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Assassinat de Samuel Paty : on vous décrypte les annonces de Gérald Darmanin

Le ministre de l'Intérieur a évoqué dans les médias des expulsions d'islamistes radicalisés, la dissolution d'association et la fermeture de lieux de culte pour montrer le volontarisme du gouvernement. Mais quelles sont les limites de ces annonces ? 

Article rédigé par franceinfo
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Gerald Darmanin en déplacement dans l'Oise, le 7 septembre 2020, s'exprime au sujet de l'affaire des chevaux mutilés. (NICOLAS TAVERNIER / REA)

Gérald Darmanin n'a pas de temps à perdre. Après l'assassinat de Samuel Paty, professeur d'histoire-géographie tué pour avoir enseigné la liberté d'expression, le ministre de l'Intérieur a souhaité "faire passer un message" : "pas une minute de répit pour les ennemis de la République", selon ses déclarations au micro d'Europe 1, lundi 19 octobre. "Il faut que la sidération change de camp", a-t-il ajouté sur TF1.

Arrestations, fermetures de lieux, interdictions d'associations... Le ministre de l'Intérieur a donc égrainé une série de mesures au fil de la journée de lundi pour afficher le volontarisme politique du gouvernement. Il a parfois semblé parler un peu vite, donnant une impression de précipitation. Derrière les effets d'annonce, franceinfo décrypte les principales mesures voulues par Gérald Darmanin.

L'expulsion de 231 personnes radicalisées

Ce que dit Gérald Darmanin. Le ministre de l'Intérieur a annoncé qu'il souhaitait expulser "231 personnes en situation irrégulière et suivies pour soupçon de radicalisation". Sur les 8 000 fiches actives pour islamisme radical, "il y a 600 étrangers en situation irrégulière", a détaillé le ministre sur Europe 1, avant de préciser qu'ils n'étaient pas tous expulsables, en raison de leur pays d'origine par exemple.  

L'annonce n'est pas nouvelle, puisque Le Figaro rapportait déjà, mercredi dernier, cette volonté du ministre d'expulser 231 étrangers en situation irrégulière suivis pour radicalisation. Mais pour le locataire de la place Beauvau, il s'agit de montrer qu'il est en action après l'attentat de vendredi et surtout de poursuivre un travail engagé depuis le début du quinquennat. "Il y a plus de 411 étrangers en situation irrégulière, qui étaient fichés islamistes, qui ont été expulsés par mes prédécesseurs depuis trois ans", a-t-il ainsi rappelé sur TF1.

Ce qui interroge. Contacté par franceinfo, Serge Slama, professeur de droit public à l'université Grenoble-Alpes, doute du fait que les 231 personnes visées par Gérald Darmanin soient toutes en situation irrégulière. "En règle générale, si ces personnes sont réellement sans-papiers mais n'ont pas encore été expulsées, c'est que soit elles n'avaient pas de laissez-passer consulaire [autrement dit l'accord du pays de retour], soit un juge a pu s'opposer à les renvoyer vers un pays où ils pouvaient subir un traitement contraire à l'article 3 de la Convention européenne des droits de l'homme", estime-t-il. Selon Le Monde, le ministère de l'Intérieur peinerait à obtenir ces "laissez-passer consulaires" pour ces personnes fichées, essentiellement originaires du Maghreb ou de Russie.

Serge Slama s'interroge aussi sur la capacité de l'Etat à pouvoir procéder à toutes ces expulsions rapidement. "Il faut justifier d'une menace vraiment grave, explique-t-il. La loi parle de 'comportement de nature à porter atteinte aux intérêts fondamentaux de l'Etat'." Il faut également que l'Etat s'appuie sur des éléments solides, et non sur des soupçons, complète Marie-Laure Basilien-Gainche, professeure de droit public à l'université Lyon 3.

"On ne peut pas les expulser comme ça. Il faut que les personnes aient commis l'acte qu'on les soupçonne d'avoir voulu commettre, sinon c'est 'Minority Report' !"

Marie-Laure Basilien-Gainche

à franceinfo

Dans Libération, Stéphanie Hennette-Vauchez, directrice du Centre de recherches et d'études sur les droits fondamentaux, s'interroge aussi sur "l'ampleur de la réaction annoncée" : "Si elle doit être ferme, elle doit aussi être individualisée, au cas par cas. Annoncer des dissolutions d'associations ou des expulsions par dizaines ou centaines interroge : les dispositifs qui pourraient le permettre existaient déjà hier et avant-hier, mais ils exigent que des conditions particulières soient remplies."

La fermeture de la mosquée de Pantin

Ce que dit Gérald Darmanin. "J'ai demandé au préfet de Seine-Saint-Denis de faire fermer la mosquée de Pantin", a déclaré le ministre de l'Intérieur sur TF1. Il a précisé que l'établissement serait fermé six mois. Gérald Darmanin reproche à cette grande mosquée d'Ile-de-France d'avoir notamment partagé sur sa page Facebook une vidéo dénonçant le cours sur les caricatures de Mahomet de Samuel Paty. "Son dirigeant a relayé le message qui consistait à dire que ce professeur devait être intimidé, en relayant d'ailleurs l'adresse du collège", a ajouté Gérald Darmanin.

