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Intempéries : pourquoi est-il si difficile de prédire les inondations qui ravagent le sud-est de la France ?

Article rédigé par Marie-Adélaïde Scigacz
France Télévisions
Publié Mis à jour
Temps de lecture : 4 min
Une maison en partie emportée par la crue de la Vésubie, à Saint-Martin-de-Vésubie, le 6 octobre 2020.  (NICOLAS TUCAT / AFP)

En l'état des connaissances scientifiques, il est possible d'anticiper les phénomènes extrêmes, mais pas assez précisément pour prévoir leur dangerosité et les intempéries qu'ils entraînent.

C'est un paradoxe méditerranéen. Sous l'effet du réchauffement climatique, le pourtour de la Méditerranée affronte d'intenses périodes de sécheresse, mais chaque automne, elle s'expose aussi à un risque accru d'inondations, notamment en France, où les épisodes pluvieux et orageux gagnent en fréquence et en intensité.

Il y a six ans, dans la nuit du samedi 3 au dimanche 4 octobre 2015, un de ces phénomènes extrêmes a causé la mort d'une vingtaine de personnes sur un secteur qui s'étend de Mandelieu-La-Napoule à Antibes. En octobre 2020, des intempéries meurtrières ont dévasté le secteur de la Vésubie et de la Roya, dans l'arrière-pays niçois. L'année précédente, la région cannoise avait subi d'importants dégâts, en décembre, alors que des pluies torrentielles s'étaient abattues sur la ville. En 2014 et en 2019, c'est l'Hérault, plus à l'ouest, qui s'est en partie retrouvé piégé à cause d'intempéries causées par des conditions particulières : une remontée d'air chaud, humide et instable en provenance de la Méditerranée rencontrant un air froid en altitude, à l'origine de violents orages parfois stationnaires.

Tout dépend de l'endroit où ça tombe

Alors que Météo France estime que ces phénomènes orageux potentiellement destructeurs surviennent de trois à six fois par an en moyenne, il demeure quasiment impossible de prédire leur dangerosité. Pourquoi est-ce si difficile ? Tout d'abord, un épisode méditerranéen ne déclenche pas toujours une inondation.

Interrogée à l'automne 2020 par franceinfo, peu après les drames liés à la tempête Alex, Agathe Euzen,directrice adjointe scientifique à l'Institut écologie et environnement du CNRS, explique que la densité de population, l'aménagement du territoire, le contexte socio-économique et le profil démographique sont autant de facteurs susceptibles de transformer un aléa météorologique en catastrophe. "Un événement extrême, comme une tempête, qui survient dans un territoire qui n'est pas habité a beaucoup moins de conséquences que dans les territoires occupés par des activités humaines, des habitations, des infrastructures", résume-t-elle.

A ces spécificités s'ajoute la nature même du terrain, explique Pierre Brigode, directeur du département Génie de l'eau de Polytech Nice Sophia (Université Côte d'Azur). En cas d'intempéries dans la région, "Nice est sujet à du ruissellement des eaux de pluie sur les collines, mais il y a aussi un grand fleuve, le Var, susceptible de créer des inondations par débordement", illustre-t-il. A Cannes aussi, passe un petit fleuve, la Siagne. Pourtant, en 2015, "c'est le ruissellement sur des vallons côtiers bien plus petits qui ont provoqué les inondations, plutôt que le fleuve". Inondations liées à des débordements, des ruissellements, voire les deux... Prédire comment un territoire va recevoir une importante et soudaine quantité d'eau se heurte aux limites des modèles développés, et sans cesse améliorés, par les scientifiques.

"Typiquement, on peut faire un scénario et prendre les pluies de la tempête Alex et la faire tomber sur des bassins versants près de Cannes ou d'Antibes et regarder ce que ça donne en termes de débordement", explique Pierre Brigode à franceinfo. Toutefois, le résultat de cette modélisation "n'est qu'un scénario". "Sa probabilité, je ne la connais pas", précise-t-il. Pour anticiper une inondation, il faudrait disposer d'éléments plus précis, à la fois sur les quantités d'eaux attendues, mais aussi sur la localisation exacte du phénomène, dit le spécialiste, reconnaissant que les modélisateurs manquent encore de données.

Des prévisions qui restent limitées

C'est notamment la localisation du phénomène à venir qui pose un défi scientifique. Dans la région, "nous avons des bassins versants très petits. Or, on n'est pas capable d'être très précis sur l'endroit où cela va taper", reprend Pierre Brigode. Les prévisions se heurtent à des problèmes d'échelle. "Pour savoir ce qui va se passer, on est vraiment à l'échelle de quelques dizaines ou à la centaine de mètres près, en fonction de si le phénomène se produit au-dessus de tel ou tel vallon. On est sur un territoire où être capable de prédire sur des petits bassins versants, de l'ordre de 100 km carré, est impossible en l'état", assure-t-il.

"La difficulté, c'est de savoir quand, où et à quelle intensité" un phénomène va se produire, poursuit Antoine Nicault, écologue, paléoclimatologue et coordinateur du groupe régional d'experts sur le climat en région Sud Provence-Alpes-Côte d'Azur (Grec-Sud).

"Les épisodes méditerranéens sont des épisodes qui sont ponctuels dans le temps et dans l'espace, donc ils sont toujours très difficiles à analyser et quasiment impossible à modéliser."

Antoine Nicault

à franceinfo

Jusqu'à récemment, "on n'arrivait pas à avoir de données suffisantes pour analyser l'intensité de ces épisodes méditerranéens", poursuit Antoine Nicault. Les modèles élaborés par Météo France deviennent cependant "de plus en plus performants pour prévoir à quelques heures près ou à quelques jours près ces épisodes."

Depuis 2010, l'agence a développé de nouveaux systèmes de prévision météorologique : Arpège, Aladin et Arome. Des outils perfectionnés qui, à partir d'observations et de modèles, permettent de donner l'alerte. Le climatologue salue le développement de ces systèmes capables de "diminuer le risque, en tout cas de perte de vies humaines". "Après, il faut compter sur l'aménagement du territoire en fonction de ces risques, ce que l'on commence à voir dans certains endroits, notamment autour de Cannes", conclut le climatologue.

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