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Pourquoi les unités dédiées aux prisonniers "radicalisés" sont une fausse bonne idée ?

Depuis le début de l'année, cinq "unités dédiées" aux détenus identifiés comme islamistes radicaux ont été créées. Mais certains observateurs ont montré les limites de ce dispositif.

Article rédigé par Kocila Makdeche
France Télévisions
Publié
Temps de lecture : 4 min
Un surveillant pénitentiaire dans une allée de la maison d'arrêt de Fleury-Mérogis (Essonne), le 29 octobre 2015. (ERIC FEFERBERG / AFP)

Comment traiter les détenus "radicalisés" ? La question est devenue un enjeu de sécurité nationale après les attentats qui ont frappé la France en 2015, dont certains auteurs ont croisé la route de détenus radicalisés en prison. L'accroissement des retours, sur le territoire français, de personnes ayant séjourné en Syrie implique une gestion spécifique. D'autant que la plupart passe automatiquement par la case prison, comme le rappelle Mediapart.

Pour rassembler les détenus islamistes radicaux, cinq "unités dédiées (UD)" ont été créées dans les prisons de Fresnes (Val-de-Marne), Fleury-Mérogis (Essonne), Osny (Val-d’Oise) et Lille-Annœullin (Nord), au premier semestre 2016. L'idée : éviter que d'autres détenus se radicalisent au contact de ces prisonniers. Après avoir visité ces unités, la contrôleure générale des lieux de privation de liberté (CGLPL) a publié, mercredi 6 juillet, un rapport critique sur le regroupement de ces prisonniers "radicalisés". Francetv info vous explique pourquoi ces unités dédiées sont, en réalité, une fausse bonne idée. 

Parce que des contacts et des réseaux peuvent se créer

Plusieurs terroristes ont tissé des contacts lorsqu'ils étaient derrière les barreaux. C'est, par exemple, à Fleury-Mérogis que se rencontrent Amedy Coulibaly, Chérif Kouachi et Djamel Beghal, un islamiste algérien qui sera par la suite décrit comme le "mentor" des deux terroristes. Ces unités dédiées ont justement été créées pour limiter ce prosélytisme en séparant les profils les plus radicaux des détenus influençables ou des simples délinquants.

Mais certains acteurs de l'appareil judiciaire ou pénitentiaire estime que cela crée justement un effet pervers. "A mon avis, regrouper ces personnes permet de renforcer les réseaux de solidarité qui existent pour certains depuis des années, explique un magistrat, cité dans le rapport du CGLPL. Pour les autres, les réunir au même endroit leur permet physiquement de faire connaissance. Il ne faut pas oublier que ces personnes vont sortir un jour de prison : dehors, elles continueront à faire vivre cette association."

Si les détenus de ces unités disposent de cellules individuelles, comme c'est le cas à Lille-Annoeullin, les détenus peuvent tisser des liens lors des deux promenades quotidiennes, d'une heure chacune. Les détenus peuvent échanger par groupes de sept maximum, uniquement entre personnes affectées à ces unités.

Parce que les plus dangereux peuvent manipuler les autres

Les 68 détenus qui ont été placés dans ces unités ont des profils très différents et les raisons de leur placement ne sont parfois pas très claires, explique le rapport du CGLPL. Fin 2015, les juges d'instruction de la section antiterroriste ont reçu des listes de détenus que l'administration pénitentiaire voulait intégrer à ces unités. Charge à eux de statuer sur leur transfert. "Nous ne comprenions pas les critères qui avaient présidé à la constitution de cette liste. Il nous était donc difficile d’expliquer à certaines des personnes détenues dont nous instruisions le dossier les raisons de ce changement", raconte un des magistrats cités.

Le document dégage plusieurs profils : "le salafiste dit 'piétiste', qui n'est pas adepte de la violence", "le 'vulnérable', à la recherche d'une protection, notamment ceux impliqués dans des affaires de mœurs", "le 'radical', fragile psychologiquement et convaincu", "le 'radical rationnel', porteur d'une idéologie politico-religieuse assumée", "le 'manipulateur', usant de la taqiya, la dissimulation" et "le 'jihadiste', de retour de zone de conflit, convaincu ou déçu".

Certains magistrats craignent que ce brassage de détenus laisse "toute latitude aux plus forts pour faire pression sur les plus vulnérables". Marie Crétenot, juriste à l'Observatoire international des prisons, s'inquiète d'autant plus que cet étiquetage de "détenu radicalisé" risque de confirmer les plus vulnérables dans une idéologie extrême. "C'est ce qu'on appelle la prophétie auto-réalisatrice, explique-t-elle à francetv info. Au quotidien, les soupçons de radicalisation peuvent finir par pousser les détenus vers cette voie. Rappelons que beaucoup d'entre eux sont prévenus et pas encore condamnés. Ils savent que lors de leur procès, le fait qu'ils soient incarcérés dans ces unités peut compter." 

Enfin, l’accès au travail et à la formation professionnelle est quasiment impossible dans ces unités. "Plusieurs personnes rencontrées ont indiqué aux contrôleurs avoir perdu le bénéfice de leur emploi en étant placées à l’UD", explique le rapport. "Sans travail, ils n'ont pas de revenus, et en détention ne pas avoir d'argent vous expose encore plus à la domination de certains", ajoute Marie Crétenot.

Parce que l'idée de garder des détenus isolés est de toute façon un mythe

Enfin, la volonté de l'administration pénitentiaire de faire des "unités dédiées" étanches du reste de la prison demeure un "vœu pieux", selon le CGLPL. Des fouilles menées dans ces unités prouvent qu'il y a bien des contacts entre les détenus : des documents ont été "retrouvés dans la cellule d’une personne détenue dans une autre division", "des téléphones portables ont été saisis en cellule" et "des courriers indiquant la bonne façon de prier ont été interceptés", indique le document.

Impossible d'empêcher tout lien entre détenus de différents quartiers, selon Marie Crétenot. "Les prisons ne sont pas étanches, que ce soit par les fenêtres ou par d'autres biais, les détenus peuvent communiquer. C'est inévitable."

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