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Procès des attentats du 13-Novembre : après cinq semaines de témoignages, la "famille cabossée" des victimes dessine sa reconstruction

Article rédigé par franceinfo - Juliette Campion, Catherine Fournier et Alice Galopin
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Publié Mis à jour
Temps de lecture : 8 min
Des parties civiles témoignent au procès des attentats du 13 novembre 2015. (JESSICA KOMGUEN / FRANCEINFO)

Plus de 350 rescapés des attaques et proches endeuillés ont témoigné devant la cour d'assises spéciale de Paris. Au-delà de leurs douloureux récits, des messages d'espoir et de résilience ont aussi résonné dans la salle d'audience.

"Je choisirai toujours la lumière et l'espoir, même si j'ai l'impression d'avoir laissé une partie de moi dans cette salle." Solidement appuyée sur sa béquille, face à la cour d'assises spéciale de Paris, Amandine, 38 ans, a livré un témoignage empli de force et de courage. Touchée le 13 novembre 2015 par les balles des kalachnikovs, cette survivante du Bataclan a senti son tibia exploser, tout comme son bras droit. S'ensuivront des dizaines d'opérations et de greffes pour reconstruire son corps.

Ces cinq dernières semaines, au procès des attentats du 13-Novembre, plus de 350 victimes se sont exprimées à la barre, sur quelque 2 400 parties civiles constituées lors de ce procès hors norme, à raison d'une quinzaine d'auditions chaque jour. Parmi les larmes, l'effroi encore vif des rescapés et la douleur infinie des proches endeuillés, des messages d'espoir et de résilience ont résonné dans la salle d'audience.

"Il fallait que je me mette debout, que je marche"

Pierre-Sylvain, 53 ans, commence ainsi à voir "une petite lumière au bout du tunnel". Lui et sa compagne Hélène sont des miraculés du Bataclan : ils ont pris chacun une balle dans le visage, tirée à bout portant par les terroristes. La moitié du visage de Pierre-Sylvain est partie en lambeaux. Hélène "n'avait plus de nez, son œil droit avait explosé". Lui a subi deux opérations, elle quatorze, dont une greffe grâce à un os reconstitué en 3D. Tous les deux ont tenu bon grâce aux équipes médicales, mais aussi aux psychiatres qui les ont aidés à combattre les symptômes du stress post-traumatique. "On essaie d'avancer. On n'a pas trop le choix", a déclaré le quinquagénaire d'une voix calme et posée, presque rassurante, dans ce tourbillon d'horreur.

S'accrocher, surnager, c'est aussi ce que fait Maya, "épuisée" mais "la tête haute". La jeune femme a perdu son mari sur la terrasse du Carillon, dans le 11e arrondissement, et a elle-même été grièvement blessée par plusieurs balles, dans le dos, les jambes et un pied. Paradoxalement, ses blessures l'ont aidée à tenir. "Elles m'obligeaient à me battre. Il fallait que je me mette debout, que je marche. J'avais 27 ans, encore toute ma vie à vivre", a-t-elle raconté face à la cour. Même si son combat dure depuis six ans, Maya est aujourd'hui debout.

Ils sont plusieurs, comme elle, à avoir dépeint un quotidien jalonné de petites et grandes victoires, où la vie a finalement repris le dessus. Sophie, 37 ans, touchée par une balle dans le bassin au Bataclan, ne devait plus pouvoir tomber enceinte. Mais grâce à une fécondation in vitro, elle a donné naissance à une petite fille, qui a maintenant 2 ans. "Ma fille, c'est mon oxygène, ma bouée de sauvetage", a lâché cette mère, en sanglots. L'arrivée d'un enfant s'est avérée salvatrice pour bon nombre de victimes. Etre père d'un petit garçon est "la chose la plus extraordinaire qui soit arrivée" à François-Dominique, un avocat qui a échappé de peu à la mort dans la salle de concert. "Oui, la vie est belle", a insisté ce trentenaire à la fin de son témoignage.

Le procès, une étape "pour aller de l'avant"

Petit à petit, la vie sourit aussi de nouveau à Alice et Aristide, un frère et une sœur grièvement blessés au Petit Cambodge. Elle était alors voltigeuse et a reçu une balle dans le bras. A 23 ans, Alice a décidé de réinventer sa discipline, "en s'appuyant sur [ses] jambes" et non plus sur ses mains. Lui, à l'époque rugbyman professionnel en Italie, était à "un point culminant de sa carrière", lorsqu'il a été transpercé de trois balles dans les jambes. Aristide a dû mettre un terme à son parcours sportif et s'est lancé dans la photo.

"On s'est battus pour garder de l'amour et de la joie. On se bat pour que cet épisode ne grignote pas toute notre vie."

Alice, rescapée de l'attentat au Petit Cambodge

devant la cour d'assises spéciale de Paris

"Avec ma famille, on a pris le bon côté de la vie, et on est reconnaissants envers le destin. C'est comme une pièce qui tombe du bon côté", abonde Aristide, qui dit avoir "énormément confiance en ce procès".

