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CAN 2022 : infrastructures défaillantes, reports, menaces d’annulation… L’organisation de la Coupe d’Afrique a été un vrai test pour le Cameroun et la CAF

Depuis l’attribution de la Coupe d’Afrique des Nations au Cameroun, en 2014, une multitude d’événements est venue perturber l’organisation de la compétition qui va finalement commencer dimanche.

Article rédigé par Denis Ménétrier, franceinfo: sport
France Télévisions - Rédaction Sport
Publié
Temps de lecture : 10min
Le trophée de la Coupe d'Afrique des nations, le 7 décembre 2021 (DANIEL BELOUMOU OLOMO / AFP)

Le 20 décembre, le Cameroun accueillait son sauveur. Trois semaines avant le début de la 33e Coupe d’Afrique des Nations (CAN, 9 janvier-6 février) et alors que des rumeurs persistantes faisaient état d’un potentiel report de la compétition, Patrice Motsepe rend visite au pays organisateur, à son président Paul Biya et au nouveau patron du foot camerounais, Samuel Eto’o. Le président de la Confédération africaine de football (CAF) se veut alors rassurant : "Nous sommes très clairs en ce qui concerne notre engagement à faire de la CAN un succès."

Motsepe annonce qu’il sera présent pour le match d’ouverture entre le Cameroun et le Burkina Faso, qui se tiendra dimanche 9 janvier au stade d’Olembé, à Yaoundé, et va lancer la fête qu’attend le football africain depuis la dernière édition de la CAN (en Égypte à l'été 2019). Arrivé au Cameroun en cours de semaine, Lassana Camara, journaliste mauritanien influent sur le continent africain, décrit pourtant des locaux méfiants : "Ils attendent le coup d’envoi du match pour vraiment se dire que la CAN se déroule au Cameroun. Parce que jusque-là, les Camerounais parlaient de cette compétition comme d’une malédiction."

Il faut dire que l'organisation de cette CAN n’a pas été de tout repos pour la CAF et le Cameroun. De sorte que les dernières heures vont être stressantes pour ce gigantesque pays du football africain, cinq fois vainqueur de la compétition (seule l’Égypte fait mieux avec sept succès). Demeure la peur irrationnelle d’un événement impromptu qui viendrait une nouvelle fois reporter le coup d’envoi de la CAN, dont le bon déroulé a été maintes fois remis en question ces dernières années.

Le Cameroun perd l'attribution

Lorsque, le 21 septembre 2014, la CAF attribue la Coupe d’Afrique 2019 au Cameroun, la nouvelle apparaît comme une bénédiction. "Le peuple camerounais aime le football mais n’a accueilli la CAN qu’une seule fois, en 1972", souligne Lassana Camara. Le pays se met en branle pour être en mesure d'accueillir la plus grande compétition sportive du continent. Mais les travaux mettent plus de deux ans à démarrer.

Quatre ans plus tard, les Camerounais déchantent : en novembre 2018, la CAF retire la compétition au pays, à sept mois de son coup d’envoi. Le passage de 16 à 24 équipes, décidé en juillet 2017 par l’instance qui dirige le football africain, n’arrange pas le Cameroun, où les chantiers de construction et de rénovation de stades sont considérablement en retard. "J’ai participé à la visite d’inspection en août 2018 et au niveau des stades, ils n’auraient jamais pu être prêts en quelques mois", soutient un ancien haut dirigeant de la présidence Ahmad Ahmad à la CAF (2017-2021)

L’Égypte hérite du bébé et la compétition est une réussite à l’été 2019. La CAF réussit son pari alors que la gestion de la CAN 2015, refourguée dans les dernières semaines à la Guinée équatoriale à la place du Maroc, avait été un échec cuisant. Mais des soupçons commencent à émerger : Ahmad Ahmad est suspecté de vouloir saboter le Cameroun. "Au contraire, je l’ai côtoyé et il voulait vraiment organiser cette CAN au Cameroun. Mais en 2019, c’était évident que ce n’était pas possible", assure l’ex-membre de la CAF à franceinfo: sport.

Pression de la Fifa

Preuve du volontarisme de la CAF : l’édition 2021 est confiée au Cameroun. Le pays a deux ans pour se préparer. Mais après les problèmes d’infrastructures, c’est la Fifa qui s’en mêle en octobre 2019. La première édition de la nouvelle version de la Coupe du monde des clubs imaginée par l’instance du football mondial tombe en juin 2021, au même moment que la CAN. La Coupe d’Afrique gêne. La CAF décide alors en janvier 2020 d’avancer la compétition de six mois, à janvier 2021, en prétextant des conditions météorologiques inadaptées à la pratique du football au Cameroun l’été.

