Dialogue politique, partenariats économiques, menace jihadiste... Pourquoi Emmanuel Macron se déplace au Cameroun, au Bénin et en Guinée-Bissau
Le président français est arrivé lundi soir à Yaoundé, la capitale du Cameroun, première étape d'une visite de quatre jours en Afrique subsaharienne.
C'est son premier déplacement de second mandat sur le continent africain. Emmanuel Macron est arrivé au Cameroun dans la soirée du lundi 25 juillet. Le chef d'Etat a été accueilli vers 22h40 heure locale (23h40 heure de Paris) à l'aéroport de Yaoundé, la capitale du pays, par le Premier ministre camerounais Joseph Dion Ngute, avant une courte cérémonie protocolaire. Ce déplacement en Afrique subsaharienne, qui doit durer jusqu'à jeudi, l'emmène aussi au Bénin et en Guinée-Bissau. Pourquoi a-t-il choisi ces pays ? Franceinfo résume les raisons de ces visites.
Pour nouer un dialogue avec les dirigeants
Après avoir été accueilli en grande pompe par Joseph Dion Ngute, Emmanuel Macron se rend, mardi, au palais présidentiel, pour un entretien puis un déjeuner avec son homologue Paul Biya. A 89 ans, ce dernier dirige le Cameroun d'une main de fer depuis près de quarante ans. Il y a deux ans, Emmanuel Macron l'avait sévèrement critiqué et avait dénoncé des violations des droits humains dans le nord séparatiste anglophone du pays. Lors de cette visite, les sujets qui fâchent ne seront pas écartés, promet l'Elysée. C'est le premier déplacement d'un président français dans le pays depuis 2015.
"Malgré les divergences et les tensions, la France se devait de reprendre contact avec Paul Biya", a estimé sur franceinfo Antoine Glaser, journaliste spécialiste de l'Afrique. D'ailleurs, c'est aussi le sens du passage d'Emmanuel Macron dans le village de Yannick Noah : l'ancien champion de tennis et chanteur l'accueille dans son centre de loisirs et d'éducation situé dans un quartier populaire de Yaoundé, pour promouvoir "les relations entre les deux pays".
Instaurer le dialogue : c'est également l'objectif d'Emmanuel Macron au Bénin, où il se rendra mercredi. Jeudi, le chef de l'Etat achèvera son déplacement en Guinée-Bissau, petit pays ouest-africain en proie à une instabilité chronique et dont le président, Umaro Sissoco Embalo, s'apprête à prendre la tête de la Communauté économique des Etats de l'Afrique de l'Ouest (Cédéao). En octobre 2021, lors de la visite d'Umaro Sissoco Embalo en France, Emmanuel Macron avait déclaré que sa présence témoignait "du renouveau de la relation" entre Paris et Bissau. La visite inédite du chef de l'Etat dans ce pays semble en être une autre confirmation, d'autant plus que la France a condamné, en février, la tentative de coup d'Etat contre le régime bissau-guinéen.
Pour créer des partenariats économiques
Emmanuel Macron ne se déplace pas seul lors de cette visite d'Etat : il est accompagné des ministres des Affaires étrangères et des Armées, Catherine Colonna et Sébastien Lecornu, du ministre délégué au Commerce extérieur, Olivier Becht, ainsi que de la secrétaire d'Etat chargée du Développement, Chrysoula Zacharopoulou. D'après nos informations, une importante délégation économique le suit également. De quoi donner la tonalité des échanges sur place.
Ainsi, au Cameroun, figureront au menu des discussions les possibilités d'investissements français dans l'agriculture, précise l'Elysée à l'AFP. Car l'objectif est de relancer les relations économiques entre les deux pays, en perte de vitesse. La France voit son influence s'éroder sur les plans économique et commercial, face à la Chine, l'Inde ou l'Allemagne. Les entreprises françaises ne pèsent plus qu'environ 10% de l'économie camerounaise contre 40% dans les années 1990.
Pour aborder la lutte contre la menace jihadiste
Autre sujet au menu des discussions au Cameroun : la sécurité. Emmanuel Macron et Paul Biya ont échangé sur ce point alors que la menace jihadiste dans le nord du Cameroun, avec Boko Haram, est toujours élevée. "Nous savons, sur le plan sécuritaire, que la France peut nous aider, dans le matériel. On a besoin de ça", espère Alfred, 40 ans, chauffeur et manutentionnaire à Yaoundé, au micro de franceinfo.
La même thématique sera abordée au Bénin. Car le nord de ce pays aussi est confronté à une multiplication d'attaques meurtrières, depuis que la menace jihadiste s'étend du Sahel aux pays du golfe de Guinée. Le Bénin souhaite un appui français en matière de soutien aérien, de renseignement et d'équipements, selon l'Elysée.
Des discussions seront dans la lignée des déclarations du président français, le 13 juillet. Il avait annoncé sa volonté de "repenser d'ici l'automne l'ensemble [des dispositifs militaires de la France] sur le continent africain", alors que la force antijihadiste Barkhane est en train de boucler son départ du Mali. Disant vouloir des "dispositifs moins posés et moins exposés", Emmanuel Macron avait jugé qu'il s'agissait d'une "nécessité stratégique".
Pour contrer l'influence de la Russie en Afrique
Ce déplacement a également pour thème la crise alimentaire provoquée par la guerre en Ukraine. En effet, l'un des objectifs d'Emmanuel Macron est de repositionner la France sur le continent africain face aux ambitions russes. Il va ainsi promouvoir l'initiative internationale Food and Agriculture Resilience Mission (Farm), lancée en mars, pour favoriser le développement de la production agricole africaine.
"On doit intensifier notre coopération militaire si on ne veut pas que Yaoundé bascule dans l'orbite russe", préconise un diplomate français dans L'Opinion. D'autant que le Cameroun vient de signer un accord de défense avec la Russie. "On voit que les présidents des anciennes colonies françaises [le Cameroun oriental a été sous administration française entre 1916 et 1960] en particulier d'Afrique centrale, se tournent de plus en plus vers la Russie et donc il y a une sorte de réengagement d'Emmanuel Macron dans ces pays au nom de la realpolitik", analyse le journaliste Antoine Glaser.
Pour évoquer le passé colonial
Ce déplacement est également symbolique d'un point de vue historique. Mardi, devant la presse à Yaoundé, Emmanuel Macron a demandé "un travail conjoint d'historiens camerounais et français" pour "faire la lumière" sur l'action de la France au Cameroun pendant la colonisation et après l'indépendance, annonçant l'ouverture "en totalité" des archives françaises sur des "moments douloureux" et "tragiques".
Un collectif de partis politiques camerounais avait appelé lundi Emmanuel Macron à reconnaître les "crimes de la France coloniale". "Nous saisissons l'occasion pour réveiller les Camerounais par rapport au problème avec la France qui est de remettre tous les crimes de la France sur la table et le solder définitivement si on veut avoir une relation apaisée", avait déclaré Bedimo Kuoh, membre du Mouvement africain pour la nouvelle indépendance et la démocratie (Manidem).
Avant l'indépendance du pays en 1960, les autorités françaises ont en effet réprimé dans le sang les "maquis" de l'Union des populations du Cameroun (UPC), un parti nationaliste fondé à la fin des années 1940 et engagé dans la lutte armée contre le colonisateur. Plusieurs dizaines de milliers de militants pro-UPC ont été massacrés par l'armée française.
La question est aussi sensible au Bénin, colonie française de 1894 à 1958 sous le nom de Dahomey. Ainsi, mercredi, la délégation française devrait visiter les 26 trésors royaux d’Abomey restitués par la France.
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