Libération des opposants au Cameroun : Paul Biya cherche à éteindre les feux qui consument son pouvoir
En deux jours et en deux tweets, le président camerounais tente d'apaiser deux crises politiques majeures - la crise anglophone et l'affaire Kamto - qui minent son règne sans partage depuis 37 ans.
Plusieurs opposants camerounais ont retrouvré la liberté samedi 5 octobre 2019. Le président Paul Biya s'est résolu, en l'espace de 48h, à vider les prisons des opposants qu'il a enfermés ces derniers mois.
Il a opté pour l'apaisement, cerné par de multiples et inédites crises politiques liées notamment aux revendications indépendantistes dans les régions anglophones du pays et à la détention arbitraire de Maurice Kamto, chef du Mouvement pour la Renaissance du Cameroun (MRC) et rival malheureux de Paul Biya lors de la présidentielle d'octobre 2018.
Le 3 octobre 2019, à la veille de la fin du Grand dialogue national organisé pour mettre fin à la crise anglophone, le président Biya a annoncé "l'arrêt des poursuites pendantes devant les tribunaux militaires contre 333 personnes arrêtées et détenues, pour des délits commis dans le cadre de la crise dans les régions du Nord-Ouest et du Sud-Ouest".
J’ai décidé ce jour de l'arrêt des poursuites pendantes devant les Tribunaux Militaires contre 333 personnes arrêtées et détenues, pour des délits commis dans le cadre de la crise dans les Régions du Nord-Ouest et du Sud-Ouest.#CmrDialogue#PaulBiya#Cameroun
— President Paul BIYA (@PR_Paul_BIYA) October 3, 2019
Dans un autre tweet publié le lendemain, il indique avoir décidé "l'arrêt des poursuites judiciaires contre certains responsables et militants de partis politiques, notamment du MRC (Mouvement pour la Renaissance du Cameroun), arrêtés et détenus pour des faits commis dans le cadre de la contestation des résultats de la récente élection présidentielle".
J’ai décidé de l'arrêt des poursuites judiciaires contre certains responsables et militants de partis politiques, notamment du MRC, arrêtés et détenus pour des faits commis dans le cadre de la contestation des résultats de la récente élection présidentielle#CmrDialogue#PaulBiya
— President Paul BIYA (@PR_Paul_BIYA) October 4, 2019
Maurice Kamto est libre
L'annonce de l'arrêt des poursuites contre les dirigeants du MRC est intervenue quelques heures seulement après la clôture du Grand dialogue national. Et la mise en liberté des personnalités politiques concernées a été ordonnée par un tribunal militaire le lendemain. Maurice Kamto, emprisonné depuis neuf mois, l'ex-conseiller économique du président Biya Christian Penda Ekoka, la charismatique avocate camerounaise Michèle Ndoki ou encore le célèbre rappeur Valsero, connu pour ses textes critiques à l'égard du pouvoir, sont désormais libres.
Depuis le début de l'année, les pressions internationales exercées sur Yaoundé tant pour exiger une résolution de la crise dans l'Ouest anglophone que pour demander la libération de Maurice Kamto, se sont intensifiées. "Le chef de l'Etat réaffirme sa détermination à poursuivre sans relâche ses efforts dans la recherche des voies et moyens d'une résolution pacifique des crises et différends auxquels peut être confronté notre pays", lisait-on le 4 octobre au soir dans un communiqué de la présidence.
Un Grand dialogue boycotté par les chefs séparatistes de la région anglophone
Le Grand dialogue national, que Paul Biya a finalement concédé, n'a pas été très concluant. Accueilli avec scepticisme, il a été boycotté par les principaux chefs séparatistes. Retranchés dans l'Ouest montagneux, ils ont indiqué qu'ils ne participeraient au dialogue que si le gouvernement libérait tous les prisonniers politiques, y compris 10 dirigeants condamnés en août 2019 à la prison à perpétuité pour terrorisme, et retirait l'armée des deux régions anglophones.
La tentative de dialogue a néanmoins débouché sur plusieurs propositions, entre autres celle d'un "statut spécial" pour les régions anglophones de l'ouest du Cameroun. Mais les mesures proposées lors de la rencontre qui s'est achevée le 4 octobre sont déjà rejetées.
Ebenezer Akwanga qui préside le Mouvement de libération du peuple africain (séparatiste) et dirige son aile armée, l'un des groupes les plus importants combattant sur le terrain, reste ferme: "Les habitants de l'Ambazonie (l'Etat qu'ils veulent créer dans les régions anglophones, NDLR) n'ont pas besoin d'un statut spécial. Nous ne faisons pas partie du Cameroun", a-t-il déclaré dans un message à l'AFP. "L'Ambazonie marche vers la liberté et rien ne pourra nous arrêter", a-t-il ajouté. "Rien de moins que l'indépendance totale pour le peuple (...) et il n'y a pas moyen de discuter", a renchéri Chris Anu, leader indépendantiste, dans un échange avec l'AFP par messagerie.
Certaines personnalités de l'opposition parlent néanmoins d'un premier pas pour tenter de mettre un terme à un conflit meurtrier. Plusieurs partisans anglophones d'un retour au fédéralisme et opposés à l'indépendance ont ainsi salué les recommandations mais prévenu qu'on était loin du compte : "Ce statut spécial est juste un premier pas pour trouver une solution permanente à cette crise", a commenté pour l'AFP le célèbre avocat des droits de l'Homme anglophone Felix Agbor Nkongho
Sur la piste d'une médiation suisse
Dans le cadre d'une initiative indépendante du Grand dialogue national qui vient de s'achever dans la capitale camerounaise, la Suisse, pays où séjourne régulièrement Paul Biya pendant de longs mois, tente de susciter des discussions entre Yaoundé et les séparatistes anglophones.
Les groupes séparatistes camerounais sont "prêts" à s'asseoir avec les représentants du gouvernement pour des négociations préalables, a déclaré un dirigeant séparatiste. Des responsables et des représentants issus des mouvements séparatistes ont publié le 22 septembre un communiqué à Montreux (Suisse) annonçant la création d'une plateforme commune "dans la perspective de négociations" avec le gouvernement.
"Nous sommes prêts pour la phase de pré-négociations", a déclaré à l'AFP Ebenezer Akwanga, Mais la question, a-t-il dit, est de savoir, si "l'Etat est prêt". En en marge du Grand dialogue, le Premier ministre camerounais Joseph Dion Ngute a déclaré à la presse dans la soirée du 3 octobre que son pays n'a pas de "médiateur dans cette crise".
Début juin 2019, les autorités suisses avait pourtant fait savoir qu'elles s'impliqueraient dans une médiation. Dans un communiqué, le Département fédéral des Affaires étrangères (DFAE) indiquait ainsi que "la Suisse a été mandatée par une majorité des parties pour faciliter un processus de négociation inclusif".
La crise angloghone, qui dure depuis 2016, a déjà poussé plus de 530 000 personnes à quitter leur foyer, selon des chiffres de l'ONU. Et les combats et exactions des deux camps - groupes armés indépendantistes et militaires - ont fait environ 3 000 morts en deux ans, selon des ONG.
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