"Ces raisons climatiques étaient un prétexte. La vraie raison sur cette annonce d’avancer la compétition, c’est que la Fifa avait mis la pression pour ne pas que la CAN et la Coupe du monde des clubs se déroulent en même temps", explique l’ex-membre de la CAF. La décision ne plaît pas aux clubs européens, loin d’être satisfaits d’apprendre que leurs joueurs vont une nouvelle fois être réquisitionnés en plein milieu de la saison. Mais qu’importe, la CAN doit avoir lieu en janvier 2021.

Patrice Motsepe, président de la Confédération africaine de football, durant la cérémonie de tirage au sort de la CAN, le 17 août 2021 (DANIEL BELOUMOU OLOMO / AFP)

Six mois plus tard, la pandémie de Covid-19 pousse la CAF à une nouvelle décision drastique : repousser d’un an la CAN, en janvier 2022. Ce délai permet au Cameroun de se tester, lors du Championnat d’Afrique des nations (CHAN, une CAN à laquelle seuls les joueurs évoluant dans leur pays peuvent participer, excluant de fait ceux qui jouent en Europe) qui se déroule en janvier 2021, et remporté par le Maroc. Malgré les doutes qui persistent sur les infrastructures camerounaises, la compétition offre un ouf de soulagement à la CAF.

"Le CHAN a rassuré tout le monde même s’il y a eu quelques problèmes comme des invasions de terrain lors de trois matchs qui ont particulièrement agacé l’instance", se remémore le proche d'Ahmad Ahmad. Il faut dire que la CAF joue sa crédibilité sur l’organisation de la CAN. "Le football africain est au pied du mur. Notre vitrine, c’est la CAN et il faut que ce soit une fête réussie pour montrer au monde entier qu’on sait organiser des compétitions", insiste Lassana Camara.

"Annuler la compétition, cela aurait été suicidaire"

La CAF ne manque pas de mettre la pression au Cameroun concernant les derniers détails à régler. En novembre, l’instance transmet un courrier à Narcisse Mouelle, ministre des Sports camerounais et président du comité local d’organisation de la CAN, en évoquant "de sérieuses inquiétudes concernant l’organisation du tournoi" et en menaçant une délocalisation du match d’ouverture qui doit se dérouler dans le stade d’Olembé, pas encore tout à fait au point.

Entre-temps, Patrice Motsepe, président de la CAF depuis mars, est venu à Yaoundé pour rassurer tout le petit monde du football africain : "La CAF n’a jamais envisagé de retirer la CAN au Cameroun." Les rumeurs d’un report voire d’une délocalisation enflent pourtant. Surtout quand Abdel Moneim Hussein, ancien de la CAF, explique début décembre à la télévision égyptienne que le Cameroun n’est pas prêt pour accueillir la CAN et que la compétition pourrait finalement se jouer au Qatar.

Quelques jours plus tard, l’ECA (association européenne des clubs) participe au malaise en réclamant un protocole sanitaire, faute de quoi les clubs du Vieux Continent refuseront de libérer leurs joueurs pour la CAN. Les organisateurs camerounais dégainent rapidement et Motsepe effectue donc cette visite rassurante à Yaoundé le 20 décembre. "À deux semaines d’une compétition comme ça, le football africain ne pouvait pas se permettre de la reporter, cela aurait été suicidaire", estime Lassana Camara.

Un héritage difficile

Au Cameroun, on voit bientôt la fin du tunnel d’une Coupe d’Afrique perçue comme un véritable "chemin de croix depuis huit ans", selon le journaliste mauritanien. Mais le coup d’envoi de la compétition dimanche ne siffle pourtant pas la fin des problèmes pour le Cameroun. Des menaces sécuritaires pèsent sur la compétition, même si Lassana Camara estime que le pays organisateur "a joué sa partition de ce point de vue", en ayant constaté lui-même les dispositifs mis en place sur le terrain.

Passée la fête, c’est surtout sur l’héritage de la compétition que le Cameroun devra se creuser la tête. "C’est une évidence que ça va être un poids pour le Cameroun, j’en suis convaincu. Comme en Guinée équatoriale, comme au Gabon, il y a de forts risques que ces infrastructures soient très vite laissées à l’abandon", soutient l’ex-haut dirigeant de la CAF. Les exemples du Gabon et de la Guinée équatoriale ont de quoi rendre pessimistes les organisateurs camerounais.

"Il ne faut pas faire comme ces deux pays où les stades se sont transformés en champs de patates. Il faut qu’il y ait des infrastructures autour des stades, y faire jouer des clubs. Ce qui n’est pas le cas au stade d’Olembé et au stade Japoma. Après la CAN, je crains que ces enceintes ne tombent dans l’anonymat parce que rien n’a été fait autour", souffle Lassana Camara. En attendant, le Cameroun va pouvoir profiter de cette belle fête de football qu’est la CAN, pendant un mois. Une belle récompense après huit ans d’incertitudes.

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