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Entre canicule, Covid-19 et manque de personnel, "c'est l'été de tous les dangers" pour les soignants de l'hôpital public

Dans l'Hexagone, près de 130 services d'urgences sont en grande difficulté, souffrant principalement de manque de personnel et de lits, selon le syndicat Samu-Urgences de France (SUdF). 

Article rédigé par franceinfo
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Une élève aide-soignante prend soin d'un patient à l'hôpital de Briançon (Hautes-Alpes), le 7 juillet 2022.  (THIBAUT DURAND / HANS LUCAS / AFP)

Depuis le centre hospitalier de Carcassonne (Aude), Nathalie Cantié, infirmière sur le plateau technique de cardiologie et de soins d'urgence, note depuis plusieurs semaines qu'une nouvelle patientèle consulte au sein de l'établissement. "Des estivants" arrivés dans la région pour leurs vacances, et entraînant, selon cette élue du personnel CFDT, une augmentation de 15% des hospitalisations depuis le mois de juin. La quinquagénaire, vingt ans d'exercice à l'hôpital de Carcassonne, évoque ce patient de 70 ans ayant fait un malaise dans sa piscine, en plein soleil à 17 heures. La chaleur provoque "des charges supplémentaires sur les urgences, avec des répercussions sur les services", explique-t-elle. 

Le centre hospitalier de Carcassonne fait partie des 127 établissements de santé français dont les services d'urgences sont en grande difficultéselon une liste réalisée par le syndicat Samu-Urgences de France (SUdF) que franceinfo a pu consulter. D'après cette liste, environ 90% des hôpitaux en tension manquent de personnel médical, quand 47% font face à un manque d'aides-soignants, d'infirmiers ou de personnel administratif, entre autres. Face à la nouvelle vague de chaleur qui s'abat sur l'Hexagone – en parallèle de la septième vague de Covid-19, plusieurs soignants dans ces centres de soins en crise sont inquiets.

"Je ne sais pas comment on va tenir l'été" 

Au centre hospitalier général d'Oloron-Sainte-Marie (Pyrénées-Atlantiques), Angélique Lebrun, secrétaire CGT, assure effectuer son mi-temps syndical sur son temps de repos cet été : du fait des "besoins" actuels, elle a retrouvé un temps plein en tant qu'aide-soignante en service de long séjour. Dans cette unité, une infirmière a actuellement la charge de 37 lits, "et nous tournons avec des infirmières d'autres services", prévient la syndicaliste. Son service accueille des patients ne pouvant plus rester en Ehpad, des personnes en soins palliatifs ainsi que des patients souffrant de handicaps physiques ou mentaux. Mais "comment prendre soin des personnes âgées si nous n'avons pas les effectifs nécessaires ?", s'interroge l'aide-soignante. 

Le directeur du centre hospitalier, Frédéric Lecenne, explique à franceinfo que la difficulté principale, pour l'hôpital, est celle du manque de médecins. "Pour le mois d'août, nous avons près de 30% de plages de médecins pas encore couvertes." Dans le service de gériatrie, la moitié des lits seront fermés la semaine prochaine du fait du manque d'un médecin. "Depuis trois semaines, nous avons baissé de 20% notre capacité totale de lits", précise le directeur de l'hôpital. 

"La priorité, c'est la ligne des structures mobiles d'urgence et de réanimation. Quand le médecin (urgentiste) sort, il reste l'équipe paramédicale et un anesthésiste mais il n'y a plus de médecin au service des urgences à l'hôpital."

Angélique Lebrun, aide-soignante et secrétaire CGT de l'hôpital d'Oloron-Sainte-Marie

à franceinfo

L'établissement fonctionne avec plus de 60% de médecins remplaçants, et la situation aux urgences est particulièrement critique. "Nous devrions avoir 11 médecins, ils sont deux actuellement", du fait, entre autres, d'arrêts de travail. Selon Angélique Lebrun, l'activité dans ce service, qui devait fermer en mai, a pu être maintenue grâce "à la solidarité des médecins remplaçants qui ont pris des vacations". Depuis, les urgences d'Oloron-Sainte-Marie tournent "beaucoup sur des modes dégradés", illustre l'aide-soignante. A titre d'exemple, il y avait un médecin la nuit du 11 au 12 juillet, mais aucun médecin celle du 7 au 8 juillet. 

