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Qui est Frank Berton, la "gueule" du barreau de Lille prête à prendre des coups pour défendre Salah Abdeslam ?

L'avocat lillois, qui a défendu Florence Cassez et des acquittés d'Outreau, estime que tout accusé mérite une défense. Ténor au parcours cabossé, il n'a pas son pareil pour faire ressortir l'humanité de ses clients. 

Article rédigé par Louis Boy
France Télévisions
Publié Mis à jour
Temps de lecture : 8 min
Frank Berton, le nouvel avocat français de Salah Abdeslam, devant le Palais de justice de Paris, le 27 avril 2016. (MATTHIEU ALEXANDRE / AFP)

En annonçant, mercredi 27 avril à La Voix du Nord, qu'il défendrait Salah Abdeslam, Frank Berton, 53 ans, a pris le risque de devenir l'avocat le plus détesté de France. Lui-même a confié, au 20 heures de France 2, que le flot de commentaires haineux sur internet ne lui avaient pas échappé. Il a aussi décroché un dossier, médiatique et complexe, que les plus prestigieux de ses confrères lorgnaient sans doute. Mais il est revenu à ce ténor du barreau lillois, révélé par l'affaire Outreau puis par sa défense de Florence Cassez, et dont le profil et le look détonnent dans le milieu. Portrait de celui qui devra convaincre l'opinion que l'on peut défendre l'ennemi public numéro 1.

"C'est sûr qu'on aura des menaces"

Frank Berton le sait, il va prendre des coups. "C'est sûr qu'on aura des critiques, c'est sûr qu'on aura des menaces", dit-il à La Voix du Nord. Il en a discuté avec Sven Mary, l'avocat belge de Salah Abdeslam, qui affirme avoir été agressé dans la rue à cause de son choix de défendre le suspect-clé des attentats de novembre à Paris et Saint-Denis. Son confrère français a hésité, il le reconnaît. La veille encore, il balançait "entre le vertige, la crainte et le plaisir de s'attaquer à cette affaire", raconte un ami au Monde. Un état d'esprit que résume à francetv info Eric Dussart, chroniqueur judiciaire de La Voix du Nord, qui le connaît depuis vingt ans : "Que ce soit pour défendre un petit dealer de Lille Sud ou Salah Abdeslam, il a besoin que ça ne soit pas simple. Je pense que ça le motive."

Ce sont ces dossiers "pas simples" qui ont fait la carrière de Frank Berton. Il se révèle au grand public quand, en 2004 et 2005, aux côtés d'un autre ténor de Lille, Eric Dupont-Moretti, il se bat pour rétablir l'innocence des accusés d'Outreau. Il explose quand il devient l'avocat qui fait libérer Florence Cassez, emprisonnée au Mexique, où il ne peut se déplacer sans un garde du corps et une voiture blindée. Beaucoup d'observateurs retiennent aussi sa défense passionnée, l'an dernier, de Dominique Cottrez, meurtrière de huit de ses enfants et pour qui il obtiendra du jury une peine deux fois moins importante que les réquisitions. A Libération, pour expliquer son choix de se tourner vers le droit, il cite "l'envie de sortir quelqu'un du pétrin". Nageur dans sa jeunesse, Frank Berton aime par dessus tout le contre-courant.

Avant de défendre Abdeslam, il a voulu le rencontrer

"Chacun a le droit à une défense", a martelé mercredi Frank Berton au sujet de Salah Abdeslam. "On est dans une République. Sinon, il n'y aurait pas besoin de faire un procès, une instruction… Autant qu'on lui tranche la tête tout de suite !"

"Il a dit plusieurs fois qu'Abdeslam ne devait pas être jugé pour les actes des autres. Ça fait vingt ans que j'entends ce discours", confie Eric Dussart. Ce travail de pédagogie, pour faire entendre au public que même un terroriste a droit à un avocat, est une des motivations de Frank Berton. "Il faut être pétri de courage et imprégné de sa mission de défenseur" pour s'attaquer à cette affaire, juge Julien Delarue, son confrère au barreau de Lille, contacté par francetv info. "Beaucoup d'avocats médiatiques sont en quête de lumière, mais pas forcément des risques qui vont avec."

Comment expliquer ces choix ? Frank Berton ne défend "jamais des causes, jamais une morale ou une histoire, toujours des personnes. C’est la nature humaine qui l’intéresse", révélait sa femme et associée à Libération. Le quotidien ajoute qu'il lui arrivait de refuser des clients médiatiques sur lesquels il ne trouvait rien à raconter. Avant d'accepter de défendre Salah Abdeslam, il a rencontré le prisonnier dans sa cellule belge pendant deux heures, vendredi, et explique en être sorti avec la conviction que son client était prêt à parler de sa participation aux attentats de Paris. Berton avait déjà défendu un terroriste, Smaïn Aït Ali Belkacem, condamné pour son implication dans l'attentat du métro parisien en 1995. Quand ce dernier est revenu sur ses aveux, l'avocat explique avoir quitté sa défense : "Ça, je l'ai dit à Salah Abdeslam." Il y a donc une condition à l'engagement de Frank Berton : que ce procès serve à dire la vérité.

