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Afrique de l'Ouest: le Cap-Vert cherche sa place au sein de la Cédéao

La présidence de la Communauté économique des Etats de l'Afrique de l'Ouest (Cédéao) devait lui revenir «naturellement». Mais l'organisation sous-régionale en a décidé autrement. De quoi raviver le sentiment d'isolement de cet archipel lusophone qui compte plus d'habitants à l'extérieur que sur son territoire.
Article rédigé par Falila Gbadamassi
France Télévisions - Rédaction Culture
Publié Mis à jour
Temps de lecture : 4 min
Le président cap-verdien Jorge Carlos Fonseca le 30 janvier 2017 lors d'un entretien, en marge du 28e sommet de l'Union africaine à Addis Abeba, en Ethiopie.  (ZACHARIAS ABUBEKER / AFP)

La politique a supplanté l'ordre alphabétique, au grand dam de Praia. C'était au tour du Cap-Vert de prendre en 2018 la présidence de la Commission de la Communauté économique des Etats de l'Afrique de l'Ouest (Cédéao) qui réunit 15 Etats de la sous-région.

Mais lors du sommet de l'organisation qui s'est tenu le 16 décembre 2017 Abuja, la capitale nigériane, le poste est revenu à la Côte d'Ivoire. La déconvenue ravive le sentiment d'isolement de l'archipel qui espérait en accédant à l'exécutif de la Cédéao franchir une étape déterminante dans son processus d'intégration.  

Créée en 1975, la Cédéao, mosaïque de pays francophones, anglophones et lusophones comptant aujourd'hui plus de 330 millions d'habitants, promeut une intégration économique accrue entre ses membres.

Parmi les motifs de cette décision ont été évoqués des arriérés de cotisations non réglés par Praia. Mais le président cap-verdien, Jorge Carlos Fonseca, a dénoncé, dans une déclaration à la télévision publique TCV, des «arrangements politiques» contraires, selon lui, aux règles de l'organisation.

Selon RFI, «le Cap-Vert qui fait valoir qu'il a payé ses cotisations 2017 devrait toujours 25 millions de dollars à l'organisation. Lors du huis clos des chefs d'Etat, le président Fonseca aurait dénoncé la manière dont la question de la présidence de la commission a été traitée. Il aurait demandé à ce que sa position figure dans la déclaration finale. Ce qu'il n'a pas obtenu».

Un «modèle de démocratie» isolé 
Les responsables cap-verdiens regrettent que l'archipel, ancienne colonie portugaise au large du Sénégal, ne pèse guère au sein du bloc régional, malgré son image de «modèle de démocratie» africaine, dans une zone souvent troublée.

En 2017, une fois encore, le Cap-Vert est le pays ouest-africain le mieux classé (4e sur 54) à l'Indice de la gouvernance en Afrique établi par la Fondation Mo Ibrahim. 

«Dans un monde dominé par la quantité, le Cap-Vert estime qu'il est trop réduit avec ses quelque 500.000 habitants et 4.033 km², en comparaison du Nigeria», géant continental, avec plus de 193 millions d'habitants, résume le diplomate Corsino Tolentino dans un entretien avec l'AFP. Le Cap-Vert compte d'ailleurs plus de citoyens à l'extérieur qu'à l'intérieur de son territoire, avec une diaspora estimée à quelque 700.000 personnes.

En outre, sur la cinquantaine de protocoles et conventions de la Cédéao signés depuis 1978, le Cap-Vert en a ratifié moins de la moitié, soit le plus faible total de l'ensemble des 15 Etats membres. Pour le secrétaire général du Parlement de la Cédéao, le Nigérian Nelson Magbagbeola, chacune des deux parties doit faire des efforts.

Selon lui, le Cap-Vert aurait intérêt à s'impliquer davantage en nommant un ambassadeur auprès de l'organisation et en appliquant les décisions de la Cédéao sur «la libre circulation des personnes et des biens» dans la sous-région.

La Cédéao «doit accorder plus d'attention aux spécificités» du Cap-Vert
Le Premier ministre Ulisses Correia e Silva s'est dit prêt à désigner un représentant auprès de la Cédéao mais souhaite «une plus grande flexibilité» quant au libre accès des ressortissants ouest-africains aux emplois sur son sol, faisant valoir que «le marché du travail cap-verdien est limité».

Depuis plusieurs années, Praia souhaite obtenir un traitement différencié sur la question de la libre circulation qui n'est pourtant pas si aisée entre l'archipel et les autres pays de la sous-région. 


Le port de Porto Grande, sur l'île de Sao Vicente, au Cap-Vert (1er février 2015) (DANIEL SLIM / AFP)

La faiblesse chronique des liaisons avec le reste de l'Afrique, ainsi que des échanges, contribue à la marginalisation du Cap-Vert qui est pourtant une destination prisée par les touristes du monde entier. «En ce qui concerne les rapports avec la Cédéao, il faut bien voir tout ce qui les complique», expliquait l'ex-président cap-verdien Pedro Pires (2001-2011) à l'AFP le 30 novembre 2017 lors d'une réunion à Dakar organisée par la Fondation Mo Ibrahim, qui lui a décerné son prix en 2011.

Le transport maritime est virtuellement inexistant et le transport aérien intra-africain très insuffisant. «Comment développer les rapports économiques si vous n'avez pas de transport maritime?», interrogeait-il ?

A ces difficultés structurelles s'ajoute une méconnaissance réciproque, affirmait le président Fonseca, dans une récente interview à une correspondante de l'AFP à Praia.

«Les Cap-Verdiens ne connaissent pas bien les organes et projets de la Cédéao et ses mécanismes. Et ce n'est pas un hasard s'il y a si peu de Cap-Verdiens dans ses instances. Mais, d'autre part, la réalité du Cap-Vert est peu connue par les autres pays de la Cédéao.»

L'ancien Premier ministre José Maria Neves (2001-2016) a tempéré ces critiques, considérant que des progrès ont été accomplis. «La Commission de la Cédéao a été élargie sur proposition du Cap-Vert, et un commissaire cap-verdien a été nommé pour le dossier des Technologies de l'information. Donc je ne pense pas que la Cédéao ignore le Cap-Vert, mais l'organisation doit accorder plus d'attention aux spécificités de l'archipel», a-t-il plaidé.

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