Droits d'auteur : "Si la directive passe, la culture européenne va se lier à l'économie de la surveillance de masse"
Les eurodéputés votent mercredi 12 septembre une réforme sensée mieux rémunérer les créateurs de contenus sur internet, mais le principe de cette directive est contesté par plusieurs associations, dont la Quadrature du net, auprès de laquelle Arthur Messaud, invité sur franceinfo, est juriste.
Si la directive européenne réformant le droit d'auteur "passe, la culture européenne va se lier à l'économie de la surveillance de masse", met en garde sur franceinfo mercredi 12 septembre Arthur Messaud, juriste au sein de l'association de défense des internautes La Quadrature du net.
Les eurodéputés votent de nouveau mercredi sur cette réforme très sensible, dont le principe est d'inciter les plateformes, comme YouTube (détenu par Google), à mieux rétribuer les créateurs de contenus. Le problème, selon Arthur Messaud, c'est que cette rémunération proviendrait des revenus de "la publicité ciblée", qui consiste "à surveiller tout le monde, tout le temps, partout". Selon lui, "avec le vote qui se prépare, l'industrie culturelle française est prête à s'allier à un modèle économique fondamentalement illicite".
francienfo : Pourquoi, selon vous, cette directive européenne ne doit pas passer ?
Arthur Messaud : Depuis 20 ans, l'industrie culturelle française a été incapable de s'adapter à internet. Aujourd'hui, elle est folle de rage devant le succès de Netflix ou d'Amazon, et du coup, elle exige les miettes du gâteau. Elle exige de pouvoir être financée par les géants du web et que les revenus de la publicité ciblée associée à leurs œuvres soient en partie partagés avec elle. La publicité ciblée, il faut rappeler ce que c'est : cela consiste à surveiller tout le monde, tout le temps, partout, et souvent sans notre consentement libre. Mais ça, depuis le 25 mai dernier et l'entrée en vigueur du RGPD [règlement européen sur la protection des données personnelles] c'est clairement illégal. Et pourtant, on voit qu'aujourd'hui, avec le vote qui se prépare, l'industrie culturelle française est prête à s'allier à un modèle économique fondamentalement illicite. Si la directive passe aujourd'hui, la culture européenne va se lier à l'économie de la surveillance de masse.
Sauf que les artistes s'insurgent et affirment qu'on vole leur travail. C'est ce que dit par exemple la chanteuse Emily Loizeau. Elle se trompe de combat ?
Elle se trompe clairement de combat. On a proposé des adaptations du financement de la culture depuis au moins 10 ans et on se moque de nous en disant que ce n'est pas réaliste. L'industrie n'a rien fait. Dire qu'aujourd'hui on vole les artistes, c'est faux : Emily Loizeau a des vidéos sur YouTube, et YouTube partage avec la société qui la représente les bénéfices de la publicité ciblée. La question est la suivante : est-ce qu'on veut financer les auteurs en violant les libertés fondamentales de toute la population via la surveillance de masse économique ?
Mais comment adapte-t-on les droits d'auteur à l'économie numérique ? Quelles sont les solutions ?
Des solutions, on en a proposées, comme les licences globales, c'est-à-dire en faisant en sorte que la collectivité finance les artistes. Et aujourd'hui, on arrive à des directives comme celle-ci qui n'apporte pas grand-chose, parce que YouTube, entre autres, pratique déjà des partages avec les artistes. On tourne complètement en rond. Cette directive va juste rendre un peu plus légitime un modèle illicite qui est celui de la publicité ciblée, mais elle ne va rien changer pour les artistes.
Google et Facebook seraient par ailleurs soumis à des droits d'auteur à chaque fois qu'un internaute partage un lien vers un article de presse pour que les plateformes n'utilisent pas le travail des journalistes gratuitement. Sauver la presse, ce n'est pas un argument qui tient pour vous ?
Il faut sauver la presse en rejetant cette directive. De la même façon que l'industrie culturelle, une grande partie de la presse a été incapable de trouver des nouveaux modes de financement vis-à-vis d'internet. Du coup, elle se dit qu'elle va se faire financer par les géants, par ceux qui ont réussi. Mais je me pose une question : quand les revenus du Monde ou du Figaro dépendront de Google et de Facebook, pendant combien de temps encore pourra-t-on espérer avoir dans ces journaux des critiques pertinentes des géants du web ? Aujourd'hui, à défaut d'avoir réussi à s'adapter à internet, la presse est prête à renoncer à son indépendance. Et ce qui est le plus dramatique, c'est que le gouvernement français encourage cette capitulation générale face aux géants du web.
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