Un "hypersensible" avec ses clients comme avec les jurés

Avec ses clients, la relation humaine peut être intense. "Il s'intéresse aux gens qu'il défend, et cherche beaucoup à nouer des rapports avec eux. Ce n'est pas une défense de façade", estime Julien Delarue. Jean-Luc Romero, qui présidait le comité de soutien de Florence Cassez, se souvient "qu'au-delà de sa conviction très forte d'avocat, il était tombé, comme nous tous, sous le charme de Florence. Il avait cette conviction qu'elle était tombée dans un traquenard." Une conviction qu'il ne réserve pas à ses clients stars, assure Eric Dussart : "Il y a quelques semaines, je l'ai vu défendre une femme qui a tué son père. J'étais le seul journaliste dans la salle, et je peux vous assurer qu'il a mouillé la chemise pour cette jeune femme."

"C'est quelqu'un qui a une hypersensibilité", estime Nathalie Perez, journaliste spécialiste de la justice à France 3 et qui a suivi nombre de ses plaidoiries. "Il travaille avec ses tripes. Il est tout le temps dans l'affect, il touche par ses mots forts, il est capable de faire pleurer les jurés." L'avocat Julien Delarue décrit un homme "à l'humanité assez débordante, qui a une grande capacité à sonder les âmes. C'est un peu une éponge, qui s’inspire de tout ce qui se passe dans une salle d’audience. Et quand il faut élever la voix, il sait le faire aussi". "Chez les gens simples et humbles, qui constituent une grande partie de sa clientèle, il passe très bien", poursuit Nathalie Perez. "Il parle comme eux, leur tape dans le dos. Quand ils pleurent, il sort un mouchoir. C'est ce genre d'homme."

"Quand il s'adresse aux jurés, on sent que c'est un mec simple"

"Il faut le voir à l'œuvre", dit son confrère. Quand il plaide à Lille, dans des affaires pas toujours médiatiques, la salle est remplie de collègues comme de curieux, assure le chroniqueur de La Voix du Nord. Il faut lire le récit que fait la journaliste du Monde Pascale Robert-Diard de sa plaidoirie pour Dominique Cottrez, pour saisir son style, la façon dont il emporte un jury et dont il fait ressortir l'humanité de cette femme infanticide. "Les assises, il n'y a pas de lieu plus humain dans le monde judiciaire", explique Eric Dussart. "Quand il s'adresse aux jurés, on sent que c'est un mec simple, qui vient d'un milieu populaire. Les grands pénalistes ont ce point commun de savoir parler aux gens parce qu'ils en sont, des gens." Pour autant, il n'est pas un de ces avocats qui se reposent sur leur éloquence à la barre. "Frank, c'est 90% de transpiration, et le reste après", assure Hubert Delarue, père de Julien et avocat lui aussi.

Cet ami de vingt ans de Frank Berton, qui a traité des dizaines d'affaires avec lui à commencer par Outreau, lie la sensibilité de l'avocat à son histoire personnelle. "On dit que l'adulte n'est qu'un enfant couvert de cicatrices. On ne devient pas avocat pénaliste par hasard", raconte-t-il. "Frank est un garçon pudique, mais je sais que sa jeunesse n'a pas toujours été facile." Il s'en était un peu ouvert à Libération : sa naissance à Amiens, d'un représentant de commerce et d'une mère au foyer engagée au PCF ; son père qui les bat, et finit par partir ; sa sœur handicapée qu'il a longtemps crue morte, avant de la retrouver au soir de sa vie. Frank Berton a eu une jeunesse "de merde" et des complexes, "comme ceux que je défends aujourd'hui", explique-t-il à L'Obs.

"J'ai cette gueule-là, autant en jouer"

Son visage buriné, sa voix rocailleuse, ses cheveux gominés détonnent dans le milieu. Son look ne le dessert pas forcément à la barre ; il colle avec le personnage. "J'ai cette gueule-là, alors autant en jouer", a-t-il dit un jour à Eric Dussart. En plus de son look, Berton peut se montrer flambeur, comme lorsqu'il rend visite à son ami Hubert Delarue en Aston Martin : "Il n'est pas né avec une cuillère en argent dans la bouche, Frank. C'est peut-être un esprit de revanche." Son succès fait sans doute quelques jaloux au barreau de Lille, qui comptait déjà une star en la personne d'Eric Dupont-Moretti (qui a d'ailleurs défendu Frank Berton dans une affaire où il était accusé à tort). "Des gens se disent qu'ils sont dans un autre monde", raconte le chroniqueur de La Voix du Nord. Dans les couloirs, on le surnomme affectueusement "la madone des aéroports" : depuis l'affaire Cassez, Frank Berton est celui qu'on appelle pour défendre les Français à l'étranger, du Pérou à la République dominicaine.

Mais tous évoquent un avocat jamais avare de conseils, adepte du travail d'équipe et fidèle en amitié. Eric Dussart décrit ce grand écart : "Quand il prend le train pour Paris, tout le monde se retourne. Mais il va encore jouer aux cartes avec ses copains ; on le voit boire des coups dans les mêmes bistrots qu'il y a vingt ans." Celui qui a joué le DJ pour payer ses études est resté fêtard. "C'est un gros bosseur, très organisé dans son travail, mais quand le procès est fini, il aime la vie et la fête, c'est un épicurien", raconte son ami Hubert Delarue. "Je ne dirais pas qu'il brûle la chandelle par les deux bouts, mais il a une soif de vivre, une gourmandise." Devant l'affaire Abdeslam, sans doute la plus alléchante de sa carrière, Frank Berton n'a pas résisté.

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