Ce qui interroge. Pour les responsables de la mosquée de Pantin, la décision du ministre apparaît disproportionnée. "C'est peut-être un geste d'apaisement par rapport à la tension générale", a réagi son responsable M'hammed Henniche auprès de l'AFP. "Il y a une certaine tension donc l'exécutif est dans une position où il faut qu'il fasse des gestes forts, c'est un geste pour absorber l'émotion, pour réagir." Selon lui, "la fachosphère a pris une dimension telle que l'exécutif est obligé de suivre".

"On est entrés dans un engrenage, où on n'est plus dans la modération. On est parti dans quelque chose qui dépasse tout le monde."

M'hammed Henniche

à l'AFP

Dans Le Parisien, le responsable de la mosquée de Pantin avait dit "regretter" la publication, sur le compte Facebook de la mosquée, de la vidéo tournée par le père d'élève du collège de Conflans-Sainte-Honorine. "Nous ne l'avions d'ailleurs pas publiée dans une démarche de critique des caricatures ou de la liberté d'expression, mais parce que ce père d'élève était ému qu'on ait pu demander à des élèves musulmans de se signaler [selon les témoignages, Samuel Paty a proposé aux élèves musulmans de ne pas regarder les caricatures]", expliquait-il. Il rappelait aussi que sa mosquée avait lancé un appel dimanche à participer au rassemblement d'hommage à l'enseignant assassiné. 

La dissolution de plusieurs associations 

Ce que dit Gérald Darmanin. Le ministre de l'Intérieur a annoncé sur Twitter que plusieurs associations seraient dissoutes, citant nommément le Collectif contre l'islamophobie en France (CCIF) et l'association humanitaire BarakaCity. "Il faut arrêter d'être naïfs et voir la vérité en face : il n'y a aucun accommodement possible avec l'islamisme radical. Tout compromis est une compromission", a justifié l'ancien soutien de Nicolas Sarkozy. Selon les informations de franceinfo, la décision ne sera pas prise lors du Conseil des ministres de demain, mais "plutôt la semaine prochaine".

Ce qui interroge. Les deux associations s'étonnent et nient fermement tout penchant extrémiste. "Le CCIF n'a strictement rien fait sur ce dossier et n'a certainement pas communiqué, ni relayé une quelconque communication qui visait à lyncher un individu parce qu'il était professeur et qu'il avait montré des caricatures dans sa classe", a affirmé sur franceinfo son directeur, Jaawad Bechare, qui considère sa structure comme une association de défense des droits de l'homme. Il rappelle qu'il a d'ailleurs condamné l'attentat de Conflans-Sainte-Honorine comme tous les attentats.

"La folie s'empare du ministre de l'Intérieur", a répliqué pour sa part BarakaCity sur Facebook. L'ONG islamique a déjà annoncé qu'elle contesterait en justice une telle mesure. Ses avocats considèrent que la décision prise par le ministre de l'Intérieur "ne poursuit qu'une finalité politique et d'affichage" et constitue une "décision arbitraire dirigée contre une association humanitaire importante qui remplit ses missions depuis dix ans au profit de deux millions de personnes à travers le monde".

Pour arriver à ses fins, le gouvernement pourra s'appuyer sur une procédure contenue dans le Code de la sécurité intérieure contre les groupes de combat et les milices privées. Elle permet au gouvernement, par décret en Conseil des ministres, de prononcer la dissolution administrative d'associations coupables d'appel à la discrimination, à la haine et à la violence. Or, "le gouvernement doit apporter des preuves du lien entre l'association et les appels à la discrimination, à la haine ou à la violence", juge Stéphanie Hennette-Vauchez dans Libération.

Des visites quotidiennes à des structures associatives

Ce que dit Gérald Darmanin. "Une cinquantaine de structures associatives verront toute la semaine un certain nombre de visites des services de l'Etat", a encore prévenu Gérald Darmanin sur Europe 1. Selon son entourage, les autorités prévoient ainsi de mener "une vingtaine" de contrôles quotidiens visant des structures ou personnes soupçonnées de liens avec la mouvance islamiste. Une "quarantaine" de contrôles ont déjà été effectués lundi.

Il s'agit de procédures administratives et non judiciaires, les "visites domiciliaires", un dispositif créé par la loi sur la sécurité intérieure et la lutte contre le terrorisme de Gérard Collomb, qui avait pris le relais de l'état d'urgence en 2017. La réaction gouvernementale rappelle à ce titre celle de l'exécutif après les attentats du 13 novembre 2015. C'est même devenu une habitude des autorités après chaque attentat. "Ça amène un peu de matière pour les services de renseignement", explique au Monde le ministère de l'Intérieur.

Ce qui interroge. L'efficacité de ces "visites domiciliaires" compte moins que l'affichage politique qui donne l'impression d'un coup porté aux milieux jihadistes. Ces interventions n'ont d'ailleurs pas de lien avec l'enquête en cours sur l'assassinat de Samuel Paty, admet la Place Beauvau, interrogée par Le Monde. Le ministère de l'Intérieur va devoir trouver un équilibre pour ne pas tomber dans l'excès. "Que le ministère de l'Intérieur réagisse de manière aussi prompte est tout à fait légitime, mais les autorités vont devoir moduler leur action au risque de basculer dans l'acharnement pur et simple", observe dans Libération un haut fonctionnaire.

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