel constitue une menace à la promesse d’un avenir meilleur pour l’Afrique. Certains pays plus riches bafouent ainsi le principe de l’équité en matière de vaccins, en accaparant des doses", a insisté le Dr Moeti. 

Cet accaparement des vaccins contre le Covid-19 n'est pas nouveau. "En septembre 2020, une trentaine de pays riches – ceux qui sont en mesure de payer le prix élevé des vaccins avaient vidé les rayons du monde entier de leurs doses par le biais de commandes anticipées, ce qui a conduit à un apartheid vaccinal", soulignaient Fatima Hassan de l'ONG sud-africaine Health Justice Initiative, l'universitaire Gavin Yamey et le journaliste Kamran Abbasi dans une tribune publiée le 16 août 2021 dans le British Medical Journal. Selon les auteurs du texte, "le Canada a acheté suffisamment de doses pour vacciner cinq fois ses citoyens". Tout comme le Royaume-Uni qui en a acheté "pour quatre fois sa population". "D'ici la fin de l'année 2021, insistent Fatima Hassan, Gavin Yamey et Kamran Abbasi, les nations riches disposeront d'un milliard de doses inutilisées, alors même que certains pays plus pauvres n'ont pas encore reçu les vaccins qu'ils ont payés." 

Comme elle l'avait déjà fait pour la vaccination des plus jeunes, l'OMS invite de nouveau les pays riches à "repenser" leur stratégie vaccinale concernant les rappels afin de donner la priorité à la vaccination des adultes dans les Etats moins bien lotis. 

Une production délocalisée encore incapable de couvrir les besoins locaux

Les récentes révélations du New York Times (article payant) sur l'exportation vers l'Europe de doses de vaccin Johnson and Johnson (J&J) produites en Afrique du Sud par Aspen Pharmacare soulignent combien les Etats africains ont besoin de s'assurer non seulement une production locale, mais aussi qu'elle leur soit exclusivement dédiée. En réponse à la polémique, un des responsables d'Aspen Pharmacare, le Dr Stavros Nicolaou, a déclaré que son entreprise était "un fabricant sous contrat pour Johnson et Johnson", rapporte la SABC, le média public sud-africain. "Elle ne contrôle pas les doses allouées, ni le prix des vaccins. Nous nous contentons de remplir et de finir le produit, puis Johnson et Johnson détermine ce qui suit. Bien sûr, nous aurions aimé que toute la production reste en Afrique."

Plusieurs ONG sont montées au créneau pour dénoncer ces exportations. Le directeur général de l'OMS, le Dr Tedros Adhanom Ghebreyesus, s'est dit "stupéfait d'apprendre que les vaccins de J&J (...) quittent le continent pour l'Europe, où pratiquement tous les adultes se sont vu offrir des vaccins à ce jour" lors de la conférence de presse de l'organisation le 18 août. "Nous demandons instamment à J&J de donner de toute urgence la priorité à la distribution de ses vaccins en Afrique avant d'envisager de les fournir aux pays riches qui ont déjà un accès suffisant", a-t-il ajouté.

Interpellée le 19 août lors de la conférence hebdomadaire du bureau régional de l'OMS pour l'Afrique, le Dr Moeti a indiqué que ces exportations s'inscrivaient dans le cadre d'accords préexistants et a assuré que plusieurs initiatives visant à produire des vaccins en Afrique pour les Africains, notamment un hub technologique en Afrique du Sud, avaient été lancées. L'Egypte est le premier pays du continent à avoir lancé une production locale de sérum contre le Covid-19 dédiée à sa population.

Retard dans le déploiement des vaccins

Ce n'est pas seulement l'approvisionnement qui pose problème dans certains pays africains. La capacité de ces derniers à conduire efficacement les campagnes de vaccination entre également en ligne de compte. L'Afrique de l'Ouest, qui doit prévenir deux autres éventuelles épidémies liées au virus Ebola et à celui de Marburg, semblent rencontrer des difficultés à ce niveau. Selon l'OMS, la région a reçu "environ 29 millions de doses de vaccin, soit presque autant que dans la zone Afrique de l’Est et australe". Mais, "le rythme de déploiement du vaccin a été faible : à peine 38% des doses ont été administrées, contre 76% en Afrique de l’Est et australe et 95 % en Afrique du Nord". Au total, en Afrique de l’Ouest, "2,4 doses de vaccin ont été administrées pour 100 personnes" contre "4,8 doses pour 100"  en Afrique de l'Est. 

Cercle vicieux 

L'iniquité vaccinale qui s'est installée avec la pandémie liée au Covid-19 aura des conséquences à long terme selon le PNUD. Si les pays à faible revenu n'arrivent pas accéder au vaccin "maintenant", ils devront augmenter leurs dépenses de santé de "30 à 60% pour vacciner 70% de leur population", selon Mandeep Dhaliwal et Laurel Patterson. Ces dernières indiquent par ailleurs que, selon les projections du Fonds monétaire international (FMI), "les pays à haut revenu pourraient retrouver les taux de croissance de leur PIB par habitant d'avant le Covid-19 d'ici fin 2021" alors que les impacts économiques de la pandémie "pourraient perdurer jusqu'en 2024 dans les pays à faible revenu".

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