Zone sûre à Kaboul : la décision "peut être prise rapidement, en revanche l'exécution est plus compliquée", selon le général Dominique Trinquand
Si le Conseil de sécurité décide de la création de cette zone sûre, cette décision sera contraignante et "un instrument extrêmement fort auprès des talibans" qui veulent obtenir une reconnaissance internationale.
La décision de créer une zone sûre autour de l'aéroport de Kaboul, comme le proposent Paris et Londres, "peut être prise rapidement" par l'ONU, "en revanche, l'exécution est plus compliquée", a déclaré lundi30 août sur franceinfo le général Dominique Trinquand, expert militaire, ancien chef de la mission militaire française auprès de l'ONU. Il va falloir "négocier avec les talibans parce que ce sont les talibans qui sont les maîtres sur place", prévient-il.
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franceinfo : En quoi une zone sûre serait différente d'un aéroport de Kaboul protégé par les États-Unis ?
Dominique Trinquand : La zone sûre, ça me rappelle beaucoup de souvenirs. Le Kurdistan, la Bosnie-Herzégovine et Srebrenica étaient des zones sûres, donc ce n'est pas un très bon souvenir. Une zone sûre, c'est une négociation à engager. La manœuvre doit se déplacer en deux temps. D'abord au Conseil de sécurité aujourd'hui avec le P5, c'est-à-dire essentiellement les Russes et les Chinois. [Il faudra] négocier pour que l'ONU prenne une résolution, décide de l'installation d'une zone sûre et ensuite négocier avec les talibans parce que ce sont les talibans qui sont les maîtres sur place.
"Cette zone, c'est quoi ? C'est un concept juridique qui permet à l'ONU de contrôler une zone dans lequel se feront les allers-retours humanitaires."
Le général Dominique Trinquand, expert militaireà franceinfo
Je dis bien les allers et retours parce que cela fait partie de la négociation.
Les talibans ont dit qu'une zone sûre n'était pas nécessaire. L'ONU peut-elle l'imposer ?
Elle peut le faire sous chapitre VII [de la Charte des Nations unies]. Cela veut dire que c'est contraignant. Les quinze membres du Conseil de sécurité ont reçu délégation des 193 pays des Nations unies pour prendre des décisions contraignantes. Mais surtout, on voit bien que les intérêts stratégiques de la Grande-Bretagne et de la France sont très proches de l'Europe. La Grande-Bretagne et La France doivent convaincre les Russes et les Chinois. Parce que si les Russes et les Chinois sont convaincus, qu'ils votent, ils seront obligés de travailler avec l'ensemble du Conseil de sécurité pour convaincre les talibans. Or, comme on le sait, les Russes et les Chinois parlent depuis un petit moment avec les talibans. Lorsque cette décision est prise, en consensus par les quinze, à ce moment-là, les talibans ont forcément une pression puisqu'ils veulent être reconnus comme un organisme international.
Cela veut dire que les Nations unies sont beaucoup fortes que les États-Unis en Afghanistan ?
Sur le plan juridique oui, parce que ce n'est pas une décision unilatérale. C'est une décision du monde. Le Conseil de sécurité, les 15 membres, cinq membres permanents et 10 élus décident pour le monde. Ils ont reçu une délégation pour cela. C'est un instrument extrêmement fort auprès des talibans. Une fois qu'on a mis ça en place sur le plan juridique, que tout est en place, tout est affaire d'exécution. C'est-à-dire que sur place, les gens mandatés par l'ONU pour sortir les gens avec des listes vont devoir négocier point par point. Avec les talibans qui vont dire, "celui-là je veux bien, celui-là je ne veux pas" et à chaque fois rappeler aux talibans la décision qui a été prise.
Une telle zone sécurisée est rapide à mettre en place ?
La décision peut être prise rapidement. Elle peut être prise dans la semaine si elle est présentée aujourd'hui, cela peut être voté à la fin de la semaine, probablement. En revanche, l'exécution est plus compliquée parce qu'il va falloir mettre ça en place auprès des talibans. Il y a les talibans de Doha qui, peut-être, vont l'accepter ou pas, en négocier les pourtours. On sait qu'aujourd'hui, il y a déjà une mission qui est là-bas pour discuter avec eux. Mais ensuite, il y a les talibans de Kaboul. Ils ne sont pas les mêmes. La sécurité, s'il y a une zone sûre là-bas, dépendra de l'action des talibans. Ils seront devant leurs responsabilités. L'attentat qui a eu lieu à Kaboul par les jihadistes de l'État islamique avait pour but bien sûr d'attaquer les Américains, les Occidentaux et de les tuer, mais surtout aussi de montrer que les talibans n'étaient pas capables d'assurer la sécurité. Or là, les talibans sont devant leurs responsabilités.
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