Document franceinfo "Ces enfants ont assez souffert" : pour la première fois, des grands-parents d'enfants français de jihadistes ont pu leur rendre visite dans un camp en Syrie

Ces représentants du Collectif des Familles Unies, l'association des proches de Français partis rejoindre Daech, ont pu rendre visite fin février à leurs petits-enfants détenus au nord-est de la Syrie par les forces kurdes. Ils réclament leur rapatriement en France.
Article rédigé par Noé Pignède
Radio France
Publié Mis à jour
Temps de lecture : 4 min
Dans le camp Roj, au nord-est de la Syrie, les proches de personnes soupçonnées d'appartenir au groupe État islamique sont détenus [photo d'illustration, le 8 octobre 2023]. (DELIL SOULEIMAN / AFP)

"J'ai vu dans quel enfer ils vivent." Après neuf ans d'attente, Suzanne, une grand-mère française a pu voir ses petits-enfants fin février, au milieu du désert syrien. Ils font partie de la cinquantaine de femmes et de la centaine d’enfants français toujours détenus au nord-est de la Syrie par les forces kurdes. Ces familles avaient rejoint Daech et sont enfermées dans un camp depuis plus de cinq ans. Plusieurs opérations de rapatriement ont eu lieu mais ces femmes djihadistes ont refusé de rentrer en France. Pour la première fois, des grands-parents, représentants du collectif des familles unies - l’association des proches de français partis rejoindre Daech - et deux avocats ont pu leur rendre visite.

"Je les sentais vraiment très heureux de pouvoir nous rencontrer, témoigne en exclusivité pour franceinfo Suzanne, à son retour du camp d'Al-Roj. Le petit, qui est né dans le camp, s'est tout de suite assis sur mes genoux et m'a couverte de câlins. Nous avons parlé, parlé, on avait tant de choses à se dire depuis toutes ces années."

"Ces enfants ont assez souffert, il n'y a qu'une solution : il faut les ramener vite. Ils méritent de vivre une vie d'enfant."

Suzanne

à franceinfo

En 2015, le fils et la belle-fille de Suzanne ont quitté la France pour rejoindre Daech. À l’époque, ils ont deux enfants, deux autres sont nés sur place. Ils ont aujourd’hui entre 5 et 13 ans. Depuis la défaite territoriale du groupe terroriste en 2019, la fratrie vit sous une tente. Sa courte visite a permis à cette grand-mère de réaliser dans quel dénuement vivent ses petits-enfants : "Dans cette prison à ciel ouvert, il n'y a pas d'électricité, pas d'école, pas de jeux, pas de soins", décrit-elle.

Cette rencontre, surveillée de près par les gardes kurdes, a duré quelques heures. Avant de repartir, Suzanne a été autorisée à distribuer quelques manuels scolaires. "Ce fut déchirant de les quitter, je me souviendrais toujours, quand on était dans la voiture, on leur disait au revoir et ils étaient tous à nous regarder partir et on les a laissés là, derrière ce barbelé, poursuit-elle. Ces enfants ont assez souffert, il n'y a qu'une solution : il faut les ramener vite. ils méritent de vivre une vie d'enfant."

Une détention "illégale"

D'après le ministère des Affaires étrangères, 169 enfants ont été ramenés en France depuis 2019. Il en reste aujourd’hui une centaine en Syrie. Il s'agit de mineurs prisonniers du choix de leurs mères qui refusent d’être rapatriées pour échapper à de lourdes peines de prison en France. "L'ensemble de ces femmes font l'objet d'un mandat d'arrêt international et, pour la plupart, de charges pour association de malfaiteurs à caractère terroriste, explique le coprésident d'Avocats sans frontières, Matthieu Bagard, qui était aux côtés de Suzanne. Dans les camps du nord-est syrien, elles sont détenues de manière illégale. Ainsi, la seule solution pour qu'elles ne soient pas dans une situation de déni de justice mais également pour les victimes des actes de terrorisme commis en zone irako-syrienne ou en France, c'est qu'elles soient rapatriées et judiciarisées en France." Juridiquement, Paris répond ne pas pouvoir rapatrier cette cinquantaine de femmes contre leur gré. Le nord-est syrien, contrôlé par les Kurdes, n'est pas un État reconnu. Les extraditions ne sont donc pas possibles.

Mais, sur place, il y a aussi quatre Français, des jeunes hommes qui, eux, demandent à rentrer en France. Tous ont été emmenés enfants sur le territoire syrien il y a une dizaine d’années. Depuis, ils sont devenus majeurs et sont détenus dans un centre-prison. "Ces adolescents ont été emmenés par leurs parents à l'âge de 10-11 ans, rappelle l'avocate Marie Dosé, qui a pu les rencontrer. Ils n'ont absolument rien choisi et sont des victimes, des victimes de guerre. Que paient-ils exactement ? La faute de leurs parents ? L'un d'entre eux, emmené à l'âge de 11 ans par ses parents, sait que toute sa famille a été rapatriée. Sa mère et ses frères et sœurs, sans lui. Il les sait en France aujourd'hui et lui se trouve seul, polytraumatisé, malade. Je ne comprends pas. Nous savons que la France est parfaitement informée de leur état physique et psychologique. Qu'attend la France pour les rapatrier ?"

Au total, plus de 200 Français, hommes, femmes et leurs enfants, sont toujours détenus sans jugement dans le nord-est de la Syrie. En juillet dernier, les autorités françaises ont prévenu que les opérations de rapatriements étaient terminées.

Pour la 1ère fois, des grands-parents d'enfants français de jihadistes ont pu leur rendre visite dans un camp en Syrie. Le reportage de Noé Pignède

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