"Depuis 17 heures, le couloir des urgences est plein", relatait, le 11 juillet en début de soirée, Agnès, aide-soignante aux urgences adultes du CHU de Bordeaux. L'établissement, à l'instar de l'hôpital d'Oloron-Sainte-Marie, est l'un des 127 centres de soins dont les urgences sont particulièrement en tension. "Il y a un médecin avec un interne. Avec les lits qui sont fermés dans les étages, on ne peut pas déplacer les patients", décrit l'aide-soignante de 51 ans, militante auprès de Force ouvrière. Dans son corps de métier, l'absentéisme atteint 17%, affirme-t-elle. "La fatigue se fait sentir, je ne sais pas comment on va tenir l'été." 

"Je pense qu'on va perdre certains patients."

Agnès, aide-soignante aux urgences adultes de l'hôpital Pellegrin, au CHU de Bordeaux

à franceinfo

"À minuit, les portes des urgences sont quasiment closes, à part les urgences vitales", poursuit Pascal Gaubert, secrétaire Force ouvrière au CHU de Bordeaux. Il ajoute que des médecins de ville sont venus prêter main forte dans le service de 17 heures à minuit, faute de personnel. Le syndicaliste craint l'évolution de la situation au cours des prochaines semaines, entre les congés des soignants, des personnels touchés par le Covid-19 et cette vague de forte chaleur qui s'amorce. "C'est l'été de tous les dangers." 

"Du personnel va être rappelé. Et le personnel reviendra"

Aux urgences de Pellegrin à Bordeaux, soignants et patients subissent directement les températures élevées de l'extérieur. Le service n'a pas de dispositif de climatisation, seulement des ventilateurs. "Imaginez, on avoisine les 34°C là, relate Agnès. Je sors du travail, je suis en nage." Lors de l'épisode de canicule en juin, "il a fallu aller demander des ventilateurs, des humidificateurs pour rafraîchir les patients." Mais avec ce nouvel épisode de fortes chaleurs, Agnès craint de voir des patients se déshydrater aux urgences, sans compter un éventuel afflux de personnes touchées par la canicule. "Je pense qu'on va vers la catastrophe", lâche-t-elle.

Angélique Lebrun, d'Oloron-Sainte-Marie, partage cette inquiétude. "On est très vigilants" et l'hydratation des patients, notamment âgés, est particulièrement suivie. Néanmoins, "il fait très chaud" à l'hôpital, pointe l'aide-soignante et secrétaire CGT. Dans son service, seule la salle où les patients âgés déjeunent dispose d'une climatisation, "sinon, il s'agit juste de petites climatisations portatives". Frédéric Lecenne, directeur de l'hôpital, confirme cette vigilance accrue pour hydrater davantage les patients les plus vulnérables. "Le risque, c'est de voir des personnes âgées déshydratées. Nous avons aussi refourni des ventilateurs dans beaucoup de services", ajoute-t-il. 

"En 22 ans d'activité en tant qu'aide-soignante, c'est la première fois que je ressens tant d'inquiétude pour l'été. Je crains qu'il y ait des morts."

Angélique Lebrun, aide-soignante et secrétaire CGT à l'hôpital d'Oloron-Sainte-Marie

à franceinfo

En cas d'afflux de patients souffrant de la canicule, ces soignants déjà à flux tendu pourront-ils répondre à la demande de soins ? "La direction a commencé à anticiper. Du personnel va être rappelé. Et le personnel reviendra", réagit Nathalie Cantié du centre hospitalier de Carcassonne. "Il faudra débloquer des heures supplémentaires, faire appel à des volontaires pour qu'ils reviennent, décaler des congés", développe Pascal Gaubert du CHU de Bordeaux. Au centre hospitalier d'Oloron-Sainte-Marie, la direction fera appel, si besoin, aux agents volontaires pour revenir et aux heures supplémentaires. 

La septième vague de Covid-19 vient ajouter une complexité supplémentaire à la donne. Plusieurs soignants assurent qu'à ce stade, la reprise de l'épidémie de Covid-19 reste "gérable" à l'échelle de leurs services. Pascal Gaubert en est toutefois convaincu : "Si la vague devait frapper, on serait dans une difficulté extrême."

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