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Comores: l’opposition face aux «abus de pouvoir» du président-colonel Azali

Suspension de la Cour constitutionnelle, manifestations interdites, référendum, assignation à résidence d'un ex-président… Depuis des mois, le chef de l'Etat comorien, Azali Assoumani, multiplie les initiatives, dénoncées par l'opposition comme autant d'abus de pouvoir. On peut aussi y voir une lutte pour le pouvoir avec son prédécesseur, Ahmed Abdallah Sambi...
Article rédigé par Laurent Ribadeau Dumas
France Télévisions
Publié
Temps de lecture : 4 min
Le président des Comores, Azali Assoumani, salue des militaires et des policiers à Moroni le jour de son intronisation, le 26 mai 2016. (AFP - WEN HAO / NURPHOTO)

L'affaire fait des vagues dans le petit archipel pauvre de l'océan Indien. Depuis le 19 mai 2018, l'ex-président Ahmed Abdallah Sambi, au pouvoir de 2006 à 2011, est en résidence surveillée dans sa propriété proche de la capitale Moroni.

Raison invoquée par le pouvoir: la sécurité nationale. La présidence a justifié sa décision par les «nombreuses atteintes à l'ordre public causées par ses agissements (jets de pierres sur les forces de l'ordre, manifestations violentes, perturbations de cérémonies religieuses...) et le maintien du bon ordre social».

Le couperet est tombé quelques jours après le retour au pays de l’ancien président, parti à l’étranger pendant six mois. Et après un incident survenu devant la grande mosquée de Moroni. Le 18 mai, Azali Assoumani et Ahmed Abdallah Sambi s'étaient retrouvés pour la prière du vendredi. A la sortie de l'édifice religieux, les partisans du second avaient hué le premier. «La démocratie est menacée», a réagi le principal intéressé, très probable candidat à la prochaine présidentielle.

Le gouvernement s'est défendu en assurant «ne faire qu'appliquer les textes pris du temps de Sambi, mais jamais utilisés». «Maintenant qu'ils le sont, on crie à la dictature», s'insurge auprès de l'AFP le ministre de l'Intérieur Mohamed Daoudou.

Cette assignation à résidence intervient alors que Ahmed Abdallah Sambi a été une nouvelle fois entendu le 21 mai par la gendarmerie dans une affaire de trafic de passeports. Une affaire dans laquelle son nom a été cité avec celui d’un autre président, Ikililou Dhoinine. Selon le site comores-infos, qui se définit comme le premier site d’information de l’archipel, M.Sambi «est accusé d’avoir détourné plus de 137.594.864.2174» de francs comoriens, soit quelque 28 millions d’euros.

Ahmed Abdallah Sambi (à gauche) et Azali Assoumani (à droite) tout sourires le 26 mai 2006 à Moroni. Le premier s'apprêtait à succéder démocratiquement au second, arrivé au pouvoir sept ans plus tôt par un putsch. Les deux hommes n'ont pas toujours été ennemis... (JACOLINE PRINSLOO / AFP)

Manifestations interdites
Dans le même temps, l'opposition s'indigne de la répression et de l'interdiction récente de plusieurs manifestations. Début mai, un rassemblement du parti de M.Sambi, le Juwa, a été dispersé à grands jets de gaz lacrymogènes sur l'île d'Anjouan, d'où il est originaire. Et en novembre, la formation de l'ex-président a dû se replier dans un hôtel faute d'autorisation pour tenir son congrès dans un stade.
 
«On n'organise pas un rassemblement public sans autorisation et sans en préciser l'objet... On ne peut pas laisser s'installer le désordre dans le pays», plaide le ministre de l'Intérieur. Pour l’ex-dirigeant, les motivations de son assignation à résidence ne font absolument aucun doute. Elle est «motivée politiquement car j'ai dénoncé la décision du président de suspendre la Cour constitutionnelle et le projet de révision de la Constitution», a-t-il écrit au chef de la diplomatie des Emirats arabes unis, Abdullah Bin Zayed Al-Nahyan. L'actuel dirigeant des Comores Azali Assoumani a séjourné dans ce pays du 23 au 25 mai.

Mi-avril, le colonel Azali, ancien putschiste élu à la magistrature suprême en 2016, a suspendu la Cour constitutionnelle. Officiellement faute de quorum car seuls trois des huit juges de la plus haute juridiction du pays avaient été nommés. Cette institution était «inutile, superflue et incompétente», a justifié le porte-parole de la présidence.

Après ce coup d'éclat, le chef de l'Etat a annoncé une réforme des institutions qui pourrait l’autoriser à accomplir plusieurs mandats successifs. Actuellement, en vertu du principe atypique de la présidence tournante – tous les cinq ans – entre les trois îles qui composent l'Union des Comores (Anjouan, Grande-Comore, Mohéli), le sortant ne peut pas se représenter immédiatement pour un deuxième mandat.

  (AFP/LF)

Histoire politique mouvementée
La réforme constitutionnelle, dont le texte n'est pas encore connu, sera soumise à référendum le 29 juillet 2018. Le colonel Azali a déjà fait savoir qu'en cas de victoire du oui, il organiserait des élections présidentielle et législatives anticipées dès 2019, au lieu de 2021. Et qu'il y briguerait un nouveau mandat. «Il s'agit d'un coup d'Etat constitutionnel», a commenté Youssouf Boina, secrétaire général de l'Union pour le développement des Comores (UPDC, opposition).

Une situation à haut risque dans un pays à l'histoire politique mouvementée. Jusqu'à l'instauration en 2001 du système de la présidence tournante, les Comores ont été agitées par plusieurs crises séparatistes et coups d'Etat. Le dernier putsch en date, en 1999, avait porté au pouvoir le colonel Azali Assoumani. Il était resté au pouvoir jusqu'en 2006 avant de le céder démocratiquement à Ahmed Abdallah Sambi.
           
Les Comores sont au 21e rang des pays les plus pauvres du monde, selon les chiffres de la Banque mondiale. L’archipel compte 795.000 habitants. Sans compter 562.000 personnes qui vivent à l’étranger. Nombre d’entre elles ont fui pour trouver ailleurs de meilleures conditions de vie. 110.000 se sont ainsi installées légalement ou illégalement à Mayotte.

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