Interview Violence des mineurs : "La modération n'est clairement pas à la hauteur" sur les réseaux sociaux, estime le secrétaire général du Conseil du numérique

Le Premier ministre a multiplié les annonces lors de son discours prononcé à Viry-Châtillon. Il a pointé le rôle des écrans et des réseaux sociaux qui accentueraient la violence des jeunes.
Article rédigé par franceinfo
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Un enfant consulte son smartphone. Photo d'illustration. (LE PARISIEN / ARNAUD JOURNOIS / MAXPPP)

Sanctionner davantage les mineurs délinquants, responsabiliser les parents, rétablir l’autorité à l’école… Voici les grandes lignes du plan contre les violences impliquant des mineurs qui a été lancé par le Premier ministre jeudi 18 avril. Gabriel Attal souhaite aussi encadrer l'usage des écrans et des réseaux sociaux chez les plus jeunes qu'il accuse d'être "un accélérateur de haine" et un "catalyseur de violence".

Une commission sur la régulation des usages des écrans doit aussi rendre ses conclusions d'ici la fin du mois d'avril. Gabriel Attal affirme vouloir faire appliquer une nouvelle loi sur le contrôle de l'âge des jeunes inscrits sur les réseaux sociaux, avec une majorité numérique fixée à 15 ans. Mais cela risque de poser un problème d'application de la loi. Il est difficile, voire impossible légalement, pour un pays européen d'imposer seul des règles à l'ensemble réseaux sociaux seule l'Union européenne est compétente en la matière, explique Jean Cattan, secrétaire général du Conseil du numérique, enseignant à Sciences Po en régulation numérique et coauteur du livre Nous sommes les réseaux sociaux, aux éditions Odile Jacob.

franceinfo : Gabriel Attal peut-il réellement mettre en place une réglementation sur les réseaux sociaux ?

Jean Cattan : Un pays seul pourra adopter des mesures si elles s'appliquent précisément à certains réseaux sociaux précisément nommés. Cette réflexion doit aujourd'hui justement être conduite, c'est-à-dire de vraiment identifier les comportements qui sont particulièrement à risque du côté des plateformes. Quels sont les modèles économiques et techniques qui assurent en fait la propagation de contenus particulièrement toxiques et de s'assurer de la préservation, donc des publics les plus sensibles ou les plus exposés par rapport à certains de ces contenus ou de ces modèles de réseaux sociaux ? Il n'est pas possible de prendre l'ensemble de la catégorie réseaux sociaux, l'ensemble des activités des écrans et de dire "ça va être la solution qu'on va appliquer maintenant à toute une catégorie de la population", sans absolument avoir un quelconque discernement.

Gabriel Attal blâme les réseaux sociaux qu'il décrit comme des accélérateurs de haine et des catalyseurs de violence. Est-ce la faute des réseaux sociaux ou ne sont-ils qu'un symptôme ?

Malheureusement, les événements dont il a été question sont particulièrement tragiques et prennent leur place dans le réel. Et il ne faudrait pas que le phénomène réseaux sociaux, sans le disculper en aucune manière, soit l'arbre qui cache la forêt. Les réseaux sociaux opèrent de manière un peu réflexive, c'est-à-dire nous conduisent aussi à nous interroger sur les espaces de dialogue, les espaces que nous avons à disposition pour former cette communauté éducative élargie. Qu'il n'y ait pas de situation d'isolement accentuée. Les réseaux sociaux, malheureusement, s'immiscent dans un bain social où potentiellement, en fait, ce lien social précisément et un petit peu dénoué. Il faut faire attention, lorsqu'il y a du numérique dans la société qui s'immerge absolument partout, de faire en sorte qu'il y ait d'autant plus de lien social.

"On a pu croire pendant un moment, que la présence du numérique pouvait nous permettre de nous distancier les uns des autres et allait faciliter les démarches administratives. Mais en fait non car quand il y a du numérique, il y a un regain du besoin pour un lien social."

Jean Cattan, secrétaire général du Conseil du numérique

à franceinfo

Sur les réseaux sociaux, en revanche, est-ce qu'il y a toujours un problème de moyens accordés par les plateformes aux questions de modération ?

Tout à fait, et c'est pour ça d'ailleurs que la France a été vraiment à l'avant-garde d'une exigence de régulation forte au niveau européen qui commence à être mise en œuvre, avec donc des exigences en matière de modération, c'est-à-dire de contrôle des contenus. Mais nous pensons au Conseil national du numérique qu'il nous faut aller au-delà. Cette première étape est évidemment très importante parce que c'est un renversement de la charge de la preuve par rapport aux plateformes. C'est maintenant nous qui exigeons la mise en œuvre de moyens pour préserver notamment les publics jeunes. Mais demain, je pense qu'il nous faut aller vers vraiment presque une co-construction des services qui nous sont proposés et imposer nos exigences jusque dans leur architecture. Cela va bien au-delà des réseaux sociaux d'ailleurs.

Cette modération n'est toujours pas à la hauteur ?

Non très clairement, et notamment quand vous voyez par exemple, grâce justement à la régulation européenne, les informations que nous avons sur le nombre de modérateurs sur les réseaux sociaux. Sauf erreur de ma part, il y a près de 90 modérateurs en langue francophone sur X (ex-Twitter) selon le dernier rapport publié. C'est le niveau d'une moitié de PME. Il y a très clairement beaucoup d'efforts qui doivent être fournis de ce côté-là. Il y a beaucoup de moyens techniques qui sont mis en œuvre aussi du côté des plateformes, et beaucoup d'engagement doit être encore exigé.

Peut-on l'espérer de plateformes dont le modèle économique repose notamment sur le fait de partager certains messages ?

C'est précisément le problème, il nous faut agir d'abord sur le modèle économique, c'est-à-dire faire en sorte qu'il ne soit pas tourné vers la propagation de contenus particulièrement toxiques, mais aussi potentiellement se dire que cette modération, cette recommandation des contenus aussi, parce qu'il ne faut pas l'oublier, cette recommandation algorithmique peut être opérée par des tiers qui ne sont pas le réseau social lui-même. Ce qui est particulièrement intéressant en ce moment, c'est qu'on voit des initiatives naître en la matière et ouvrir ses fonctions de modération à d'autres personnes que le propriétaire du réseau social lui-même. Enfin, je pense que c'est absolument fondamental de bien dire que l'anonymat, en réalité, n'existe pas sur les réseaux. Il s'agit peut-être du vrai message de prévention que l'on peut avoir vis-à-vis de la population.

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