Comme lui, ils sont nombreux à avoir attendu ces neuf mois d'audience avec une certaine impatience, doublée d'une grande fébrilité. Déposer à la barre, c'est aussi déposer leurs histoires et faire un pas de plus dans le long chemin de la reconstruction. Pierre-Sylvain voit ce procès "comme un début pour aller de l'avant, un récit collectif dans un espace sanctuarisé."

"Une famille dans la douleur"

Dans la gigantesque salle d'audience, l'accompagnement des parties civiles, confrontées à des journées éprouvantes, est au cœur du dispositif. L'immensité des lieux leur permet de venir accompagnées de leurs proches. D'autres victimes viennent spécialement pour les épauler. Le réconfort procuré par cette grande "famille cabossée" est évident. L'expression est de Sophie qui, après avoir témoigné, s'est sentie "plus légère", avec "l'impression qu'un poids s'est enlevé de [sa] poitrine".

Mélissa, dont la mère est morte sur la terrasse de La Belle Equipe, a quant à elle salué "tous les gens" qui l'ont soutenue. A presque 21 ans, la jeune fille compare ce procès à une "renaissance". "Je n'ai jamais eu le courage d'admettre que je n'allais pas bien, et maintenant je pense que je peux vivre bien en paix avec moi-même, sans haine, sans colère, sans en faire une faiblesse."

A la barre, Jean-François, le père de Mathias, tué à 23 ans au Bataclan, a rapporté un échange qu'il a eu à l'ouverture du procès avec le frère d'une victime : "Il m'a dit : 'On forme une famille dans la douleur'". Jean-François s'est exprimé au côté de Maurice, le père de Marie, l'amoureuse de son fils, assassinée elle aussi ce soir-là. "Non seulement vous ne nous avez pas divisés, mais vous avez agrandi notre famille", a lancé Maurice à l'attention des accusés.

"Reconstruire le puzzle"

Plusieurs victimes ont aussi souligné les "moyens mis en œuvre" par la justice pour le bon déroulement de ce procès. A l'image de Philippe, le père de Cécile, une chargée de production de 32 ans elle aussi tuée au Bataclan, qui a remercié la cour et son président "pour l'attention [portée] à chacun avec une autorité ferme mais extrêmement bienveillante"

"Cela fait partie de notre thérapie et contribuera à notre reconstruction."

Philippe, père de Cécile, tuée au Bataclan

devant la cour d'assises spéciale de Paris

En témoignant, les parties civiles ont surtout participé à construire un récit collectif et à combler les vides concernant le déroulement des faits. Car certains, traumatisés, n'ont plus en tête la chronologie exacte des événements. D'autres ont assisté à la tuerie par le prisme de l'ouïe, comme Edith, 43 ans, cachée derrière les fauteuils du balcon du Bataclan. "Je voulais remercier les différents témoins qui ont parlé jusque-là dans la mesure où j'avais besoin de consolider le récit, besoin d'une reconstruction factuelle." Nadine a quant à elle pu en savoir un peu plus sur les circonstances de la mort de son fils : "Grâce aux témoignages des rescapés, j'apprends les derniers instants de la vie de Valentin."

"Ce qui ressort de tous ces témoignages, c'est cette possibilité de reconstruire le puzzle, de reconstruire une histoire où il y a beaucoup moins de trous qu'auparavant. Il y a beaucoup de choses qui se reconstruisent, qui se tricotent ensemble", analyse pour franceinfo Carole Damiani, directrice de l'association Paris aide aux victimes. La psychologue souligne toutefois que le procès "coûte une énergie très importante" aux parties civiles, et l'association reste "très attentive aux contrecoups".

Tisser une mémoire partagée

Les témoignages ont souvent largement dépassé la demi-heure accordée à chacun par la cour, mais le président ne les a quasiment jamais écourtés. C'est l'exhaustivité de ces dépositions qui permet de tisser une mémoire partagée. Aurélie, qui a perdu son mari et le père de ses enfants dans la salle de concert, dit avoir touché du doigt "la dimension collective" de son histoire en s'asseyant dans la salle d'audience : "J'ai regardé toutes ces nuques où sont accrochés des badges au cordon rouge ou vert. Tous ces corps que je ne connais pas mais qui se sont tous approchés de la même douleur que moi."

"Il y a ici tout ce qui faisait de nous une cible : l'ouverture à l'autre, la capacité d'aimer, de réfléchir, de partager. Alors je continue à venir ici. Et chaque jour, je remplis un peu davantage mes cuves d'humanité."

Aurélie, qui a perdu son compagnon au Bataclan

devant la cour d'assises spéciale de Paris

Pendant ces cinq semaines, une communauté s'est bâtie peu à peu sous les yeux de la cour. Un bloc constellé de petits points lumineux auxquels se raccrocher, après la nuit noire du 13-Novembre. "Quelqu'un ici a parlé du mythe de Sisyphe. Je crois que Sisyphe était seul. Et ce qu'on fait tous ici dans cette salle, magistrats, avocats, interprètes, c'est dire aux victimes : 'Vous n'êtes pas seules"", observe Arthur Dénouveaux. Le président de l'association Life for Paris, rescapé du Bataclan, est l'un des derniers à avoir témoigné lors de cette longue séquence presque "liturgique". Il termine par ces mots : "Le terrorisme rapproche les gens qui y survivent. En ça, le terrorisme porte peut-être en lui les germes de son échec."

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