Quatre questions sur l'accueil en France de cinq femmes afghanes menacées par les talibans
C'était une opération d'évacuation réclamée de longue date. Cinq femmes afghanes, dont une accompagnée de ses trois enfants, ont atterri lundi 4 septembre, en début d'après-midi, à l'aéroport de Roissy (Val d'Oise). Elles ont en commun d'avoir dû fuir par leurs propres moyens vers le Pakistan, voisin de l'Afghanistan, depuis que les talibans ont repris le pouvoir, à l'été 2021.
1Qui sont ces femmes ?
Les cinq Afghanes arrivées lundi sont une ancienne présidente d'université, une chercheuse, une présentatrice de télévision, une professeure d'anglais et une coiffeuse. "Leurs situations sont isolées, mais correspondent à un même profil de femmes en difficulté : elles ont fait le choix de fuir l'Afghanistan pour un pays limitrophe car elles ne pouvaient plus exercer leur emploi et se sentaient menacées, décrit auprès de franceinfo Maëlle Léna, cheffe de projet au sein de l'ONG France terre d'asile. Ce n'est pas un groupe consolidé. Certaines se connaissent, d'autres non. Elles ont obtenu un visa grâce aux mêmes personnes."
Après avoir repris le pouvoir à l'été 2021, les talibans ont privé les femmes de leurs droits, décret après décret. Aujourd'hui, les Afghanes doivent se couvrir entièrement lorsqu'elles sortent de chez elles et ne peuvent plus accéder à certains loisirs et sites touristiques du pays. Elles ne peuvent plus être scolarisées après 12 ans, accéder aux universités, ni aux parcs ou aux salles de sport. Et, depuis quelques mois, elles n'ont plus le droit de travailler pour des ONG, ni des agences de l'ONU, à de rares exceptions près dans les domaines de la santé et de l'éducation.
"J'étais à dégager parce que j'étais une veuve non remariée et donc une putain. Ils ont fait décrocher mon grand portrait. Ils jetaient des regards noirs à mes employés qui m'appelaient Madame la présidente… Quand ils ont menacé de fermer la fac, je suis partie", relatait en avril Najla Latif, ancienne présidente d'université, à la journaliste Solène Chalvon-Fioriti dans Libération.
"Ces femmes reviennent de l'enfer. (...) Elles sont particulièrement ciblées parce qu'elles avaient de hautes positions en Afghanistan", explique à franceinfo cette grand reporter, correspondante en Afghanistan pendant dix ans, qui confirme connaître ces femmes après les avoir "interviewées avec des consœurs"
2Où vont-elles être accueillies ?
Après leur arrivée, ces femmes doivent d'abord être conduites dans un centre de transit géré par l'ONG France terre d'asile en région parisienne. "Un premier centre d'accueil va les héberger le temps qu'on organise, et on va le faire rapidement, l'enregistrement de leur demande d'asile. Elles seront ensuite orientées vers l'un des lieux d'accueil pour demandeurs d'asile que gère l'Ofii [Office français de l'immigration et de l'intégration]", précise, lundi, Didier Leschi, le directeur de cet organe sous tutelle du ministère de l'Intérieur. C'est-à-dire "n'importe où sur le territoire métropolitain", d'après Maëlle Léna.
3Pourquoi les évacuations de femmes afghanes sont-elles si rares ?
A l'été 2021, après la prise de pouvoir des talibans, Emmanuel Macron avait promis que la France resterait "aux côtés des Afghanes". De fait, les évacuations se sont poursuivies, mais au compte-gouttes. "Depuis août 2021, plus de 16 000 personnes ont été évacuées dans des dispositifs spécifiques, nommés Apagan", affirme Didier Leschi. Il rappelle, en outre, que "depuis le début de l'année, 12 000 Afghans, essentiellement des hommes, ont déposé une demande d'asile en France".
La situation est plus compliquée pour les femmes, qui se trouvent confrontées à "des restrictions terribles" imposées par les talibans. "Les femmes, en particulier les femmes seules et qui ne disposaient pas de l'entregent nécessaire, ont été largement délaissées", avait ainsi déploré, fin avril, dans une tribune dans Le Monde le collectif Accueillir les Afghanes, piloté par des journalistes, dont Solène Chalvon-Fioriti. "Il y a eu quelques arrivées, mais au cas par cas, perlées, souligne Maëlle Léna. Là, c'est un peu plus conséquent, même si c'est encore modeste. Cela montre que c'est possible, alors on demande à ce que cela puisse se reproduire."
"Prochaine étape : sortir du compte-gouttes pour mettre en place un véritable sas humanitaire à l'attention de ces Afghanes", a réclamé, lundi sur X (ex-Twitter), l'ex-ministre socialiste Najat Vallaud-Belkacem, désormais présidente de l'ONG France terre d'asile.
4Cette opération est-elle amenée à se reproduire ?
Contactés par l'AFP, ni le Quai d'Orsay, ni l'Elysée n'ont souhaité s'exprimer sur d'autres opérations plus conséquentes qui pourraient suivre. Pour l'heure, si ces arrivées constituent "une bonne nouvelle", elles ne sont "pas le fruit d'une décision politique" mais ont été "obtenues de haute lutte" par des militants qui ont bataillé "pour obtenir des visas" à ces femmes, a déploré auprès de l'AFP Delphine Rouilleault, directrice générale de France terre d'asile. "On veut un système organisé pour accueillir ces femmes, ce qui nécessite une volonté politique de les protéger, un effort conscient à destination de ces Afghanes", insiste Maëlle Léna.
"Nous sommes très vigilantes parce que, pendant deux ans, nous avons vraiment crié dans le désert. De nombreuses Afghanes ont crié dans le désert depuis le Pakistan. De nombreux confrères et consœurs ont fait le boulot au Pakistan et en Iran pour alerter l'opinion publique sur le sort de ces filles-là", estime Solène Chalvon-Fioriti, qui "espère que Monsieur Darmanin est désormais plus favorable à faciliter les visas pour les femmes seules". "On demande une vraie voie de protection féministe pour les femmes seules, qui, au Pakistan, sont en majorité des étudiantes", insiste la journaliste.
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