Fiscalité, intégration : comment les rapports entre Matignon et l'Elysée se sont brusquement tendus
François Hollande a recadré son Premier ministre a plusieurs reprises sur des sujets sensibles ce week-end. Décryptage d'une tension naissante au sommet de l'exécutif.
Qu'on se le dise, Jean-Marc Ayrault refuse de se laisser sacrifier. Le Premier ministre, moqué pour son manque de charisme durant les premiers mois du quinquennat, a décidé de reprendre la main. Quitte à irriter l'Elysée, qui ne cesse de le recadrer. Sur la "remise à plat fiscale" d'abord : la réforme voulue par Ayrault ne touchera pas aux mesures prises depuis 2012. Puis à propos du rapport controversé sur l'intégration remis à Matignon, qui n'est "pas la position du gouvernement" d'après Hollande. Décryptage.
"Une pointe d'énervement" dans le ton d'Ayrault
La première offensive de Matignon remonte à l'annonce de la "pause fiscale", mi-septembre. Alors que François Hollande promet un gel des impôts dès 2014, Jean-Marc Ayrault accorde une interview à Metronews. Il y affirme qu'elle sera "effective en 2015". Et ses équipes assurent le service après-vente : l'interview a été relue, il ne s'est pas trompé.
"Là il y a eu un changement d'attitude de Jean-Marc Ayrault", confirme Nathalie Saint-Cricq, chef du service politique de France 2, qui décèle un changement de ton, "une pointe d'agacement voire d'énervement" dans la façon dont ce dernier désigne désormais François Hollande.
Lassé des attaques dont il est la cible, le Premier ministre lâche aussi les ministres qu'il juge trop critiques à son égard ou trop encombrants. C'est le cas de Manuel Valls, qu'il laisse seul lors de la passe d'armes qui l'oppose à Christiane Taubira quant à la réforme pénale.
Le tournant de la "remise à plat fiscale"
Dernière cible en date : Pierre Moscovici, informé à la dernière minute de l'annonce d'une "remise à plat de la fiscalité". Et Matignon d'enfoncer le clou en laissant fuiter les noms concernés par un remaniement dans la haute administration de Bercy, toujours sans l'accord du principal ministre concerné.
Pierre Moscovici n'est pas le seul à ne pas avoir apprécié l'offensive. Selon l’éditorialiste politique d’Europe 1, Caroline Roux, François Hollande aurait lui-même découvert la décision de son Premier ministre dans le journal, dans l'avion qui l'amenait à Rome. De même en ce qui concerne le rapport sur l'intégration. Jean-Marc Ayrault ne se prive pas pour réunir un séminaire interministériel sur cette question sensible le 9 janvier, révèle BFM TV, cinq jours avant le périlleux rendez-vous bi-annuel de François Hollande avec la presse.
"Quand on est premier, il ne faut pas laisser le second le prétendre ; il pourrait y croire et le devenir", a lâché François Hollande, cité par Le Figaro, devant les milieux d'affaires brésiliens à Sao Paulo. Prononcée au sujet de la politique économique européenne, elle s'applique aussi à sa politique intérieure.
La contre-attaque de François Hollande
S'il a laissé à Jean-Marc Ayrault l'initiative de la remise à plat de la fiscalité, François Hollande n'apprécie pas son offensive médiatique. Du coup, ce dernier multiplie les recadrages. "Tout cela est politiquement incompréhensible", martèle son entourage au sujet du rapport sur l'intégration.
"Ce n'est pas du tout la position du gouvernement", a renchéri le chef de l'Etat lui-même en tournée en Amérique du Sud. Il s'est aussi appliqué à délimiter, et rétrécir considérablement, le champ de la réforme de la fiscalité. "Tout ce qu'on a fait depuis 2012 est sanctuarisé", a notamment asséné François Hollande.
Crédit d'impôt compétitivité emploi (CICE) et Crédit d'impôt recherche (CIR) mais aussi toutes les modifications apportées depuis son élection aux impôts sur le revenu, sur la fortune, sur les revenus du capital et plus-values immobilières sont ainsi sorties du champ de la marge de manœuvre du Premier ministre, énumère Le Parisien. Qui se retrouve avec peau de chagrin.
Le début du divorce ?
Les tensions dans le couple exécutif sont courantes depuis les débuts de la Ve République. Les nombreuses passes d'armes Fillon-Sarkozy, Chirac-Raffarin, Chirac-Villepin, mais aussi Giscard d'Estaing-Chirac ou encore Mitterrand-Fabius, racontées par le JDD, le rappellent.
Ces tensions sont banales, même, au bout d'un an, un an et demi, lorsque le Premier ministre est épuisé et voit poindre les premières rumeurs de remaniement. "Cette tension n'est pas inédite mais elle surprend car elle intervient dans un couple exécutif qui jusque-là s'entendait bien", souligne Raphaëlle Bacqué, auteure de L'enfer de Matignon (2008, Albin Michel).
Pourquoi un tel sursaut ? "Jean-Marc Ayrault abat ses cartes pour tomber le plus tard possible", décryptent les proches du locataire de Matignon. Poussé par son entourage, et notamment par sa femme, très remontée selon un proche, il souhaite, a minima, rester comme un Premier ministre qui aura eu le courage de réformer, face à un président à qui l'on reproche un manque d'audace.
Objectif : se démarquer d'un chef de l'Etat qui est presque son double : "Tous les deux n'avaient jamais été ministres, tous les deux sont des élus de province...", rappelle Raphaëlle Bacqué qui voit des "copies conformes" se partager l'exécutif. Et tenter de remonter, chacun de leur côté, la dure pente des sondages.
Commentaires
Connectez-vous à votre compte franceinfo pour participer à la conversation.