: Témoignages "Une balle est passée juste à côté de sa tête" : des résidents de zones rurales racontent comment la chasse plombe leurs sorties
Le récent accident de chasse qui a coûté la vie à une randonneuse remet sur le devant de la scène la difficile cohabitation entre riverains et chasseurs.
"J'étais carrément dans leur champ de tir." Jean, 37 ans, n'a pas oublié ce samedi du printemps 2020 où il est parti courir avec sa chienne dans la campagne de Saône-et-Loire. Il a d'abord vu un premier homme posté dans la haie, sans réaliser que c'était un chasseur. Puis il en a dépassé trois autres qui ne l'ont pas prévenu qu'ils traquaient un sanglier. "C'est quand je les ai dépassés et que le sanglier a traversé devant moi qu'ils ont commencé à tirer, j'étais en plein milieu, entre eux et la bête", raconte-t-il avec émotion. "Abasourdi", Jean a regardé les chasseurs. "Je suis resté pétrifié, sans rien dire et j'ai repris ma course", se remémore-t-il. "Aucun ne s'est excusé." En rentrant, le trentenaire en a parlé à son père, lui-même fils de chasseur. Il lui a répondu "qu'ils se défendaient tous entre eux et qu'il n'y avait rien à faire".
Sur les réseaux sociaux, les récits de mauvaises rencontres avec des chasseurs ont afflué après la mort d'une randonneuse de 25 ans, victime d'une balle perdue, dans le Cantal, samedi. Cette affaire, dans laquelle une jeune chasseuse de 17 ans a été mise en examen, mardi 22 février, pour "homicide involontaire", a relancé le débat, en pleine campagne électorale, sur cette activité pratiquée par plus d'un million de personnes, selon la Fédération nationale des chasseurs.
Selon un sondage YouGov pour l'association Animal Cross, "41% des Français habitant en zone rurale" déclarent avoir été, eux ou leurs proches, victimes d'une situation d'insécurité liée à la chasse. Parmi les situations les plus courantes, le danger lors d'une promenade arrive en première position (49%), suivi par des situations dangereuses sur la route (36%) et les tirs en direction d'une habitation ou d'un bâtiment (25%).
"L'angoisse qu'un gamin prenne une balle perdue"
C'est ce qui est arrivé à la mère de Camille*, 22 ans, il y a deux ans. Avant de rendre les clés de leur location de vacances dans le Nord, sa mère décide de faire un tour de tyrolienne dans le jardin. "Au même instant, une balle est passée juste à côté de sa tête dans les arbres", décrit Camille. Les chasseurs étaient postés dans un champ attenant. Avec le compagnon de sa mère, Camille, "en colère", les a interpellés vivement. Ces derniers ont alors joué la carte de "l'intimidation".
"Les chasseurs nous ont répondu qu'ils étaient très amis avec le maire et la police et qu'ils ne bougeraient pas."
Camille, 22 ansà franceinfo
Aujourd'hui, Camille n'évoque plus le sujet avec sa mère. Mais les rares fois où elle va en forêt, elle y pense et ne s'enfonce pas trop dans les bois.
En vingt ans, le nombre d'accidents de chasse a été divisé par quatre, mais sept accidents mortels ont été répertoriés entre 2020 et 2021. Des événements généralement dus au non-respect des règles de sécurité. Parmi les erreurs les plus fréquentes, figure l'angle de tir, les mauvaises manipulations ou encore les tirs sans considération de l'environnement. Quant aux dommages matériels ou incidents touchant des animaux, ils sont en hausse et plus de la moitié concernent des tirs vers des habitations.
Aujourd'hui, Jean se sent pris "en otage par une minorité [les chasseurs] qui met en suspens les promenades des 66 millions de Français". Il a décidé, à contre-cœur, de ne plus aller courir en forêt en hiver et il évite, avec son véhicule, d'emprunter des routes traversant les bois en pleine période de chasse. La peur ne quitte plus non plus Bertrand*, la trentaine. Ce directeur de séjours de vacances pour enfants travaille dans un parc arboré de sept hectares dans la campagne normande.
"Les coups de feu aux alentours sont monnaie courante, parfois les battues sont visibles depuis le domaine."
Bertrand, directeur de centre de vacancesà franceinfo
Quand les coups de feu se multiplient, l'équipe demande aux enfants de rentrer dans les bâtiments avec "l'angoisse que l'un des gamins prenne une balle perdue".
"Encore beaucoup à faire dans la communication"
Certains propriétaires tentent de dissuader les chasseurs avec des panneaux "chasse interdite" et "propriété privée". Olivier, 58 ans, en a posé plusieurs en bordure de son terrain dès son arrivée dans le Morbihan, il y a cinq ans. "Mais ce n'est pas efficace, car j'ai retrouvé des chasseurs sur mon terrain", constate-t-il. "Je suis allé me renseigner auprès du maire pour déclarer mon terrain interdit à la chasse, mais la démarche est assez compliquée et tout le monde se renvoie la balle". Olivier déplore de n'être jamais prévenu quand une battue "où ça corne dans tous les sens, ça crie et ça tire" a lieu près de chez lui.
Interrogé après l'accident mortel de samedi, le président de la Fédération nationale des chasseurs, Willy Schraen, a reconnu qu'il restait "sûrement encore beaucoup à faire dans la communication" auprès des promeneurs. Bien que la chasse soit "extrêmement" réglementée avec notamment l'obligation de poser, à l'entrée des forêts, des panneaux où les lieux et jours de chasse sont inscrits, il constate qu'il y a encore "des problèmes" pour les propriétés privées traversées par des chemins publics.
"On avait prévu à la fin de l'année 2022 d'organiser un grand séminaire sur la sécurité et sur l'utilisation de la nature avec les autres usagers. On va précipiter un petit peu les choses et on fera ça au mois de mai."
Willy Schraen, président de la Fédération nationale des chasseursà franceinfo
Côté gouvernement, la secrétaire d'Etat chargée de la biodiversité, Bérangère Abba, a promis des "décisions", pour que le drame de samedi "ne se produise plus jamais". Parmi les pistes de réflexions : un renforcement de la formation des chasseurs et de l'encadrement de la chasse ainsi qu'un effort sur la signalisation des battues. Interrogée sur la possibilité de décréter des jours sans chasse, la secrétaire d'Etat renvoie la balle aux départements, dont dépendent les 94 fédérations des chasseurs, estimant que la diversité des pratiques exigeait que cette réflexion soit menée localement.
*Les prénoms ont été modifiés à la demande des intéressés.
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